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14 juin 2009 7 14 /06 /juin /2009 15:35
Dimanche 14 juin 2009
Emploi industriel : une journée à Montreuil

Nous avons publié il y a peu une série d'articles sur la défense de "l'emploi industriel", cheval de bataille de la Confédération depuis des années, revenu au devant de la scène avec la crise économique et les vagues de licenciements.
Manquait dans la série un avis sur le fond de la position de notre syndicat.
Soyons honnêtes : pas facile de trouver quelqu'un pour s'y coller, pour ingurgiter les documents (comme le 4 pages de campagne), les colloques, les analyses pour en sortir un résumé...
Aussi, avons-nous choisi de parler concret, en partant de ce qui se passe, la journée du 11 juin sur l'emploi industriel, "point d'orgue" (ou "temps fort", selon les versions) de l'intervention de la CGT.

500 militants dans le patio, bien loin des 1100 annoncés. Une centaine du Verre (reconnaissables à leur badge, manifestement pas un hasard), 160 seulement de la Métallurgie, carrément minable au regard des luttes en cours sur l'emploi. D'ailleurs, ce qui était frappant, c'était l'absence de ces camarades en lutte. Etrange, non ? Les premiers concernés par la défense de l'emploi ne se sentaient pas concernés par cette journée. Les camarades de Goodyear étaient ce même jour au siège à Rueil, ils auraient pu envoyer deux ou trois camarades pour une intervention de combat, ils ne l'ont pas fait. Déjà un signe.
Une assemblée, aux deux tiers de bureaucrates professionnels venus se montrer, pour un tiers de militants de terrain, un  peu perdus et assez remontés dans les couloirs contre la tactique perdante des journées d'action à répétition de la confédération. Mais, c'était Mohamed Oussedik, secrétaire de la fédération du Verre (ah, voilà, les badges, c'est pour montrer que c'était un bon petit soldat, qu'il avait bien fait son boulot !) et poulain de Le Duigou, qui était à la tribune sur l'emploi industriel, oui, Mohamed Oussedik, vous savez, le même qui vient de déclarer que "généraliser la grève affaiblirait l'action des salariés", allez tiens, on vous le met en direct :
Oui, le même dirigeant. Un deuxième signe qui ne trompe pas.

Les camarades de la Métallurgie du Nord Pas de Calais, venus initialement à l'offensive avec un appel à porter un autocollant d'opposition, sont repartis en fin de matinée, sans même avoir pris la parole. Il y avait une erreur d'analyse : cette assemblée n'était pas une assemblée de base et de lutte, mais de cogestion responsable, d'accompagnement responsable. Aucun intérêt de prendre la parole... personne à convaincre, et hélas pas d'opposition structurée à faire vivre et à afficher.

Retour à la Conférence et aux positions de la Confédération.
On va vous le faire en

  • "5 propositions"
  • "6 exigences" et
  • "10 leçons"
Et c'est pas un gag, on aime bien les énumérations à la Conf, ça remplace bien les démonstrations.

5 propositions. Ce sont les thèmes de lancement de la campagne, en février.

1 - Priorité au développement des ressources en emplois et en qualifications
2 - Accroître l’effort de recherche et d’innovation
3 - Développer une politique cohérente de l’énergie
4 - Assurer le financement de la croissance des entreprises
5 - Recréer les conditions d’une démocratie économique en en France et en Europe


