Avant de revenir sur le procès qui vient de débuter, nous publions ci-dessous un ancien article du journal "Partisan" (N°160) publié en octobre 2001, juste après la catastrophe et rédigé par nos camarades de Toulouse.
Quand le terrorisme industriel ravage un tiers de la ville
L'insécurité, c'est eux
Tous les habitants de Toulouse le disaient depuis longtemps : cette usine va sauter un jour ou l'autre. Vendredi 21 septembre 2001, à 10h17, l'usine AZF qui produit des engrais chimiques, a effectivement explosé, tuant 30 personnes, principalement des ouvriers de l'usine ou des entreprises sous-traitantes, blessant des milliers de Toulousains, détruisant plus de 10 000 logements des quartiers populaires situés à proximité.
Malgré l'inquiétude et la mobilisation d'associations toulousaines depuis de nombreuses années, le groupe ATOFINA, propriétaire de cette usine, a toujours refusé de la déplacer, exerçant un chantage à la délocalisation.
Encore une fois, c'est le groupe TOTALFINA-ELF, le "fleuron de l'industrie française", qui est responsable. Comme d'habitude, les dirigeants prennent des mines attristées lorsqu'il y a un grand malheur, mais soyons sûrs que pour eux, le malheur, ce n'est pas la vie des ouvriers qu'ils ont sacrifiés, mais plutôt la perte d'une usine !
Il faudra plusieurs mois pour reloger les familles, réparer les dizaines de milliers de fenêtres emportées par le souffle, reconstruire les logements et les écoles.
Alors que les Toulousains vivent désormais dans la peur et dans le souvenir des scènes de guerre de ce vendredi-là, les actions de TOTALFINA-ELF montent à la Bourse...
Ce n'est pas une catastrophe naturelle
A Toulouse, certains profitent de la méfiance légitime des habitants vis à vis des pouvoirs publics, pour entretenir les pires rumeurs (comme celle d'une roquette tirée depuis un immeuble du Mirail etc.) et faire peser les soupçons sur la population immigrée en la désignant comme bouc-émissaire. Le but c'est aussi de détourner l'attention des vrais coupables.
Car même s'il s'agissait d'un attentat ou d'un acte de malveillance, la responsabilité de TOTALFINA-ELF serait la même. Le site, à l'intérieur de la ville, était dangereux, et notoirement mal entretenu. En témoignent ces dizaines d'intérimaires passés par AZF et qui au bout de quelques jours ne voulaient plus retourner dans la taule tellement les conditions de travail et de stockage des produits dangereux leur faisaient peur. En témoignent ces ouvriers de sous-traitance qui parlent de "dépotoir chimique".
La mairie et l'Etat ont bien sûr également leur part de responsabilité dans ce drame : les pouvoirs politiques ont toujours accepté la présence de cette usine, ils ont construit des logements sociaux à proximité, ils ont négligé le risque en préparant la population à un accident. Et la mairie qui aujourd'hui demande le déménagement du site, avait autorisé il y a dix ans l'extension de l'usine AZF.
Pourtant, ce site chimique était classé "Seveso II", ce qui signifie d'une part que le danger était connu, d'autre part que des plans de protection devaient être mis en place.
On le voit bien aujourd'hui, les soi-disant mesures de protection ne sont que du bluff : ce qui compte, c'est de faire des bénéfices et toujours plus de profits, pas de protéger les ouvriers et les habitants des quartiers populaires.
"Verts parce que rouges"
"La critique approfondie du capitalisme nous a conduit à prendre position sur le développement du nucléaire, et à dégager ainsi une démarche par rapport aux préoccupations écologiques.
Les catastrophes industrielles à grande échelle se sont multipliées ces dernières années. Elles ont provoqué une prise de conscience qui est à la base du succès écologiste. (...) Elles ont contribué à remettre en cause le modèle d'industrialisation actuellement dominant.
Mais le plus souvent cette critique en reste au niveau des abus, des excès du système. Or ces catastrophes ne sont que des conséquences du mode d'accumulation capitaliste, de la domination impérialiste, de la recherche de nouveaux débouchés pour un capitalisme en crise, et de la course effrénée à la compétitivité dans la guerre économique mondiale.
Le problème n'est pas qu'on touche à la nature, qu'il faudrait en quelque sorte "préserver". L'homme ne s'est-il pas détaché de l'animal précisément en transformant la nature ?
La question, c'est que la transformation inévitable de la nature doit être au service des êtres humains, actuels et futurs, et non pas au service de l'accumulation du capital. Seul le bouleversement des règles du jeu économique peut permettre le développement à long terme d'une conception durable, économique, anti-gaspillages, renouvelable... de l'utilisation des ressources de la planète. (...)
Nous nous démarquons à la fois des courants alternatifs et écologiques, qui en restent à la critique des conséquences du nucléaire sans remettre en cause le capitalisme, et des courants "productivistes" comme le PCF ou Lutte Ouvrière, qui parlent du "progrès" en général. Ces derniers défendent le nucléaire de ce point de vue, et considèrent qu'il suffit de changer quelques dirigeants à la tête de l'Etat pour résoudre le problème".
(Extrait de la plateforme politique de Voie Prolétarienne)
Mais combien y a-t-il d'usines, partout dans le monde, aussi, voire bien plus dangereuses que celle-ci ?
Si demain, suite à cette explosion, en France et en Europe les usines dangereuses sont soumises à une réglementation plus contraignante, si nombre d'entre elles ferment sûrement, il est certain qu'elles iront s'installer dans d'autres régions du monde, où les populations auront moins le choix de les refuser.
Tant que le monde sera régi par le besoin capitaliste d'accumuler les profits, nous n'échapperont pas à ces catastrophes. Tant que nous ne pourrons pas décider par nous-mêmes des produits dont nous avons besoin, et des moyens de les fabriquer, l'humanité sera toujours livrée à ces assassins.
Cette fois-ci, ELF et son patron Desmarets vont devoir payer. De nombreuses plaintes sont déjà déposées, demandant des indemnisations, mais aussi contre Desmarets personnellement.
Espérons qu'il soit condamné pour ce crime. Mais les prolétaires ne devront pas s'arrêter là. C'est le capitalisme qu'il faut condamner ! Et ces crimes continueront si nous ne prenons pas notre avenir en main pour faire qu'il en soit ainsi.
A Toulouse, un large mouvement se dessine pour demander la fermeture du site, qui compte en plus d'AZF, deux autres usines chimiques (qui appartiennent à l'Etat - dont la SNPE). Les bureaucraties syndicales CGT ou CFDT, gangrenées par le productivisme et l'esprit d'entreprise refusent, seules contre toute la population, cette fermeture. Elles jurent que le site est sûr, que l'activité peut reprendre, qu'il suffit de demander plus d'embauches pour assurer la sécurité. En fait, elles veulent continuer à faire confiance à ELF pour sauver des emplois. Voilà où mène la collaboration de classe ! Les prolétaires n'ont pas à choisir entre le chômage, les délocalisations et le risque de catastrophe : ils n'ont pas à chosir entre la peste et le choléra. Nous devons exiger la fermeture définitive de ce site et en même temps le reclassement de tous les ouvriers. Car la seule revendication qui soit juste aujourd'hui, qui marque les camps, c'est :
Fermeture immédiate et définitive du site, et
Zéro licenciement !