Le Congrès, on le sait, a lieu en décembre.
Les textes ne seront finalement diffusés que début septembre dans les syndicats, alors qu'ils seront prêts avant les vacances... L'objectif est clair : limiter le temps de débat au maximum.
D'autant qu'à l'heure du débat, les délégués au Congrès seront déjà désignés. Sur quelle base ? Sur quelle position ? Pour défendre quoi ? Aucune idée. Ou plutôt sur les bases de la sociologie médiatico-pourrie, avec tant de femmes, tant d'immigrés, tant de jeunes (surtout des jeunes pas trop formés). Alors avec cette optique, une jeune beurette, c'est carrément "mot compte triple" - bien entendu sans aucune forme de mépris pour nos camarades syndicalistes jeunes ou rebeu qui font souvent un super boulot. C'est une image.
Car savez-vous, cette fois, c'est assez extraordinaire et digne des plus belles heures de la prétendue démocratie musclée des anciens pays de l'Est :
- On choisit les délégués, bien dans la ligne, surtout pas de vague et pas d'emmerdeurs
- On publie les textes
- Et les délégués vont développer l'orientation des textes.
Extrordinaire non ? La direction confédérale a découvert le mouvement perpétuel de l'auto-reproduction sans risques...
D'ailleurs, c'est pareil dans les UD et les Fédé. Lors de leurs congrès, pas question de remettre en cause l'orientation confédérale, donc pas de débat. Et ces structures choisissent ensuite les délégués au Congrès qui vont reproduire la Conf"...
Par ailleurs, on fait le ménage.
Partout, en silence ou dans la souffrance, mais on fait des vagues. Les opposants, quoi qu'ils défendent en fait, sont remis en place et les rênes repris en main par des fidèles.
Il y a les exemples connus du Nord Pas de Calais, de l'UL de Douai, de Cegelec, de Forclum, des CE SNCF. Il y a les manoeuvres moins connues à AREVA, SAVELYS, Maubeuge et dans de multiples endroits où ça ne se sait pas.
Les réformistes sont à l'offensive, d'ailleurs pas tellement pour exclure dans l'immédiat, mais pour brider, reprendre le contrôle partout où c'est possible. Offensive facilitée par l'incapacité des opposants à proposer un front commun d'opposition réelle, ne serait-ce que sur quelques points clés, mais en opposition ouverte et explicite avec le syndicalisme d'accompagnement de la direction confédérale. Nous renvoyons à un ancien article sur la question, ainsi qu'au bilan du meeting du 29 novembre dernier, qui n'a eu aucune suite.
Nous l'avons dit, nous le répétons depuis trois ans, nous continuerons à le répéter : ce qui se passe en ce moment dans la CGT, c'est ce qui s'est passé dans les années 70 à la CFDT. La CFDTisation, ce n'est pas seulement l'alignement sur Chérèque, c'est suivre le même chemin du syndicalisme gestionnaire, d'opposition responsable, d'interlocuteur privilégié du MEDEF et du gouvernement.
Pour revenir au débat du Congrès, nous avons dans l'ordre d'apparition :
- Le rapport de la commission Adhoc sur les structures qui date du 8 janvier.
- L'introduction de Bernard Thibault au CCN de février.
- Un texte soumis au débat sur le site de la CGT, sous la forme de forums, texte qui n'est en fait que la version allégée du rapport d'introduction de Thibault (texte précédent).
- Les textes discutés au CCN de mai
Que peut-on dire globalement de ces documents, qu'en ressort-il ?
D'abord parlons du texte de la commission sur les structures. Au risque de choquer une partie de nos lecteurs, ce texte comporte une série de constats qui méritent discussion :
- Les restructurations en série des entreprises ont bouleversé les champs professionnels;
- Avec la sous-traitance et la précarité, la notion d'entreprise vole souvent en éclat;
- Il faut diversifier les formes des syndicats pour s'adapter aux situations locales, syndicats de site, unions multiprofessionnelles etc.
