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30 août 2009 7 30 /08 /août /2009 12:12

Dimanche 30 août 2009

Lutter pour des emplois ou pour des sous ?


Le débat prend un peu d'ampleur autour de la lutte pour l'emploi. Les déclarations fracassantes de Xavier Mathieu, à France Info, Libération ou au Monde ont ouvert le débat, dans la mesure où, largement relayées, elles ont mis la confédération sur la défensive. D'où les réactions des responsables, structures ou lecteurs de ce blog.
Quelque part, c'est une bonne chose, parce que c'est un débat fondamental. Et il est particulièrement dommage qu'il soit escamoté dans la CGT, par exemple lors de la journée sur l'emploi industriel, ou dans le document d'orientation. Mais c'est vrai que dans la CGT, on n'a pas tellement la culture du débat ouvert et de la contradiction...

Cela dit, la manière dont le débat est présenté est quelque peu caricaturale :

  • On aurait d'un côté la CGT et ses positions historiques de défense de l'emploi, appuyées sur la SBFM ou Molex.
  • De l'autre les Conti, New Fabris ou autres qui ne se battent plus que pour des sous.

C'est un peu facile.

Une lectrice résume autrement, et de manière plus subtile :

"Je suis plutôt admirative du combat des Conti et de Xavier Mathieu notamment, même si je regrette aussi que le seul enjeu soit d'obtenir une prime de licenciement conséquente - ici 50 000 euros - la production se délocalise et il reste une friche industrielle, friches qui se développent en France et ailleurs en Europe à l'Ouest ainsi qu'aux USA pour produire dans les pays à bas coûts salariaux (et exploiter toujours plus ces masses de miséreux, hommes, femmes et enfants).
Je pense qu'il faudrait passer à un autre stade : s'approprier l'usine. Elle est aussi à ceux qui produisent - revivre Lip, l'autogestion (et dire que c'était le cheval de bataille de la CFDT à l'époque !)
Le combat ne peut s'arrêter à l'obtention d'une prime. Dans un sens, c'est donner raison aux actionnaires qui ont tout pouvoir sur l'entreprise et qui ne se soucient guère des dégâts humains que leurs décisions occasionnent. Ils payent et délocalisent. Ceux qui sont virés n'ont plus que leurs yeux pour pleurer.
La lutte a été belle et je veux la saluer ici. Mais demain, quel avenir pour la région, pour les jeunes ? Il faut penser à demain et tenter de construire aussi "des lendemains qui chantent""


Lutter pour des indemnités ?

D'un certain point de vue, la Conf' a raison, une fois n'est pas coutume, et nous ne devons pas lâcher prise dans la lutte pour l'emploi. Il y a déjà plus de 10 ans, dans notre petite plaquette sur la lutte pour l'emploi (voir ci-contre, en cliquant), nous nous opposions à la lutte pour des indemnités, à "vendre sa peau le plus cher possible" comme le théorise Lutte Ouvrière.

Revendiquer l'indemnité la plus importante possible pour le licenciement est le sentiment moyen de l'ouvrier qui n'en peut plus du bagne dans lequel il vit, qui ne supporte plus la tension et l'incertitude de la lutte (les camarades de Goodyear parlent à juste titre de "harcèlement"), qui ne veut plus qu'une chose, en finir et passer à "autre chose" et simplement récolter le plus de "thunes" possibles comme reconnaissance de son existence.

Revendiquer des indemnités c'est quelque part admettre pour l'ouvrier qu'il n'a qu'une marchandise à vendre, sa force de travail, qu'on accepte le jeu du marché capitaliste et qu'on liquide le stock au meilleur prix avant fermeture.

Qu'on s'entende bien : nous disons cela sans aucun mépris, car telle est la dure vie de l'ouvrier sous le talon de fer du capital.
Il faut de la conscience, de l'éducation, des luttes pour arriver à REFUSER cette loi qu'on veut nous imposer, pour affirmer NOS exigences CONTRE celles de nos ennemis de classe. C'est pour cela que les camarades de Goodyear, après trois ans de lutte féroce contre des vagues et des vagues de restructurations, sont aujourd'hui les mieux placés pour mener la lutte pour l'emploi.

A Continental, il faut le rappeler, la CGT était ultra-minoritaire, 17 syndiqués rappelle un lecteur. La CFTC était ultra majoritaire et avait entraîné les ouvriers à accepter le retour aux 40 heures, et mois après mois, année après année, restructuration après restructuration avait éduqué les ouvriers à se SOUMETTRE aux exigences patronales. Rien d'étonnant en ce sens que la lutte se soit menée sur des mots d'ordre en retrait.
D'autant plus, et l'heure est venue de régler des comptes, que Lutte Ouvrière, fortement  présente sur la région, a joué un rôle important dans le conflit en étant présente aux côtés des camarades les plus en pointe. Or depuis toujours, Lutte Ouvrière se refuse à la lutte pour la défense de l'emploi et revendique le combat pour des sous. "Vendre sa peau le plus cher possible" en cas de restructurations, voilà la perspective. Avec en arrière plan l'idée qu'il ne faut pas rentrer dans le jeu du capitalisme et une vision de l'emploi très étriquée : pour les camarades, l'emploi c'est un salaire et un point c'est tout...

