Vendredi 1er juillet 2011
Occupation à Créteil : convergence sans-papiers/syndicats
Dans un article précédent, nous rapportions un nouveau témoignage sur l'échec de la grève des travailleurs sans-papiers, menée par la confédération. Et nous disions dans ce même article que ce n'était pourtant pas le potentiel de lutte qui manquait, mais la volonté de combat et une solide orientation de classe.
Pour enfoncer le clou, nous revenons aujourd'hui sur l'occupation des services du Ministère du Travail à Créteil, le 15 juin dernier, par le CTSPV, collectif des travailleurs sans-papiers de Vitry. Une leçon à méditer et à élargir, pour la régularisation sans conditions de tous les sans-papiers !
Mercredi 15 juin, vers 9h00 du matin, une soixantaine de membres du Collectif des Travailleurs Sans-Papiers de Vitry envahissait les services du Ministère du Travail à Créteil (voir la vidéo en fin d'article). Aussitôt nous avons été accueillis par les syndicats du lieu : SUD Travail et la CGT.
La directrice, avec qui nous savions les syndicats en conflit, était aussi disposée à recevoir une délégation. Nous lui avons dit
que nous n'étions pas intéressés, seule la préfecture pouvant résoudre le problème par des régularisations.
Pendant que nous prenions possession des lieux et envoyions des messages et communiqués (ICI), les camarades SUD et CGT expliquaient au
personnel nos revendications et diffusaient avec nous notre tract (ICI).
Une AG commune
Une Assemblée Générale commune aux occupants et au personnel du bâtiment démarra à 11h00. Un camarade sans-papiers a pu raconter
l'histoire du collectif. Un autre a pu longuement décrire la situation délicate où il se trouvait en cas d'intervention de l'Inspection du Travail sur son chantier : obligation de se cacher ou de
mentir.
Un Inspecteur, de son coté a expliqué comment il devait se taire devant de multiples illégalités pour pas que son intervention
aboutisse au licenciement du travailleur sans-papier.
Bref ce fut un moment d'échange rare et émouvant. Les syndicats ont conclu la discussion sur une déclaration solennelle de soutien
(ICI). Puis l'AG a continué sur les
revendications des personnels du bâtiment, confrontés à la décrue des effectifs. Cette baisse est commune à toute la fonction publique, sauf les corps répressifs. Mais en plus les gouvernements
laissent se dégrader cette administration car elle est chargée d'appliquer une législation du travail que la bourgeoisie veut d'année en année plus légère. Alors comment faire en sorte que
le coût du travail baisse ? Eh bien en laissant faire les patrons et en réduisant le contrôle. L'AG va conclure en décidant un jour de grève en fin de mois (voir ICI le tract de compte rendu
des syndicats après l'occupation).
La répression comme réponse
Puis va commencer la longue attente. D'emblée la police avait bloqué l'entrée et évacué le hall. Nous étions une quarantaine dans
les étages, puis regroupés et barricadés dans la salle de réunion. Pendant trois heures, la police va chercher à nous faire partir de nous mêmes sans succès. Trois heures de débat entre les
gradés et les dirigeants du collectif sous le regard du personnel regroupé en bout de couloir.
« Le préfet ne comprend pas votre action ? » C'est vrai que la préfecture délivrait quelques récépissés, mais à condition de
présenter la promesse d'embauche et le cerfa. Cette seule voie de régularisation laissait sur la touche la grande majorité des membres du collectif.
Ultime proposition de la préfecture : rencontrer le préfet lui-même dans quelques jours. Nous l'avons refusé aussi, car on nous
avait déjà fait le coup le 3 janvier, lors de l'occupation des Impôts d'Ivry. La rencontre du 5 janvier, avec le préfet en personne, n'avait débouché que sur quelques régularisations par le
travail.
Finalement nous serons évacués brutalement vers 17h00 après que la préfecture ait réuni les forces du commissariat, une dizaine de
policiers de la BAC, une compagnie de CRS et un camion de pompier.
Un bilan positif
Au bilan, nos dossiers n'ont malheureusement pas progressé, mais l'opération est quand même un succès
Par le lien que nous avons pu faire avec une catégorie de travailleurs
Par la dénonciation commune de la surexploitation des travailleurs sans-papiers par des patrons aux marges du code du
travail.
Par la dénonciation du racket de l'Etat sur les sans papiers via la taxe OFII.
Les travailleurs sans-papiers, par leurs seules forces ne pourront pas gagner vraiment cette régularisation globale que nous
attendons tous. La piste à prendre est de tisser des convergences de lutte avec les autres travailleurs. C'est ce que nous avons tenté de faire.
