Mardi 24 Mai 2011
"Tout ça n'empêche pas, Nicolas, que la Commune n'est pas morte !"
Il y a 140 ans, Thiers mettait fin dans le sang à la première tentative d'instauration d'un pouvoir ouvrier.
Depuis, cette expérience reste au coeur des ouvriers et de tous les travailleurs, et chaque année nous la fêtons, à l'instar des Jeunes CGT de Limoges il y a quelques années (voir leur tract ICI). Quant à nous, sur ce blog, chacun(e) a pu noter la présence de Eugène Varlin en page d'accueil, communard, ouvrier, syndicaliste révolutionnaire, militant politique socialiste, un symbole pour tous les syndicalistes de classe d'aujourd'hui. Notre "saint patron" en quelque sorte, comme nous l'expliquons ailleurs !
Cette année, c'est une "dizaine" que nous fêtons, et l'anniversaire prend un peu plus de relief. Le journal du Congrès de l'UD
93 (qui vient de s'achever), reprend le titre du "Cri du Peuple" de Jules Vallès. Nos camarades de la FERCsup de Lille publient (ci-contre) un document commémoratif, et les initiatives se sont
multipliées ces dernières semaines.
Plutôt que de retracer une histoire plus ou moins connue, et qui peut facilement se retrouver dans toutes les bibliothèques, nous avons choisi de publier des extraits d'une oeuvre fameuse de Karl Marx, qui tirera un bilan "à chaud" (le 30 mai 1871) sous le titre "La Guerre Civile en France".
Car c'est bien ce bilan que nous avons besoin de comprendre et d'assimiler, encore aujourd'hui, au delà du romantisme de l'aventure révolutionnaire. Et la lecture un tout petit peu attentive montre sur nombre de points l'actualité brûlante, par exemple sur la justice ou la police, ou la préparation de 2012... L'intégralité du texte est disponible ICI, sur le site marxists.org.
La guerre civile en France (extraits)
À l'aube du 18 mars, Paris fut réveillé par ce cri de tonnerre : Vive la Commune! Qu'est-ce donc que la Commune, ce sphinx qui met l'entendement bourgeois à si dure épreuve ?
Les prolétaires de la capitale, disait le Comité central dans son manifeste du 18 mars, au milieu des défaillances et des
trahisons des classes gouvernantes, ont compris que l'heure était arrivée pour eux de sauver la situation en prenant en main la direction des affaires publiques... Le prolétariat... a compris
qu'il était de son devoir impérieux et de son droit absolu de prendre en main ses destinées, et d'en assurer le triomphe en s'emparant du pouvoir.
Mais la classe ouvrière ne peut pas se contenter de prendre tel quel l'appareil d'État et de le faire fonctionner pour son propre
compte.
Le pouvoir centralisé de l'État, avec ses organes, partout présents : armée permanente, police, bureaucratie, clergé et
magistrature, organes façonnés selon un plan de division systématique et hiérarchique du travail, date de l'époque de la monarchie absolue, où il servait à la société bourgeoise naissante d'arme
puissante dans ses luttes contre le féodalisme (...).
L'antithèse directe de l'Empire fut la Commune. Si le prolétariat de Paris avait fait la révolution de Février au cri de « Vive la
République sociale », ce cri n'exprimait guère qu'une vague aspiration à une république qui ne devait pas seulement abolir la forme monarchique de la domination de classe, mais la domination de
classe elle-même. La Commune fut la forme positive de cette république.
Paris, siège central de l'ancien pouvoir gouvernemental, et, en même temps, forteresse sociale de la classe ouvrière française,
avait pris les armes contre la tentative faite par Thiers et ses ruraux pour restaurer et perpétuer cet ancien pouvoir gouvernemental que leur avait légué l'empire. Paris pouvait seulement
résister parce que, du fait du siège, il s'était débarrassé de l'armée et l'avait remplacée par une garde nationale, dont la masse était constituée par des ouvriers. C'est cet état de fait qu'il
s'agissait maintenant de transformer en une institution durable. Le premier décret de la Commune fut donc la suppression de l'armée permanente, et son remplacement par le peuple en
armes.
