ne laissons pas les patrons cracher sur nos tombes !
A l’aube de la mobilisation nationale du 13 octobre, placée sous le signe du droit à la santé au travail, dans la vie, en retraite, la réalité du mal reste préoccupante, mais pose les jalons d’une mobilisation interprofessionnelle.
La partie émergée de l’iceberg.
Seules 50 000 victimes ont été reconnues en 2005, alors qu’ils sont une quinzaine de millions de travailleurs à être exposés à plus d’une centaine de maladies professionnelles. La situation est urgente !
La liste des victimes s’allonge et, avec elles, le nombre de recours juridiques auprès des Tass notamment (les tribunaux des affaires de la Sécurité sociale). Les premières d’entre elles – celles qui sont le mieux organisées et mènent les batailles juridiques et médiatiques – restent les victimes de l’amiante et leurs familles. Ils sont les premiers à revendiquer une réparation à la hauteur de tous les préjudices subis. Histoire oblige, et pour cause : la fibre mortelle est reconnue en 1947 comme l’une des premières matières à l’origine de maladies professionnelles (asbestose et plaques pleurales).
Il y a un siècle, dans la filature de Condé-sur-Noireau, l’inspecteur du travail de Caen, Denis Auribault, rédigeait le premier rapport paru en France sur les maladies causées par l'amiante. Publié en 1906, il fait état de 50 décès imputés à « l’enfer blanc de l'amiante », en cinq ans, dans une filature qui avait fonctionné pendant 15 ans. Aujourd'hui, c'est à Condé sur Noireau qu'à été inauguré le premier (et encore seul) monument aux victimes de l'amiante (voir ci-dessous)...
L’amiante n’est définitivement interdite qu’en 1997, mais le mal est fait. Alors qu’il est établi dès 1953 que le minéral est également à l’origine du cancer spécifique de la plèvre ou mésothéliome, la reconnaissance de la maladie professionnelle ne tombe qu’en… 1977 ! Cette même année, les salariés de l’usine Amisol de Clermont-Ferrand lancent un appel : « Plus jamais ça ! » Le propos reprend logiquement le titre de la brochure que les victimes et leurs familles éditent pour dénoncer le scandale de l’amiante dans cette entreprise du département du Puy-de-Dôme. Ils revendiquent d’ores et déjà la réparation des préjudices subis, ainsi que la nécessité d’une politique de prévention à la charge de l’employeur. Celui-ci est en effet contraint par une obligation impérative de sécurité et de résultat vis-à-vis des salariés en matière de santé au travail. La bonne blague ! Les victimes d’Amisol et leurs familles, rassemblées au sein du Caper, ont obtenu gain de cause devant la cour de cassation après plusieurs dizaines d’années de procédure. C’était en 2002, près de trente ans après les faits !
Des employeurs responsables et coupables
La route est encore longue pour la reconnaissance de toutes les maladies professionnelles et pour la réparation de tous les préjudices subis. La mauvaise nouvelle, c’est que les maladies, les maux et la mort frappent encore ; la bonne, c’est que les travailleurs ne veulent plus que leur santé soit un facteur de profitabilité. Ils rejettent de plus en plus l’idée qu’ils cessent d’exister, d’être des individus à part entière, à partir du moment où ils sont soumis à l'exploitation capitaliste. Certes les pathologies liées à l’amiante sont plus facilement reconnues comme maladies professionnelles. Certes les victimes et leurs familles se voient indemniser pour une partie des préjudices subis. Certes…
Mais combien d’autres salariés sont aujourd’hui exposés à des matières toxiques ou cancérigènes qui ne sont pas encore répertoriées comme étant à l’origine de maladies professionnelles ? La réalité est difficile à évaluer tellement la question des cancers professionnels est laissée en jachère. Il n’existe en effet aucune statistique fiable sur le nombre de salariés atteints : le suivi des victimes et les services de pathologies spécialisés sur les cancers du travail sont quasi inexistants. Seules quelques informations filtrent. Une récente enquête Sumer (surveillance médicale des expositions aux risques professionnels) révèle que près de 2 300 000 salariés seraient exposés aux produits cancérigènes. A l’occasion d’une conférence de presse sur la Sécurité sociale organisée le 30 janvier, l’administration nous apprend par ailleurs que 11 000 à 23 000 nouveaux cas de cancers sont attribuables aux expositions professionnelles, mais que seuls 2 059 d’entre eux sont reconnus en 2005 par la Sécu ! Le diagnostic est clair et la prise de conscience enfin partagée, mais le débat fait rage : les enjeux sont contradictoires, la question clairement politique et son intérêt véritablement idéologique. Et au fond de tout cela, les intérêts économiques de l’exploitation…
Les ouvriers se tuent à la tâche, mais restent les grands perdants au jeu du “qui casse, paie”. La quasi absence de prévention, les systèmes de reconnaissance de la faute inexcusable et d’indemnisation ou encore la gestion de la caisse “accidents du travail et maladies professionnelles” de la Sécu : tout pousserait à rendre le salarié seul responsable des maux physiques et moraux qui l’affectent. Qui, en effet, n’a pas vu ces affiches de l’INRS (institut national de recherche et de sécurité), placardées en 2006 dans le cadre d’une campagne de prévention de l’amiante ? Destinées à quelque 900 000 employeurs et salariés des très petites entreprises, elles mettent en scène un salarié sous masque à oxygène : « Sur les chantiers, je ne portais pas de masque contre l’amiante, maintenant, j’en porte un tous les jours. » Un comble ? Non, seulement une désinformation cynique qui organise la déresponsabilisation de l’employeur et transforme la victime et ses familles en coupables, sinon en menteurs.