Interview d'un militant CGT de Sanofi-Vitry, animateur du CTSPV
Q : Pourquoi avoir ciblé le Ministère du Travail ? A cause des dossiers des Sans-Papiers ?
R : C'est vrai que les dossiers des membres du collectif avec CERFA y passent. Les services de la Maind'Oeuvre sont censés
donner un avis. Mais ce n'est pas cela qui a fait la rencontre et le contenu de l'action.
A l'origine, c'est la bataille des petits patrons pour faire baisser les coûts. Il y a des dizaines de milliers de petites
entreprises qui foulent au pied le code du travail. Elles sont en général sous-traitantes, car les grosses entreprises sous-traitent aussi cette lutte de classe. Ces entreprises vont piocher une
partie de leur main d'oeuvre parmi les 400 000 travailleurs sans titre présents sur le territoire. Les patrons multiplient les illégalités avec les travailleurs sans-papiers. Sur les
heures, sur les délais de versement des salaires, les montants, les conditions de travail. Ils cherchent ensuite à répandre ces pratiques sur les autres travailleurs.
Alors quelque part, les Sans-Papiers sont sur le front de la lutte des classes. Au front de cette lutte des classe, ils
croisent régulièrement des inspecteurs du travail qui croient à leur boulot et voudraient sanctionner ces illégalités. Souvent ils ne le peuvent pas car cela aboutirait au licenciement du
Sans-Papier.
C'est aussi cette situation de délabrement du droit du travail, qui amène des syndicalistes de l'Inspection du Travail à
militer dans l'interprofessionnel avec les sans-papiers, comme Luc Beal Rainaldy, le camarade de la FSU Travail qui s'est suicidé récemment. L'occupation était aussi un hommage à ce camarade qui
avait soutenu les luttes de Paristore et Metalcouleur dans le 94.
Q : Vous avez fait une AG commune. Mais en quoi y-a-t-il convergence avec la lutte de ces salariés ? Est-ce qu'en
demandant plus d'inspecteurs, cela résoudra le problème ?
R : Les salariés du Ministère du travail se battent pour des effectifs, pour freiner leur propre destruction. Mais c'est
évident que même s'il y a le double d'inspecteurs, l'exploitation des sans-papiers continuera. La convergence s'est plutôt faite sur la dénonciation commune de la situation de surexploitation que
vivent les sans-papiers. C'est aussi dans la dénonciation des politiques gouvernementales qui suscitent les illégalités et réduisent les contrôles.
Des convergences de ce type ont aussi eu lieu sur d'autres secteurs : l'investissement du SNUI SUD Solidaire par rapport
aux impôts que payent les Sans-papiers, celui des syndicats CGT des personnels naviguant, par rapport aux expulsions. Mais c'est surtout le fait de militants de ces syndicats. L'originalité de
l'action de Créteil était de faire une AG commune avec les personnels.
Q : Penses-tu que c'est ainsi que se construiront les liens avec les autres travailleurs pour le « Tous ensemble »
autour « Des papiers pour tous » ?
R : Cela ne suffit pas. Mais ce sont des briques de cette construction. Des tas de travailleurs sont en contact d'une façon
ou d'une autre avec les travailleurs sans-papiers. C'est le rôle des syndicats de construire des convergences là où c'est possible. La direction de la CGT ne l'a pas fait au moment où il y avait
des milliers de grévistes sans-papiers et où c'était plus facile et moins dangereux. Elle a même refusé la proposition de SUD et de Droits Devant de se joindre à l'action sur les Impôts. Il y
avait eu le 4 février 2010, une manifestation vers Bercy dans le cadre de la campagne anti-racket sur les Sans-Papiers. La direction de la CGT l'a combattu à l'époque avec l'argument « Il ne faut
pas tout mélanger ». Or, nous avons justement intérêt à montrer comment tout est lié.
Maintenant, ce n'est pas seulement l'union avec quelques fonctionnaires qui produira la victoire. Il faut aussi l'union
avec les salariés du bâtiment, de la restauration, du nettoyage ou de Rungis. Mais cette union y est difficile car ce sont des secteurs morcelés, de faible syndicalisation. Plus globalement, il
faut l'union avec l'ensemble des travailleurs. Nous essayons de la mettre en oeuvre à chaque fois que c'est possible. Comme pendant la grève pour les retraites en novembre dernier où le Collectif
a apporté son soutien et une collecte au piquet de grève devant l'usine de traitement des déchets ménagers à Ivry. Cela a été un moment très émouvant.
C'est en faisant des actions comme celle-là ou celle de Créteil, en les faisant connaître dans l'interpro, que nous
pourrons populariser l'idée, par exemple, d'une journée nationale de grève pour la régularisation de tous les sans-papiers.