Cela dit, nous ne reprochons pas à Lutte Ouvrière d'avoir été présente dans le conflit, elle a certainement contribué positivement à sa radicalisation. Nous lui reprochons d'avoir poussé la radicalisation de la lutte dans le sens spontané des ouvriers moyens, pour "des sous", au lieu d'ouvrir le débat sur la défense de l'emploi. La question qui se pose, c'est comment se fait-il que des camarades de la FNIC, ou de l'UD n'aient pas été présents aussi solidement pour porter un autre point de vue lors du conflit ?

Donc, sur le fond, c'est bien la lutte pour l'emploi que nous devons mener, pas la lutte pour des indemnités. De ce point de vue, nous sommes plus d'accord avec nos lecteurs et la Conf" et c'est pour cela qu'il existe sur ce blog une section bien fournie au titre évocateur "Lutter pour l'emploi, mais pas n'importe comment !"

La lutte pour l'emploi à la CGT

Oui, lutter pour l'emploi, mais pas n'importe comment justement.
Il faut revenir sur ce que la Conf' défend réellement. On l'a dit, le document d'orientation est silencieux sur le sujet. Mais il y a un document de synthèse, publié dans le Peuple du 17 décembre 2008 qui est assez éclairant.
Ce dossier ce présente comme un "mode d'emploi" pour les camarades confrontés aux restructurations.
Mode d'emploi en deux volets :

  1. Lutter sur le terrain juridique, les expertises, renforcer le pouvoir d'intervention des élus, pour démonter l'argumentaire de la direction et offrir de nouvelles perspectives. En gros "démontrer" la "mauvaise gestion" de la direction, en faisant abstraction de toutes les contraintes objectives du capitalisme.
  2. Quand cette bataille est passée, lutter pour les reclassements, la Sécurité Sociale Professionnelle et l'application du Nouveau Statut du Travail Salarié. On retombe donc sur le document d'orientation.

Mais de lutte radicale pour l'emploi, quels que soient le contexte et les arguments bourgeois (patronaux et gouvernementaux) pas la moindre trace... Quelque part, on retrouve le couple infernal des experts SECAFI/SODIE déjà bien dénoncé par ailleurs ! Mais rien sur la lutte indépendante des travailleurs, le rapport de force, la guerre de classe... Rien sur le refus de la logique et de la légitimité du capital, de la guerre économique.
Non pas que nous crachions sur la lutte juridique ou la contestation économique. Les camarades de Goodyear montrent en ce  moment que cela peut aider. Mais on n'oubliera pas que les tribunaux ont validé la fermeture de Continental, toutes les procédures ayant été respectées !

L'ouvrier, le travailleur doit se battre pour l'emploi, car c'est sa vie, dans tous les aspects (et pas seulement le salaire) qui est concernée. On ne peut accepter la disparition des emplois ouvriers, les déserts du chômage, la misère assurée à terme. Et cette bataille n'est pas perdue d'avance, comme d'ailleurs le fait remarquer à juste titre la Confédération sur plusieurs exemples, en oubliant simplement que ces luttes ne se sont pas menées d'abord pour un "projet industriel", mais d'abord et avant tout pour l'emploi, pour l'intérêt ouvrier, en mettant toutes les parties au pied du mur.
La CGT se gargarise de la victoire des SBFM, de la limitation des licenciements à SONAS, du combat des Molex qui savent mettre en cause les donneurs d'ordre que sont Renault et Peugeot.
Mais que fallait-il faire à Continental de ce point de vue ? Que faut-il dire à Goodyear aujourd'hui ?

L'intérêt ouvrier, c'est de se battre jusqu'au bout pour l'emploi, pour "Zéro licenciement", c'est de mettre en cause tous les responsables capitalistes, patrons, donneurs d'ordre, préfets, maires et ministres pour imposer le maintien de l'emploi, quoi qu'il en coûte... POUR EUX !

  • Nous ne défendrons pas la reprise par les ouvriers eux-mêmes sous forme de coopératives, comme on peut l'entendre à Molex. Toujours l'illusion qu'on pourrait s'en sortir autrement, et cette fois, les travailleurs s'exploitant eux-mêmes ! L'autogestion des LIP dont parle notre lectrice au début de cet article... valable en cours de lutte pour consolider un rapport de force, prendre l'usine en otage, mais impossible à faire vivre dans le marché capitaliste.
  • Nous défendrons le maintien de l'emploi par les responsables de la situation, les exploiteurs, quels qu'ils soient. Et si cela doit aboutir à une reprise par l'état ou autre, nous ne revendiquerons  pas cela comme une "nationalisation" (comme si cela était une solution), mais comme un état de fait imposé par les travailleurs aux exploiteurs !

La CGT passe à l'offensive contre les camarades de Continental, pour vendre sa camelote de "développement industriel durable", de "politique industrielle ambitieuse, créatrice d’emplois et de progrès social" qui embrouillent les ouvriers à tenter de chercher un "autre chemin" à l'intérieur même du capitalisme. En faisant cela, elle freine la combattivité et la radicalité des luttes, elle met tous ses espoirs non plus dans la force ouvrière, mais dans les mains des experts, elle enterre notre indépendance de classe et nos espoirs d'une autre société, d'un autre monde, "TRAVAILLER TOUS, MOINS ET AUTREMENT", dans une société libérée de l'exploitation et au service de l'homme.
Et là, oui, "nous prendrons les usines", et même tout le pouvoir politique !

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