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14 mars 2023 2 14 /03 /mars /2023 17:18

Mardi 14 mars 2022

Quelles revendications pour la CGT ?

Critique du texte de mai 2022 "Contribution aux débats pour le 53ème Congrès" (2)

 

Après une critique sur le fond du texte des opposants (voir l’autre article « Quelle stratégie offensive et cohérente pour la CGT ? »), reprenons le texte point par point. Cela permettra aussi de faire ressortir les points positifs du texte (car il y en a, bien sûr), tout comme les critiques plus partielles et détaillées.
Nous remettons ci-contre l’accès au texte pour pouvoir éventuellement s’y reporter.

Une première partie traite de douze grands thèmes de revendications – dont l’immigration et les sans-papiers sont absents, nous l’avons déjà dit.

 

Salaires.

Le texte revendique un salaire brut minimum à 2000€, bien. Une grille de salaires basée sur les qualifications, mais aucune remise en cause de la hiérarchie, de la division sociale du travail, et pas une seule référence à un éventuel maximum, ce qui devrait être aujourd’hui une évidence vu l’accroissement permanent des inégalités des salaires et des revenus. Mais il ne faut sans doute pas déplaire aux cadres… souci partagé tant par la direction confédérale que par les opposants.

 

Temps de travail.

Pour promouvoir le passage aux 32h, le texte fait un bilan positif sans aucune nuance des 35h de la loi Aubry, en oubliant toutes les portes que la loi a ouvert en matière de flexibilité, le travail de nuit des femmes, la modulation annuelle etc. et le fait que le capitalisme a su récupérer en productivité la RTT en quelques années seulement. A noter que le texte revendique un horaire de 28h par semaine pour le travail posté, soit l’équivalent de la 6ème équipe (1.2.11) : c’est une revendication précise que nous défendons pleinement, car si elle ne change pas les conditions au travail (le travail de nuit est toujours « inhumain », au sens propre du terme, puisque l’être humain est un animal diurne), elle augmente le nombre de journées de repos donc facilite la récupération et diminue par voie de conséquence l’impact sur la santé.

Mais l’optique des propositions est bien pourrie : il ne s’agit pas de de bouleverser les rapports de production, de changer la production elle-même mais seulement de modifier la répartition des richesses entre capital et travail (1.2.6). Quelle étroitesse d’esprit et quelle soumission aux règles du jeu…

 

Environnement.

Franchement, le paragraphe d’ouverture est étonnamment intéressant, plutôt juste dans la description générale, pour aboutir à la seule conclusion possible qu’il faut éradiquer le mode de production capitaliste (1.3.3).

Mais quand il s’agit de rentrer dans le concret, ça reste très flou et ça escamote toutes les contradictions qu’il peut y avoir derrière. Rien sur l’agro-industrie, rien sur le nucléaire et les déchets, rien sur les gaspillages et la sobriété nécessaire, rien sur l’eau, pas de vraies revendications sinon l’exigence de « plus de démocratie ». La seule revendication un peu claire, c’est la nécessité de relocaliser la production près des lieux de consommation via les circuits courts. Très bien, mais c’est quand même un peu short pour parler de toutes les questions liées à l’environnement.

On ne peut ignorer qu’au sein de la CGT, et au sein même des opposants, il y a de fortes contradictions qui expliquent sans doute cette discrétion. Il y a de véritables pro nucléaires dans nos rangs, peut-être même majoritaires. Il y a certainement des anti-écologistes féroces, productivistes à tout crin, si l’on en croit les réactions sans nuance d’Olivier Mateu quand des écologistes radicaux ont envahi une cimenterie de Lafarge près de Marseille en décembre dernier.

Oui, il y a des contradictions sévères en nos rangs, et il faut les traiter explicitement, pas rester dans le flou des grands discours généraux qui ne gênent personne : il faut prendre position !

 

Les industries.

Le constat général de la nécessité de l’industrie est acceptable, en plus avec les précisions du texte : « Mais pas l’industrie à la sauce capitaliste qui exploite sans vergogne les ressources naturelles et le travail humain » (1.4.1). Soit. Mais la discussion n’est même pas ouverte sur les choix de production qui ne sont pas neutres, qu’il s’agisse de la chimie, du nucléaire, des transports individuels, de l’automobile ou de l’avion etc.

Juste une référence à « l’arrêt de toutes les fabrications d’armes » un peu plus loin (1.12.4) dont on aurait aimé qu’elle soit abordée dans ce paragraphe pour soulever au fond les nécessités du bouleversement total du système de production. Car l’industrie de l’armement en France, troisième exportateur mondial, juste ce n’est pas rien (MDBA, Thalès, Nexter, Airbus et Eurocopter, CEA, Nobel plus tous les sous-traitants…), et arrêter la fabrication d’armes est lourd de conséquences (plus de 300 000 emplois) ! Il faut savoir aller jusqu’au bout de sa logique, ou se taire !!! Cela dit, nous sommes tout à fait d’accord avec cette revendication immédiate, mais on comprend qu’elle impose autre chose qu’un changement électoral !!