La Commune fut composée des conseillers municipaux, élus au suffrage universel dans les divers arrondissements de la ville. Ils
étaient responsables et révocables à tout moment. La majorité de ses membres était naturellement des ouvriers ou des représentants reconnus de la classe ouvrière. La Commune devait être non pas
un organisme parlementaire, mais un corps agissant, exécutif et législatif à la fois. Au lieu de continuer d'être l'instrument du gouvernement central, la police fut immédiatement dépouillée de
ses attributs politiques et transformée en un instrument de la Commune, responsable et à tout instant révocable. Il en fut de même pour les fonctionnaires de toutes les autres branches de
l'administration. Depuis les membres de la Commune jusqu'au bas de l'échelle, la fonction publique devait être assurée pour un salaire d'ouvrier. Les bénéfices d'usage et les indemnités de
représentation des hauts dignitaires de l'État disparurent avec ces hauts dignitaires eux-mêmes. Les services publics cessèrent d'être la propriété privée des créatures du gouvernement central.
Non seulement l'administration municipale, mais toute l'initiative jusqu'alors exercée par l'État fut remise aux mains de la Commune.
Une fois abolies l'armée permanente et la police, instruments du pouvoir matériel de l'ancien gouvernement, la Commune se donna
pour tâche de briser l'outil spirituel de l'oppression, le pouvoir des prêtres; elle décréta la dissolution et l'expropriation de toutes les Églises dans la mesure où elles constituaient des
corps possédants. Les prêtres furent renvoyés à la calme retraite de la vie privée, pour y vivre des aumônes des fidèles, à l'instar de leurs prédécesseurs, les apôtres. La totalité des
établissements d'instruction furent ouverts au peuple gratuitement, et, en même temps, débarrassés de toute ingérence de l'Église et de l'État. Ainsi, non seulement l'instruction était rendue
accessible à tous, mais la science elle-même était libérée des fers dont les préjugés de classe et le pouvoir gouvernemental l'avaient chargée.
Les fonctionnaires de la justice furent dépouillés de cette feinte indépendance qui n'avait servi qu'à masquer leur vile
soumission à tous les gouvernements successifs auxquels, tour à tour, ils avaient prêté serment de fidélité, pour le violer ensuite. Comme le reste des fonctionnaires publics, magistrats et juges
devaient être élus, responsables et révocables.
La Commune de Paris devait, bien entendu, servir de modèle à tous les grands centres industriels de France. Le régime de la
Commune une fois établi à Paris et dans les centres secondaires, l'ancien gouvernement centralisé aurait, dans les provinces aussi, dû faire place au gouvernement des producteurs par eux-mêmes.
Dans une brève esquisse d'organisation nationale que la Commune n'eut pas le temps de développer, il est dit expressément que la Commune devait être la forme politique même des plus petits
hameaux de campagne et que dans les régions rurales l'armée permanente devait être remplacée par une milice populaire à temps de service extrêmement court. Les communes rurales de chaque
département devaient administrer leurs affaires communes par une assemblée de délégués au chef-lieu du département, et ces assemblées de département devaient à leur tour envoyer des députés à la
délégation nationale à Paris; les délégués devaient être à tout moment révocables et liés par le mandat impératif de leurs électeurs. Les fonctions, peu nombreuses, mais importantes, qui
restaient encore à un gouvernement central, ne devaient pas être supprimées, comme on l'a dit faussement, de propos délibéré, mais devaient être assurées par des fonctionnaires de la Commune,
autrement dit strictement responsables. L'unité de la nation ne devait pas être brisée, mais au contraire organisée par la Constitution communale; elle devait devenir une réalité par la
destruction du pouvoir d'État qui prétendait être l'incarnation de cette unité, mais voulait être indépendant de la nation même, et supérieur à elle, alors qu'il n'en était qu'une excroissance
parasitaire. Tandis qu'il importait d'amputer les organes purement répressifs de l'ancien pouvoir gouvernemental, ses fonctions légitimes devaient être arrachées à une autorité qui revendiquait
une prééminence au-dessus de la société elle-même, et rendues aux serviteurs responsables de la société. Au lieu de décider une fois tous les trois ou six ans quel membre de la classe dirigeante
devait « représenter » et fouler aux pieds le peuple au Parlement, le suffrage universel devait servir au peuple constitué en communes, comme le suffrage individuel sert à tout autre employeur en
quête d'ouvriers, de contrôleurs et de comptables pour son affaire. Et c'est un fait bien connu que les sociétés, comme les individus, en matière d'affaires véritables, savent généralement mettre
chacun à sa place et, si elles font une fois une erreur, elles savent la redresser promptement. D'autre part, rien ne pouvait être plus étranger à l'esprit de la Commune que de remplacer le
suffrage universel par une investiture hiérarchique (...).