Ainsi, à Clermont-Ferrand, Michelin, par la voix de ses avocats, n’a pas hésité à attaquer la crédibilité des témoignages présentés par le Caper. Le père d’Isabelle Gras est mort en 2003 après une trentaine d’années passées aux bons soins de la Manufacture… et trois dans la marine. La défense a ainsi prétendu qu’il ne serait pas normal que la Sécu reconnaisse la maladie professionnelle de Jean Gras. Ben oui, forcément, sa pleurésie pourrait bien être liée à ses années de service militaire ! Résister aux faits, les nier sont des attitudes classiques « pour 99 % des industriels que j’ai été amenés à rencontrer », affirme le toxicologue Henri Pézerat, par ailleurs directeur honoraire au CNRS (centre national de la recherche scientifique) et pilier fondateur de l’ANDEVA. La médiatisation reste donc, selon lui, LA stratégie à développer : elle réveille toutes les institutions médicales et de santé du travail, « tous les gens qui ont une responsabilité et qui ne l’assument pas si aucune pression sociale n’existe ».
Solidarité et interprofessionnalisme
Les travailleurs l’ont bien compris. Le combat des victimes de l’amiante et de leurs familles fait des petits. Réforme des régimes de retraite et du financement de la Sécurité sociale oblige, le départ anticipé pour les salariés qui ont effectué des travaux pénibles est actuellement l’objet d’une négociation (qui piétine) entre les syndicats et les employeurs. Le gouvernement organise également en octobre (en ce moment) une conférence sur les conditions de travail. Le droit à la santé dans la vie, au travail et en retraite est un principe qu’il convient de défendre et de revendiquer pour tous. Et pas question de tomber dans le piège de l’individualisation et de la médicalisation. Le droit à la santé et celui de la santé au travail sont des enjeux éminemment sociaux qu’il faut placer au cœur du débat public. Combien de salariés, comme ceux d’Adisséo-Commentry dans l’Allier (voir ici, ou là), comprennent que l’amiante n’est pas la seule molécule mortelle présente sur les lieux de travail ? Combien d’autres voient en outre leurs conditions de travail se dégrader à coup d’intensification de la charge de travail – physique ou mentale –, de nouvelles organisations du travail, d’horaires décalés, etc. ? Une enquête du ministère du Travail publiée en 2006 révèle qu’entre 1998 et 2005 l’intensification du travail se maintient à un niveau élevé ; les ouvriers et les employés en sont les principales et les premières victimes. La même enquête assure également que l’intensification de la charge mentale s’accompagne d’une dégradation des conditions physiques du travail. Cette réalité pèse lourdement sur la santé des salariés et sur la situation financière de la Sécu. La Cgt estime son coût à 80 milliards d’euros. Pourtant gouvernements et patronat veulent faire payer ce déficit aux seules victimes : les salariés et leurs familles !
Deux associations de victimes – la Fnath qui représente les accidentés du travail et l’Andeva les victimes de l’amiante – organisent une manifestation nationale, à Paris le 13 octobre (14h00 - Gare Montparnasse), comme tous les ans à cette époque, pour tenir bon et faire connaître leur combat. Leur mot d’ordre : l’indemnisation intégrale des victimes d’accidents du travail et des maladies professionnelles, et une politique de prévention des risques professionnels à la hauteur des enjeux de santé publique. La Cgt s’est jointe à l’appel et entend aussi agir pour s’opposer aux franchises médicales, à la TVA dite sociale, et exiger la retraite anticipée en cas de pénibilité (mais beaucoup d’interrogations sur les motivations et les objectifs de la direction confédérale, alors que c’est une question hyper sensible dans les syndicats d’entreprise).
Les victoires récentes des victimes de l’amiante sont des encouragements à la mobilisation : le droit à la santé doit passer la porte des usines. Les droits des malades et des familles doivent être reconnus et les responsabilités établies. Mais les obstacles demeurent.
Certains avocats d’employeurs plaident d’ores et déjà en faveur d’une loi d’indemnisation, en lieu et place d’une mutualisation des risques qui prévoit de faire payer la communauté des employeurs par le biais de la branche “accident du travail” de la Sécu. Les plus hardis retoucheraient volontiers les critères de la faute inexcusable, Rachida Dati met en chantier un groupe de travail pour dépénaliser le droit du travail…. La loi du 10 juin 2000 relative aux délits non intentionnels veut, par exemple, dissocier le pénal du social. Le risque ? Au lieu de faciliter la reconnaissance de la faute inexcusable, le législateur va amoindrir la responsabilité de tous les décideurs en matière de risques professionnels. L’indemnisation individuelle plutôt que le scandale collectif et la condamnation. L’ombre des prétoires plutôt que la lumière des caméras. « En cherchant la seule réparation, on s’enferme dans un ghetto, alors qu’il [faut] élargir le débat à l’ensemble des cas d’intoxications au travail, conclut Henri Pézerat. La recherche de réparation ne suffit pas à établir une conscience de classe, ni une conscience politique de l’enjeu que constitue la santé au travail. »
Rendez-vous donc le 13 octobre.