Les seules revendications précises portent sur un bouclier contre le dumping social et fiscal, la démocratie d’entreprise, des nationalisations, une économie planifiée et un moratoire sur les fermetures de sites et les suppressions d’emplois. A aucun moment la concurrence mondialisée et la guerre économique ne sont abordées comme cadre qui « s’impose automatiquement » en quelque sorte aux entreprises capitalistes. Alors que c’est bien le point de départ, le pouvoir politique nécessaire pour contraindre par la force la restructuration fondamentale et les règles du jeu du système économique.

 

Transports et services

Pas beaucoup d’imagination dans ce paragraphe. Les pouvoirs publics doivent reprendre la main sur la grande distribution, nationaliser et rationaliser les transports. On comprend bien le sens – du bon sens évident, on se demande bien à quoi il correspond dans cette société, ou comment on pourrait le mettre en œuvre dans le contexte actuel… Cela reste assez mystérieux.

 

Les services publics

Le texte décrit assez bien ce qu’on pourrait appeler la Crise macroniste des services publics. Nous sommes d’accord (un peu comme tout le monde !) avec le constat.

L’essentiel des revendications portent sur la fiscalité, les finances publiques, les impôts, la TVA, les cadeaux aux entreprises etc. C’est un peu étrange de voir un syndicat, une orientation qui se veut combative et radicale, sortir du cadre de la défense des travailleurs pour se poser en meilleur gestionnaire des finances de l’Etat, panier de recettes miracles à la clé. On retrouve là toutes les illusions sur la gestion de l’Etat dont nous parlions dans l’article précédent.

 

Droit du travail, conventions collectives

Tout est résumé dans une formule choc : « Les réformes gouvernementales successives ont priorisé la compétitivité des entreprises par rapport à la protection des travailleuses et des travailleurs. La loi n’est plus garante de l’intérêt général » (1.7.4). Il ne s’agit pas d’un système d’exploitation à détruire, mais d’un système déséquilibré au profit des patrons, qu’il faudrait en quelque sorte ré-équilibrer par l’action syndicale.

En fait, les réformes gouvernementales n’ont rien priorisé : elles défendent fondamentalement et totalement les intérêts des capitalistes et de leur système. Et l’intérêt général n’a jamais existé, ce n’est qu’une mystification inventée pour tromper les travailleurs et les forcer à accepter leur sort.
Le paragraphe sur les revendications est le plus fourni de tout le document, en matière de droits pour les salariés. C’est en fait une accumulation de vœux pieux, qui fait l’impasse sur la réalité du capitalisme et ses propres contradictions dans la guerre économique mondialisée.

Nous avons toujours dit que si les très vieilles revendications ouvrières démocratiques du droit d’association et de grève, contre la répression restaient au cœur de l’activité syndicale, il ne fallait aucunement s’illusionner sur la prétendue démocratisation des entreprises et sur un supposé poids des représentants des salariés (1.7.16) pour d’autres choix économiques et sociaux. Ce n’est que du baratin de bureaucrates syndicaux qui rêvent pris au sérieux par les patrons…

 

Emploi, formation

Le paragraphe dénonce à juste titre cadeaux aux entreprises, chômage, déficit de formation. Mais franchement, il tombe à plat dans la période actuelle de pénurie de main d’œuvre et de rejet du travail par toute une partie de la jeunesse… Comme quoi n’est pas réformiste qui veut : la question n’est pas celle de telle ou telle mesure, mais cette de l’activité humaine libre et sans contrainte ou de l’exploitation capitaliste. Le texte en arrive à demander au renforcement de la formation tout au long de la vie, ce qui rejoint les propositions de tout un secteur du patronat (les PME en particulier) qui n’arrive pas à recruter !

Seul revendication positive, les 32h, mais non pas pour réduire l’exploitation, mais pour une meilleure redistribution des gains de productivité (1.8.11). Ah, si les richesses étaient mieux réparties, que le capitalisme serait sympathique…

 

Le 100% Sécu

Les auteurs du texte ont regroupé divers thèmes en ce qui apparait comme une reprise radicalisée de la « Sécurité Sociale Professionnelle » chère à la CGT dans les années 2000 (voir notre dossier sur le sujet ICI) et qui n’a jamais débouché sur rien tellement c’était factice.

Ils revendiquent une gestion démocratique par les travailleurs eux-mêmes – exactement à l’inverse de nous qui revendiquons le retrait des syndicats de la gestion de ces structures de cogestion capitaliste pour mieux clarifier qui est l’ami et qui est l’ennemi. Une sorte de paritarisme amélioré en quelque sorte, avec des patrons minoritaires… Car ne soyons pas dupes : la santé, les retraites, le chômage, la famille, l’autonomie, dans un système capitaliste, c’est d’abord un marché soumis aux contradictions de la concurrence et de la gestion. Nous avons eu l’occasion d’en parler à plusieurs reprises à propos des retraites.

