Lundi 3 janvier 2011
Avec les Fralib de Géménos contre l’exploitation et la fermeture de l’usine
Les Fralib, dont les dirigeants syndicaux CGT et CGC viennent d'être assignés au tribunal pour atteinte à l'honneur d'Unilever (!!), et lancent une campagne de boycott des thés Lipton. On peut suivre leur combat sur leur site : http://cgt.fralibvivra.over-blog.com/
Le document de 4 pages des Fralib Gemenos (ci-contre en téléchargement) pose des bases très riches pour la lutte qu’ils ont engagée contre la fermeture de l’usine. Reprenons-en les éléments essentiels (précisons quand même qu’il ne s’agit pas pour nous dans ce document d’ergoter ou de diviser, mais de débattre et avancer sur les axes de lutte les plus justes et efficaces) :
- Usine modernisée sur le dos du contribuable français. C’est bien vrai que les entreprises sont passées
maîtres dans l’art de récolter des subventions. Il faut les payer pour qu’elles viennent nous exploiter ! On a même des entreprises dont c’est la source principale de profit, Ryanair l’a
démontré. Mais cet arbre bourgeonnant ne doit pas cacher la forêt : c’est l’exploitation ouvrière qui fait prospérer les entreprises. C’est le capitalisme qui est un système-voyou, pas seulement
certains capitalistes particulièrement habiles et cyniques.
- Unilever détruit l’emploi. Le moteur des pertes d’effectifs dans toutes les industries, ce n’est pas tant
les délocalisations ou les faillites, c’est l’augmentation de la productivité. Pour le profit bien sûr, pas pour soulager la peine des ouvriers ! Et les prix ne baissent même pas du
tout en fonction de cette augmentation, l’essentiel va aux bénéfices, c’est fait pour ça.
- Ils l’ont fait partout en France… et ailleurs (Unilever est une multinationale, ne l’oublions pas). Et
les multinationales à base française le font aussi, ici et ailleurs, c’est leur fonctionnement, ils n’en ont pas d’autres et ils s’en vantent : on n’est pas des sociétés philanthropiques !
- Unilever vole les consommateurs. Disons qu’il s’autorise un surprofit, avec ses doses de thé qui vont en
diminuant dans chaque sachet. C’est une manœuvre supplémentaire pour accroître ses profits sur le dos du client final. Mais ce serait quoi, un juste prix ? Quand on achète un sachet de
1,6gr ou même de 2gr, on paie une partie de l’amortissement des machines, un partie des petits salaires des ouvriers (et des bons salaires des cadres), les locaux, l’électricité, le travail des
paysans, l’essence des transporteurs… Mais aussi le bénef des actionnaires, le bénef de l’entreprise, les impôts de la société (ceux qu’elle paie), les bénefs de l’importateur de thé, celui du
transporteur jusqu’en France, celui du transporteur jusqu’au supermarché.... En somme, on paie toutes les conditions de production d’un sachet de thé dans les conditions sociales où il a été
produit, et qu’on finance avec notre achat, d’accord ou pas. Unilever travaille justement à ce que la partie qui lui revient à lui soit la plus grande possible, puisqu’il s’en fout complètement
et du thé, et des consommateurs. La seule façon de ne pas être volé par nos achats, c’est d’acheter des produits qui ne seraient pas des marchandises, pas le produit de l’exploitation de l’homme.
Pas facile dans notre environnement capitaliste !
- Matières premières qu’ils achètent au même prix depuis 20 ans. Voilà l’autre grand exploité de l’affaire
: les paysans producteurs de thé, en général des petits exploitants d’Asie, plus rarement des ouvriers agricoles. Dire que le thé est payé au même prix depuis 20 ans, c’est aussi faire
comprendre que l’intensité de l’exploitation de ceux-là s’est aussi drôlement développée en 20 ans, vu l’élévation générale des prix pendant cette période… Mais pas facile d’organiser une lutte
solidaire avec des milliers de paysans dispersés à des milliers de km. C’est vers ce type de société et de solidarité qu’il faut pourtant aller.
