Le document d’orientation a été publié sur le site confédéral fin juillet, avant d’être diffusé dans toutes les structures pour débat. Enfin, quand on dit débat… c’est histoire de dire, vu la manière dont ça se présente, on en a déjà parlé.
Cela dit, il n’est pas sans intérêt de s’arrêter sur ce document pour comprendre la logique confédérale à l’œuvre. Car c’est bien d’une logique générale qu’il s’agit, et disons-le tout nettement, ce texte n’est pas amendable. On ne pourrait à la limite que proposer un contre-texte au vote avec une perspective complètement différente, de lutte de classes, bien entendu.
Dans l'immédiat, nous proposons ici une critique en deux articles qui se suivent, également disponibles en version imprimable ci-contre.
Ce texte, assez compliqué à saisir, est structuré en trois parties :
- Une analyse du monde dans lequel nous vivons et des contradictions qui le traversent, en particulier avec la crise
- Un point de vue sur les luttes
- La transformation du mode de structuration de la CGT.
Dans quel monde vivons-nous ?
Le premier exercice un peu fastidieux, mais amusant, est de relever le vocabulaire utilisé. Nous l’avions fait en 2006 pour le 48ème Congrès, on peut refaire le test, et on s’aperçoit que ce nouveau document est plus subtil, plus élaboré que l’ancien. Bien sur, « la lutte des classe », la « classe ouvrière », « l’exploitation », le « marché » sont toujours absents. La « concurrence » n’existe qu’entre travailleurs et peuples, oui, cette fois les travailleurs sont cités, et le capital n’est pas vu du tout comme un rapport social d’exploitation (oui, évidemment si on ne parle pas d’exploitation…) mais comme un des partenaires de la société à côté du travail.
Surprise, énorme, la lutte pour l’emploi est absente du document, les mots mêmes de « restructuration », de « délocalisation » sont absents. Tout au plus parle-t-on de « chômage massif ». Quand on voit l’actualité de ces dernières années, il y a de quoi être perplexe…
Par contre, on voit apparaître d’autres formules : « développement humain durable », « logique de rentabilité financière », « transformer le contenu de la mondialisation ».
En fait, ce qui transparaît c’est une vision du monde, que l’on a déjà vu au 48ème Congrès et dans les textes autour de la Sécurité Sociale Professionnelle, en gros :
Le monde est en plein bouleversement, le travail se transforme en profondeur et c’est une évolution normale et inéluctable (I-17). Mais dans cette transformation, il y a deux logiques qui s’affrontent : celle de « la rentabilité financière », et de l’autre côté celle du « développement humain durable ». Il ne s’agit plus d’un système économique impitoyable avec ses règles objectives qui s’imposent à la volonté des hommes (concurrence, guerre économique, parts de marché etc.), mais d’un « bon choix » à faire. Il ne s’agit plus de capitalisme et d’exploitation, mais seulement d’un choix de société, plus ou moins bien fait.
A ce moment, on comprend mieux pourquoi les restructurations n’existent pas, pourquoi la lutte pour l’emploi est absente : finalement, du point de vue confédéral, ce ne sont que des évolutions "normales" de la société, dont la seule critique que l’on puisse faire, c’est dans ses conséquences, pas dans ses causes. On peut parler de chômage, pas de restructuration. On peut parler précarité, pas taux de profit. On peut parler de pénibilité, pas d’exploitation. On peut parler de licenciement boursier, pas de concurrence et de guerre économique.
Du coup, les revendications de Nouveau Statut du Travail Salarié et de Sécurité Sociale Professionnelle (I-38) apparaissent naturellement. Bien que ces mots d’ordre n’aient aucun succès dans la conf’ (tout le monde s'en fout tellement ils apparaissent abstraits et loin de la réalité quotidienne de la lutte des classes), ils occupent encore une bonne place dans le document. Normal : dans le cadre de changements « normaux », dûs seulement au progrès technique et au changement du travail, il suffit de trouver les meilleurs moyens pour s’adapter.