On est en plein dans la tentative illusoire d'imaginer un capitalisme productif libéré des dérives et des excès de la sphère financière. Nous l'avons dit et répété : depuis maintenant un siècle, l'industrie et la finance ont fusionné en une seule entité que Lénine appelait l'impérialisme. De plus, et c'est une vieille histoire, la "croissance", la "recherche", la "production industrielle", "l'économie" ont perdu tout caractère de classe, en quelque sorte l'exploitation, les conditions de travail et de salaire, la guerre économique, tout cela s'est évaporé d'un seul coup. Alors bien sûr, il y a toutes les contorsions pour tenter le grand écart avec la défense des salariés, mais c'est évidemment impossible. Le talon de fer de la compétitivité, de la guerre économique, de la mondialisation imposera ses lois quelle que soit la bonne ou mauvaise volonté des hommes.
Ces propositions comportent quelques perles, en passant : "La CGT ne revendique pas le retour à « l’autorisation administrative de licenciements » mais exige le droit pour le Comité d’Entreprise de demander la suspension des licenciements, le temps d’examiner toutes les solutions alternatives." Autrement dit, on comprend quelque part qu'il y ait des licenciements, on accepte  la règle du jeu des restructurations et de la guerre économique (et donc la référence à la Sécurité Sociale Professionnelle), et on va discuter entre experts qualifiés de ce que sera le sort des ouvriers, qui eux, de toutes les façons n'ont pas vraiment leur mot à dire.
Sinon, lors de la Conférence, on a pu voir quelques phénomènes syndicaux se lancer dans des démonstrations redoutables, certains on se demande pourquoi les patrons n'y avaient pas pensé avant, les cons, d'autres (comme le DSC de Saint-Gobain) se contentant de répéter lamentablement et vaguement à la sauce CGT ce qu'ils avaient lu dans les brochures de propagande en papier glacé de leurs exploiteurs...


6 exigences, ce sont les thèmes rappelés dans la résolution finale de la Conférence de jeudi :

1 - Etablissement pour les comités d'entreprise d'un droit suspensif des plans de licenciements
2 - Totale transparence dans le contrôle des aides publiques versées aux entreprises
3 - Création d'un droit de négociation dans les filières et les chaînes de sous-traitance avec la mise en place de comités inter-entreprises
4 - Création de fonds régionaux pour la garantie et le développement de l'emploi industriel
5 - Mise en oeuvre d'un "pôle financier public"
6 - Elaboration d'un plan d'embauches et de formations de grande ampleur

On retrouve quelques propositions antérieures (le droit suspensif, plan d'embauche et de formation), certains autres sont détaillés (le financement des entreprises par un pôle public d'une part, et des fonds régionaux de l'autre), et on voit apparaître la sous-traitance.

Et oui, il y a deux éléments à retenir de cette conférence sur l'emploi industriel :
- La CGT redécouvre la sous-traitance. Nous n'aurons pas la cruauté de rappeler que la découpe des grandes industries date des années 70/80, que la sous-traitance s'est considérablement accentuée à cette époque, et que les syndicats CGT n'ont pas beaucoup bougé contre cette nouvelle forme de précarité. Les secteurs d'aristocrates ouvriers qui formaient le socle des syndicats des grandes entreprises ne se sentaient pas trop concernés par l'externalisation des secteurs les uns derrière les autres... Et le corporatisme d'entreprise, le "fédéralisme" que certains défendent à tort mordicus, a fait le reste.
Aujourd'hui, l'ampleur de la crise, le combat pour l'emploi féroce mené dans les entreprises sous-traitantes montre l'évidence du combat commun, c'est bien le minimum... Mais ne déboucher que sur des comités inter-entreprises, c'est vraiment la montagne qui accouche d'une souris, ou plutôt très exactement le domaine de prédilection des experts syndicaux qui vont pouvoir discuter d'égal à égal avec les experts patronaux et gouvernementaux, sur les stratégies industrielles, les choix de développement, les priorités de développement à donner au capital, pour "participer aux choix de gestion", c'est dit ouvertement.
On est bien loin de l'intérêt ouvrier ! Quand on voit que les syndicats ne sont même pas capables d'organiser une marche nationale pour l'emploi, que leur journée bidon de samedi a été un échec retentissant...

- Le deuxième élément qui ressortait de toutes les interventions, c'est le raisonnement en termes de "bassins d'emploi", de "territoires", du local (d'où d'ailleurs l'apparition des fonds régionaux - peut-être parce que c'est le PS qui gère les régions, et qu'on voit bien quand même la proximité des positions de la Confédération - sur le fond - avec le réformisme des gestionnaires locaux ?). Il semble que face à l'ampleur de la crise, les "solutions" imaginées par nos grosses têtes de la CGT ne soient pas très crédibles. Alors, on descend d'un cran, au niveau local, là où les bureaucraties, les fiefs de notables, les relations, sont plus efficaces. Le problème, c'est que les lois de la guerre économique sont les mêmes à tous les niveaux. Cela dit, on retrouve là une démarche à relier au 49ème Congrès Confédéral et à la transformation des structures.