- Les actionnaires se gavent. Oui, d’autant plus avec le capitalisme dans sa version libérale car les
profits nés de l’industrie entrent en concurrence avec les rendements des capitaux spéculatifs et sont poussés à des rendements extravagants à court terme, quitte à aller se placer ailleurs quand
le filon s’épuise. Mais cela ne doit pas nous faire oublier que le problème de fond se pose non en termes salariés-actionnaires, mais d’exploitation, de classes, prolétariat-bourgeoisie. Certains
salariés aussi « se gavent » sur le dos du système, vivent bien avec une part de la plus-value qu’ils récupèrent : cadres de l’entreprise, mais aussi dirigeants de l’appareil d’Etat (avec qui
tous les mélanges sont possibles, ce sont les mêmes, de Proglio à Aubry et Strauss-Kahn, qui irriguent le « public » et le privé), des médias, des banques, députés… Les actionnaires ne sont que
la partie émergée de ceux qui se gavent de l’exploitation ouvrière.
- Unilever vole l’Etat français. Oui, Unilever pousse les avantages du système (le sien, fait pour lui)
jusqu’au bout dans tous les domaines. Puisque la société est organisée autour du profit, des tas de solutions existent pour échapper à l’impôt que paie les employés standards en France. Les
vedettes du show-biz l’ont bien compris aussi. Appeler ça du vol gène sur deux aspects : ça a l’air de dire que les sociétés qui paient leurs impôts en France ne volent pas, alors que leur
activité, et les bénéfices sur lesquelles elles paient des impôts, sont basées sur l’extorsion de plus-value de tous ses productifs. Et puis aussi, ça dit doucement que c’est notre Etat (l’Etat
des Français comme ils l’appellent !) qui serait volé. Alors que ce qu’on doit expliquer, c’est qu’il constitue au fond le quartier général de la classe dominante, la bourgeoisie. Il est là pour
organiser le fonctionnement d’ensemble de l’exploitation. Le rapport de force peut amener à des victoires partielles contre lui (le CPE par exemple, qu’on a pu faire sauter. Mais combien d’autres
mesures aggravant l’exploitation sont passées depuis !). Mais qu’on ne compte pas sur l’Etat pour s’opposer aux multinationales, il défend leurs intérêts… Rappelez-vous aussi les promesses de
Sarkozy disant qu’il allait combattre les paradis fiscaux ! Il faudrait être bien naïf pour le croire… Non, l’Etat actuel ne sera pas avec nous contre les multinationales, ne semons pas
d’illusions (ce que faisait la revendication de nationalisation en partie portée dans le conflit du printemps).
- L’usine de Géménos a toute sa légitimité. Absolument. Mais pas parce que le thé mis en sachet à Géménos
est principalement vendu en France. La vraie légitimité ne serait-elle pas que ces sachets soient fabriqués et importés d’Inde ou du Sri Lanka par les producteurs associés ? Alors, une entreprise
tournée vers l’exportation n’aurait pas de légitimité (ni les producteurs de riz, de bananes, d’ordinateurs et de chaussures) ? Et que dire des fabrications parasitaires comme les produits de
luxe ou les usines d’armement ? La légitimité profonde des Fralib, elle vient de ce qu’ils produisent des choses utiles et vivent de leur travail, que leur vie dépend de leur emploi et qu’il
n’est pas acceptable qu’ils soient jetés comme des Kleenex usagés parce qu’Unilever veut faire plus de profits ailleurs. Sinon, on rentre dans un système de concurrence entre boites ou pays,
Bruxelles contre Géménos, la France contre la Pologne, ce que demande les gouvernements et les multinationales qui cherchent à nous mettre en concurrence entre exploités, sachant très bien
utiliser nos divisions. « Il serait indécent que le marché français ne soit pas couvert pour partie par une usine française » dit le tract. Non, l’indécence est dans l’exploitation capitaliste en
général, pas dans le marché français couvert ou pas couvert. On ne peut pas raisonner comme cela dans un pays impérialiste comme la France, qui pille tant de peuples, exploite tant d’ouvriers de
tous les pays ici et partout dans le monde. Produisons français est déjà faux. Mais il mène en plus à « avec des Français » dans sa logique nationaliste. La réponse aux multinationales
capitalistes doit être ouvrière, pas nationale. « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous », voilà le mot d’ordre anti-capitaliste.
- Le coût salarial est dérisoire. En effet, il représente moins de 1% de prix final d’une boite de thé !