La multiplicité des interprétations auxquelles la Commune a été soumise, et la multiplicité des intérêts qu'elle a exprimés
montrent que c'était une forme politique tout à fait susceptible d'expansion, tandis que toutes les formes antérieures de gouvernement avaient été essentiellement répressives. Son véritable
secret, le voici : c'était essentiellement un gouvernement de la classe ouvrière, le résultat de la lutte de la classe des producteurs contre la classe des appropriateurs, la forme politique
enfin trouvée qui permettait de réaliser l'émancipation économique du travail.
Sans cette dernière condition, la Constitution communale eût été une impossibilité et un leurre. La domination politique du
producteur ne peut coexister avec la pérennisation de son esclavage social. La Commune devait donc servir de levier pour renverser les bases économiques sur lesquelles se fonde l'existence des
classes, donc, la domination de classe. Une fois le travail émancipé, tout homme devient un travailleur, et le travail productif cesse d'être l'attribut d'une classe.
C'est une chose étrange. Malgré tous les discours grandiloquents, et toute l'immense littérature des soixante dernières années sur
l'émancipation des travailleurs, les ouvriers n'ont pas plutôt pris, où que ce soit, leur propre cause en main, que, sur-le-champ, on entend retentir toute la phraséologie apologétique des
porte-parole de la société actuelle avec ses deux pôles, capital et esclavage salarié (le propriétaire foncier n'est plus que le commanditaire du capitaliste), comme si la société capitaliste
était encore dans son plus pur état d'innocence virginale, sans qu'aient été encore développées toutes ses contradictions, sans qu'aient été encore dévoilés tous ses mensonges, sans qu'ait été
encore mise à nu son infâme réalité. La Commune, s'exclament-ils, entend abolir la propriété, base de toute civilisation. Oui, messieurs, la Commune entendait abolir cette propriété de classe,
qui fait du travail du grand nombre la richesse de quelques-uns. Elle visait à l'expropriation des expropriateurs. Elle voulait faire de la propriété individuelle une réalité, en transformant les
moyens de production, la terre et le capital, aujourd'hui essentiellement moyens d'asservissement et d'exploitation du travail, en simples instruments d'un travail libre et associé. Mais c'est du
communisme, c'est l' « impossible» communisme! Eh quoi, ceux des membres des classes dominantes qui sont assez intelligents pour comprendre l'impossibilité de perpétuer le système actuel - et ils
sont nombreux - sont devenus les apôtres importuns et bruyants de la production coopérative. Mais si la production coopérative ne doit pas rester un leurre et une duperie; si elle doit évincer le
système capitaliste; si l'ensemble des associations coopératives doit régler la production nationale selon un plan commun, la prenant ainsi sous son propre contrôle et mettant fin à l'anarchie
constante et aux convulsions périodiques qui sont le destin inéluctable de la production capitaliste, que serait-ce, messieurs, sinon du communisme, du très « possible » communisme ?
La classe ouvrière n'espérait pas des miracles de la Commune. Elle n'a pas d'utopies toutes faites à introduire par décret du
peuple. Elle sait que pour réaliser sa propre émancipation, et avec elle cette forme de vie plus haute à laquelle tend irrésistiblement la société actuelle en vertu de son propre développement
économique, elle aura à passer par de longues luttes, par toute une série de processus historiques, qui transformeront complètement les circonstances elles-mêmes. Elle n'a pas à réaliser d'idéal,
mais seulement à libérer les éléments de la société nouvelle que porte dans ses flancs la vieille société bourgeoise qui s'effondre. Dans la pleine conscience de sa mission historique et avec la
résolution héroïque d'être digne d'elle dans son action, la classe ouvrière peut se contenter de sourire des invectives grossières des laquais de presse et de la protection sentencieuse des
doctrinaires bourgeois bien intentionnés qui débitent leurs platitudes d'ignorants et leurs marottes de sectaires, sur le ton d'oracle de l'infaillibilité scientifique.