A propos de la Santé : nous sommes d’accord avec l’état des lieux et les revendications ne sont pas fausses (1.9.17 à 21)

Sur les retraites : revendication de la retraite à 60 ans, avec 37,5 ans de cotisations, 55 ans pour les travaux pénibles. Rien sur les carrières incomplètes et donc la suppression de la condition des trimestres. Intégration des régimes complémentaires dans le régime général.

Sur le chômage : taxation des contrats précaires (mais pas interdiction). Rien sur les saisonniers, rien sur les intermittents.

Famille : rien de décisif

Autonomie : idem, paragraphe de principe.

 

Les libertés (1.10)

Rien de vraiment critiquable dans ce paragraphe très flou, et très général. A noter la critique juste du concept « d’entreprise citoyenne » (1.10.10), mais la compréhension fausse des attaques contre les libertés qui expliquerait la faiblesse de la syndicalisation. En particulier, comme dans tout le texte d’ailleurs, la répression n’est pas liée à l’accentuation des contradictions du capitalisme mondialisé, mais aux difficultés quand les gouvernants sont « en difficulté sur la bataille des idées ». Non, la répression c’est avant tout l’attaque contre tous « les empêcheurs d’exploiter en rond » comme nous disons, qu’il s’agisse des Gilets Jaunes, de syndicalistes combatifs, d’écologistes radicaux, de jeunes radicalisés, de lanceurs d’alerte qui dénoncent sans concession ce système.

La répression n’est que le volet étatique de l’exploitation économique, c’est cela qu’il faut dénoncer, sans jamais rêver à la liberté ou la démocratie pure… Le combat pour les libertés démocratiques est un combat aussi vieux que le mouvement ouvrier, pour se défendre, s’organiser et se faire entendre, c’est cela qui doit guider notre action, pour en finir avec cette société d’exploitation – et c’est justement pour cela qu’ils veulent nous faire taire.

 

Egalité professionnelle et sociétale

Là, on va être bref, tant il faudrait un article à part entière sur le sujet. Mais ce qui est frappant dans ce document, c’est la réduction de l’inégalité des femmes à la question économique, salaires, qualifications ou temps de travail. Il n’y a pas de critique de fond du patriarcat qui imprègne la société (le terme est absent), même si, heureusement, il y a reconnaissance des violences sexistes, homophobes etc. avec une allusion plus que très prudente et floue à la situation au sein de la vie syndicale (1.11.12), six lignes qui ne choqueront personne, alors que les problèmes se sont quand même multipliés au sein de notre syndicat ces dernières années…

Donc paragraphe absolument minimaliste, manifestement présent pour ne pas prêter le flanc à la critique.

 

Paix, désarmement, internationalisme

« Les dépenses militaires seraient mieux utilisées si elles étaient consacrées au progrès et au développement économique et social » (1.12.1) « La paix demande l’arrêt de toute fabrication d’armes » (1.12.4). Nous en avons déjà parlé dans la partie sur l’industrie, plus haut. On aimerait qu’on aille jusqu’au bout du raisonnement et qu’on l’applique à d’autres secteurs économiques aussi parasitaires et maléfiques.

Aucune référence à la guerre en Ukraine – comme d’ailleurs dans les textes confédéraux, mais sûrement pas pour les mêmes raisons. Soutien à la Palestine et à Cuba contre l’impérialisme US. Et pas un mot sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes… Mais heureuse référence générale à l’internationalisme et à l’entente entre les travailleurs, reste à savoir ce que cela veut dire concrètement, le diable se cache dans les détails comme on dit.

 

Une deuxième partie porte sur l’organisation CGT

Nous n’allons pas développer la critique dans le détail, à chacun de se faire son avis.

On notera la critique des administrateurs salariés dans les grands groupes, de la dite « responsabilité sociale des entreprises », de la réunionite des salons feutrés à laquelle il faut opposer le syndicalisme de terrain et de lutte des classes (2.4.5 et 2.4.6). Bravo, pour le coup nous sommes tout à fait d’accord.

Par contre, le texte reprend toutes les positions confédérales sur l’encadrement, la défense de l’UGICT, la défense des cadres jusqu’aux ouvriers sans aucune réserve, sans aucune interrogation sur la hiérarchie, la fonction des cadres dans la division du travail et l’organisation du travail capitaliste qui est tout sauf neutre.

Enfin on regrette que la question de la démocratie interne ne soit pas plus abordée, alors que c’est un sujet qui a fait couler beaucoup d’encre, tant dans les structures dites confédérales (métallurgie avec PSA Poissy) que chez les opposants (Commerce et Services), car la démocratie dans la CGT, c’est quand même une belle formule absolument creuse et sans effet, il suffit d’ailleurs de voir la préparation de tous les congrès et de toutes les prises de décision… On pourra relire à ce propos avec intérêt la lettre de démission de Baptiste Talbot de la CEC le 9 mars dernier - voir l'article de ce blog ICI.  

Le texte conclut par la nécessité d’une stratégie offensive et cohérente, contre le syndicalisme rassemblé de l’unité au sommet. Cela dit, la stratégie alternative proposée de grèves perlées un secteur après l’autre (2.9.5) n’a pas crevé les yeux lors du mouvement en cours pour les retraites…
 

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