Cela traduit autrement l’énorme augmentation de productivité obtenue des travailleurs (multipliée par 8 depuis les années 70 d’après les chiffres donnés !). Toujours plus de machines, toujours
moins de main d’œuvre. On est au cœur des contradictions du capitalisme, puisque c’est la main d’œuvre qui est la source du profit ! Et cela montre aussi comme le système est pourri : ça
pourrait être formidable tout ce temps de travail libéré ! Mais ce sont les dirigeants, les actionnaires et l’entreprise qui s’en gavent, comme dit le tract. Et pourtant, Unilever a refusé une
vraie augmentation de salaires lors de la longue lutte du printemps 2010 à Géménos. Oui, les richesses créées sont bien mal réparties et ce sera comme ça tant qu’on n’aura pas mis les exploiteurs
et leur système dehors.
- C’est en France qu’Unilever réalise l’essentiel de ses profits. Sans doute, alors il faut comprendre
pourquoi ils veulent justement tuer la poule aux œufs d’or. Sont-ils franchement bêtes et aveugles ? Saurions-nous mieux gérer qu’eux ? Non, il faut comprendre la logique qui les anime pour les
combattre. La logique, c’est bien dit dans le texte, c’est celle du profit maximum, pas d’illusion à se faire. La lutte du printemps 2010 (9 semaines de lutte sur les salaires) y serait-elle pour
quelque chose ? Même pas, il semble que la décision d’éliminer l’usine de Géménos date d’avant. Le 4 pages explique bien que le marché est segmenté et que dans son segment (les thés verts et
parfumés), Géménos et le marché français sont leaders du marché à plus forte rentabilité. Alors ? La réponse est plus loin : concentrer un peu plus l’outil de travail pour augmenter la part des
actionnaires. En l’absence d’autres éléments, cela semble le plus logique : diminuer les coûts fixes que représente une usine en concentrant les productions (l’augmentation continue de
productivité entraine des surcapacité de production en permanence). Après entrent aussi des éléments politiques : de même que Renault a préféré supprimer l’usine de Vilvorde, la plus rentable du
groupe, pour ne pas avoir à fermer une usine française (et ainsi ne plus produire en Belgique, où ses parts de marché sont pourtant importantes), Unilever, à base hollandaise, préfère sans doute
supprimer une usine en France qu’en Belgique. Mais ce n’est qu’une hypothèse.
- La baisse de rentabilité pèserait sur les investissements publicitaires. Le 4 pages a bien raison de
contrer ces arguments fumeux. La publicité n’est qu’une activité parasitaire essayant de parer à l’anarchie du marché (on produit pour faire du bénéfice, pas pour satisfaire des besoins humains).
Il n’y a pas de culpabilité à avoir, même si les productions d’un site ne sont pas validées par le marché, la défense des travailleurs doit être indépendante de cette logique capitaliste.
- Il faut changer de logique et de société. La compréhension de l’attitude d’Unilever pousse les Fralib à
cette conclusion et nous sommes bien d’accord. Deux logiques s’affrontent. Si on adopte celle d’Unilever, le profit, on va aboutir aux mêmes conclusions, sauf à penser que les multinationales ne
savent pas gérer leur croissance, ce qui peut arriver (GM, IBM en sont des exemples) mais n’est pas l’essentiel. Les ouvriers doivent se placer dans une autre logique, celle de leurs intérêts,
qui rentre justement en conflit avec l’exigence de profit (fait avec leur sueur et qui est conçu pour leur échapper).
Alors, à partir de là :
- oui à l’interdiction des licenciements (boursiers ou non, la rentabilité d’une entreprise nous échappe trop pour s’y soumettre)
- oui à replacer les salariés au centre des priorités (ce qui signifie d’ailleurs interdiction des licenciements, boursiers ou non !)
- oui à une autre répartition des richesses (elle peut être « meilleure » dans le cadre du capitalisme, en imposant des reculs, comme en 1968, mais ils sont vite récupérés ; soit une « autre » répartition, selon une autre logique : aux producteurs les fruits de leur travail, mais alors, ce n’est plus dans le cadre du capitalisme)
- financer l’emploi et le progrès social. Oui, avec la même précision que la précédente : le capitalisme ne peut pas l’accorder durablement, c’est bien d’un changement de logique et de société dont il est question au fond.
Oui, c’est l’articulation entre la lutte concrète des Fralib contre la perte de leur emploi et le changement nécessaire de société qui doit guider leur combat et le mènera au succès…
(texte également disponible en version imprimable - ci-contre)