On constate d’ailleurs que la confédération ne cesse de rabaisser ses exigences : il ne s’agit maintenant que de « s’appuyer sur le droit existant pour le faire évoluer de manière dynamique » (I-61), « d’expérimenter la Sécurité Sociale Professionnelle dans certains bassins d’emplois » (I-118). On en arrive même à valoriser de manière non critique le Contrat de Transition Professionnelle dont la mise en place en son temps avait provoqué une belle passe d’arme entre Maryse Dumas et Maurad Rabhi, vous savez, celui pour qui « le grand soir c’est dans les livres »… En tous les cas, c'est apparemment lui qui l'a emporté !
Nous n’allons pas développer plus longtemps. Toute cette partie I repose sur l’idée que le rôle du syndicalisme est d’accompagner une évolution du monde qui est normale et inéluctable, en prétendant proposer d’autres choix possibles. On est très exactement dans le « réformisme », même s’il se présente comme conflictuel avec la « logique de rentabilité financière ».
Pour les camarades qui souhaitent approfondir sur ce qu’est le capitalisme, nous renvoyons à notre petit dictionnaire d’économie politique, qui lui-même renvoie à quelques autres documents complémentaires…
Sinon, sur cette première partie, quelques remarques supplémentaires en vrac :
- Quelques lignes à peine sur les sans-papiers, aucun développement, aucune proposition, alors que c’est un épisode majeur de la lutte des classes de ces dernières années où la confédération a joué, c’est le moins qu’on puisse dire, un rôle certain, sinon positif.
- Le travail décent et le développement humain durable, positions centrales de la CSI qui avaient provoqué de violents débats l’an dernier deviennent les positions officielles de la Conf (I-141), et en enfonçant le clou, s’il vous plaît. Normal à la lecture ci-dessus : c’est le « bon choix » opposé au « mauvais choix » de la logique de rentabilité financière.
- L’explication de la crise (I-7 * Nouvelle phase de la mondialisation qui a provoqué la mise en concurrence des travailleurs à une échelle sans précédent * Augmentation de la rentabilité du capital qui a accru la pression sur les salariés, développé la précarité et réduit l’investissement dans la sphère productive * Existence d’un volume impressionnant de liquidités qui a permis une inflation des actifs financiers et immobiliers) est parfaitement fausse, ne serait-ce que parce qu’elle ne fait commencer les problèmes qu’il y a 25 ans aux Etats-Unis (I-8) et escamote, nous l’avons dit, le principe même de la guerre économique. Pour les camarades qui veulent en savoir plus sur la question, un autre article sur ce blog.
- La question des « services publics » n’est abordée qu’autour de la santé, quelques mots vides sur l’école (I-37), rien sur les privatisations de la Poste, de l’ANPE, de la SNCF ou de l’énergie. Juste deux lignes en passant (I-21) pour dénoncer le fait qu’ils ont été « sommés d’intégrer les contraintes de la concurrence et d’appliquer des règles de gestion tournées vers la seule maîtrise des dépenses ». Quand on voit l’attaque frontale menée par le gouvernement ces dernières années sur les secteurs économiques dirigés par l’Etat, on est forcé de se poser des questions gênantes sur la complaisance que cela manifeste à l’égard du gouvernement Sarkozy/Fillon.
- Des formules creuses « C’est le moment de transformer le contenu de la mondialisation » qui sont totalement inaccessibles et renvoient au niveau mondial (et donc à l’impuissance) l’enjeu de la lutte des travailleurs. Comme si le niveau de la lutte des classes au niveau mondial était au niveau de cet enjeu !!!
Nous arrêterons là sur cette partie.
On pourrait développer sur de multiples questions, mais nous nous sommes attachés à aller à l'essentiel.
Le deuxième article, qui traite des parties 2 et 3 du document d'orientation, découle de cette vision du monde : il faut désormais adapter le syndicalisme, ses méthodes et sa structuration.