Quand la Commune de Paris prit la direction de la révolution entre ses propres mains; quand de simples ouvriers, pour la première
fois, osèrent toucher au privilège gouvernemental de leurs « supérieurs naturels», les possédants, et, dans des circonstances d'une difficulté sans exemple, accomplirent leur oeuvre modestement,
consciencieusement et efficacement (et l'accomplirent pour des salaires dont le plus élevé atteignait à peine le cinquième de ce qui, à en croire une haute autorité scientifique, le professeur
Huxley, est le minimum requis pour un secrétaire du conseil de l'instruction publique de Londres), le vieux monde se tordit dans des convulsions de rage à la vue du drapeau rouge, symbole de la
République du travail, flottant sur l'Hôtel de Ville (...).
La grande mesure sociale de la Commune, ce fut sa propre existence et son action. Ses mesures particulières ne pouvaient
qu'indiquer la tendance d'un gouvernement du peuple par le peuple. Telles furent l'abolition du travail de nuit pour les compagnons boulangers; l'interdiction, sous peine d'amende, de la pratique
en usage chez les employeurs, qui consistait à réduire les salaires en prélevant des amendes sur leurs ouvriers sous de multiples prétextes, procédé par lequel l'employeur combine dans sa propre
personne les rôles du législateur, du juge et du bourreau, et empoche l'argent par-dessus le marché. Une autre mesure de cet ordre fut la remise aux associations d'ouvriers, sous réserve du
paiement d'une indemnité, de tous les ateliers et fabriques qui avaient fermé, que les capitalistes intéressés aient disparu ou qu'ils aient préféré suspendre le travail.
Les mesures financières de la Commune, remarquables par leur sagacité et leur modération, ne pouvaient être que celles qui sont
compatibles avec la situation d'une ville assiégée. Eu égard aux vols prodigieux commis aux dépens de la ville de Paris par les grandes compagnies financières et les entrepreneurs de travaux
publics sous le régime d'Haussmann, la Commune aurait eu bien davantage le droit de confisquer leurs propriétés que Louis Napoléon ne l'avait de confisquer celles de la famille d'Orléans. Les
Hohenzollern et les oligarques anglais, qui, les uns et les autres, ont tiré une bonne partie de leurs biens du pillage de l'Église, furent bien entendu, grandement scandalisés par la Commune
qui, elle, ne tira que 8.000 francs de la sécularisation (...).
Quel changement prodigieux, en vérité, que celui opéré par la Commune dans Paris! Plus la moindre trace du Paris dépravé du second
Empire. Paris n'était plus le rendez-vous des propriétaires fonciers britanniques, des Irlandais par procuration, des ex-négriers et des rastaquouères d'Amérique, des ex-propriétaires de serfs
russes et des boyards valaques. Plus de cadavres à la morgue, plus d'effractions nocturnes, pour ainsi dire pas de vols; en fait, pour la première fois depuis les jours de février 1848, les rues
de Paris étaient sûres, et cela sans aucune espèce de police. « Nous n'entendons plus parler, disait un membre de la Commune, d'assassinats, de vols, ni d'agressions; on croirait vraiment que la
police a entraîné avec elle à Versailles toute sa clientèle conservatrice ». Les cocottes avaient retrouvé la piste de leurs protecteurs, - les francs-fileurs, gardiens de la famille, de la
religion et, par-dessus tout, de la propriété. A leur place, les vraies femmes de Paris avaient reparu, héroïques, nobles et dévouées, comme les femmes de l'antiquité. Un Paris qui travaillait,
qui pensait, qui combattait, qui saignait, ou liant presque, tout à couver une société nouvelle, les cannibales qui étaient à ses portes, -radieux dans l'enthousiasme de son initiative historique
!
En face de ce monde nouveau à Paris, voyez l'ancien monde à Versailles, - cette assemblée des vampires de tous les régimes
défunts, légitimistes et orléanistes, avides de se repaître du cadavre de la nation, - avec une queue de républicains d'avant le déluge, sanctionnant par leur présence dans l'Assemblée la
rébellion des négriers, s'en remettant pour maintenir leur république parlementaire à la vanité du vieux charlatan placé à la tête du gouvernement, et caricaturant 1789 en se réunissant, spectres
du passé, au Jeu de Paume. C'était donc elle, cette Assemblée, la représentante de tout ce qui était mort en France, que seul ramenait à un semblant de vie l'appui des sabres des généraux de
Louis Bonaparte! Paris toute vérité, Versailles tout mensonge; et ce mensonge exhalé par la bouche de Thiers !