- L'interprofessionnel doit avoir une place croissante dans le syndicalisme, le territoire doit s'adapter pour renforcer pour l'unité des salariés, et son périmètre doit d'adapter aux bassins d'emplois;
- Il faut remettre en cause les structurations particulières et spécifiques, par exemple la syndicalisation séparée des ICTAM (dans l'UGICT);
- Il faut rompre avec le fétichisme des structures et il faut faire le constat d'une bureaucratisation profonde du fonctionnement;
- La fragmentation en chapelles autonomes n'est ni plus ni moins que le certificat de décès du syndicalisme confédéré;
Mais on aurait complètement tort de faire l'inverse : de s'arcbouter sur le passé au nom de l'offensive réformiste confédérale. On aurait complètement tort de rejeter les syndicats de sites ou multiprofessionnels (comme l'USM Saint-Nazaire) au nom de la défense des conventions collectives. On ne doit pas défendre l'UGICT puisque la Confédé veut la ramener à une simple coordination, tenu compte de l'échec patent de son développement (mais on sait bien que si on se débarasse de l'UGICT aujourd'hui, c'est que la petite-bourgeoisie, les techniciens et cadres ont fini de prendre le pouvoir dans la Conf'). On ne doit pas se contenter de défendre l'existant en matière de fédérations. On ne doit pas nier la bureaucratisation des structures de la CGT, et le fait de faire du ménage. On ne doit pas refuser la place croissante de l'interprofessionnel etc.
Après, bien sûr, il ne faut pas être naïfs... Et mettre en relation ce document et les autres. Car s'il doit y avoir transformation des structures de la CGT, c'est en relation avec ce que nous appelons la CFDTisation.
Essayons de résumer ce que nous propose la direction confédérale - et en fait l'essentiel est dans l'introduction de Bernard Thibault. Nous nous excuserons d'être ici assez schématiques, mais nous irons à l'essentiel pour éviter d'être trop long. Il y aura donc un peu de caricature, mais on y reviendra au fil des prochains mois.
"Il faut construire un syndicalisme mieux reconnu comme acteur à part entière des transformations sociales"; "il faut sortir de l'entreprise pour devenir force de proposition au niveau national"
"Peser plus fortement sur les choix économiques et sociaux suppose de devenir un syndicalisme d'adhérents"
"Nous n'avons ni les forces organisées ni une organisation CGT nous permettant d'atteindre nos objectifs principaux"
"Nous devons franchir une nouvelle étape dans le domaine de la démocratie sociale"
Voilà l'essentiel.
C'est à dire qu'en résumé, l'objectif du syndicalisme devient
- peser sur les choix économiques (négociation permanente, les Grenelle);
- être acteurs de ces choix;
- gagner l'opinion (sondages, vote aux prud'hommes);
- être reconnu comme un acteur à part entière (financement, représentativité);
- dissocier le syndicalisme entre d'un côté l'adhérent qui cotise (cogetise) et qui manifeste et de l'autre l'expert national qui est acteur au nom de la Conf' (en passant, le nombre de permanents et conseillers plus ou moins connus a été multiplié par cinq alors que le nombre d'adhérents a été divisé par trois - cherchez l'erreur !);
- on atteint les objectifs pas à pas, c'est le réformisme théorisé.
C'est assez précisément un pas de plus dans la recherche d'un capitalisme démocratisé, vieille évolution de la CGT depuis l'échec des pays de l'Est et de la gauche au gouvernement. C'est le chemin qu'a déjà suivi la CFDT.
Pour conclure, juste histoire d'être bien compris :
- c'est la négociation permanente contre le rapport de forces;
- c'est le cas par cas contre le "Tous ensemble";
- c'est en même temps les discussions nationales contre les rapports de force à la base;
- c'est l'opinion contre l'action;
- c'est l'expert contre la masse;
- c'est l'adhérent contre le militant;
- c'est la manifestation contre la grève;
- c'est la réforme pas à pas contre la recherche d'une alternative au capitalisme;
Mais en ce sens, les structures actuelles de la CGT, basées avant tout sur des militants dans des syndicats d'entreprise locaux, sont dépassées et ne permettent pas l'évolution de la confédération. D'où le débat sur les structures...
Nous reviendrons plus tard sur une autre conception de classe que l'on pourrait avancer en opposition à la vision confédérale, tout en tenant compte des évolutions de la réalité du capitalisme.