Enfin, et là les syndicalistes de classe doivent se creuser la cervelle un peu plus. En conclusion de la journée à Montreuil, Bernard Thibault a fait une intervention assez classique, mais qui portait de manière implicite une critique aux combats en cours, comme à Continental, pour "vendre sa peau le plus cher possible", pour des primes et des sous.
Il faisait assez justement remarquer que l'argent ne remplace pas l'emploi, que la "meilleure indemnisation" ne permet jamais de compenser le "préjudice" de la perte de son emploi, que c'est une "bouffée d'oxygène" pas plus, dans "des territoires laissés à l'abandon".
On ne peut que penser à la Picardie, à la fermeture de Continental et de Goodyear, et cela renvoie à la déclaration de Mickaël Wamen, délégué de Goodyear, qui jugeait qu'à Continental, c'était un accord "honorable", mais que pour eux, Goodyear, c'était l'emploi la première priorité...

On aurait beau jeu de rappeler à Thibault que si les ouvriers des entreprises en lutte en arrivent à ne se battre que pour des indemnisations, c'est qu'ils ne voient pas d'autre issue, qu'ils se sentent abandonnés, livrés à leur petit "territoire" local, alors qu'ils sentent que les enjeux sont mondiaux, que la délocalisation, la guerre économique, ça ne peut pas se traiter sur un "bassin d'emploi"...

Cela dit, nous, syndicalistes de classe voyons en face de nous deux propositions :
- Vendre sa peau le plus cher possible, des indemnités, et le reste on s'en fout
- La version réformiste de la défense de l'emploi et d'un capitalisme régulé, parfaitement illusoire...
Quand nous mettons en avant "Zéro licenciement", c'est l'emploi que nous défendons, le refus de nous retrouver au chômage. C'est aussi un refus de rentrer dans la logique du capital : cette guerre économique n'est pas la nôtre, nous n'avons pas à en être la chair à canon, c'est à nos exploiteurs de nous trouver une solution, qu'ils se débrouillent comme ils veulent !
Voilà le sens que nous devons donner à la lutte pour l'emploi, avec comme seul guide : l'intérêt ouvrier et rien d'autre contre l'exploitation capitaliste !

Terminons par les "10 leçons".
Là on va faire bref, c'est déjà trop long. Peut-être on en reparlera, peut-être pas, c'est simplement le titre d'un nouveau livre de notre chéri préféré, Jean-Christophe Le Duigou, modestement titré "La crise et sa sortie en 10 leçons". Il a pas les chevilles qui enfle le chéri !!!
Donc exercice. Voici les 10 leçons, et à chacun(e) de les méditer à la lumière du reste de cet article, 5 propositions et 6 exigences à l'appui. Entre crochets, quelques aides pour ceux qui ont encore du mal.
Allez, au travail, on ramasse les copies dans deux heures.


1- Remettre l'économie au service des besoins humains fondamentaux [Et la limite du fondamental, elle est où ?]
2 - Passer du chacun pour soi au co-développement solidaire en Europe et dans le monde
3 - Reconstruire une politique industrielle en France et en Europe
4 - Imaginer un plein emploi qui sorte de la logique du marché du travail  [???]
5 - Inventer un rôle nouveau pour l'Etat et pour un bon usage des fonds publics [Au fait, c'est qui, l'Etat ?]
6 - Mettre en place une fiscalité plus juste [???]
7 - Redonner une nouvelle finalité aux banques [???]
8 - Réformer les organes de contrôle de la finance mondiale [alors, là, respect - trop fort !]
9 - Donner de vrais pouvoirs d'intervention aux territoires
10 - Obtenir des droits d'intervention des salariés sur les choix de gestion des entreprises [Aux salariés, ou aux experts ?]

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