Le meeting organisé par l’UD 75 et Droits Devant ! Le jeudi 12 dans le 13e arrondissement a réuni plus de 1500 personnes. A plus de 80% des travailleurs sans papiers en lutte.
Cette forte participation, l’enthousiasme combatif de l’assistance et la participation de travailleuses sans papiers, permettent de mesurer le chemin parcouru depuis le meeting de Saint Denis en février. Deux mois de grèves, deux vagues d’occupation, témoignent de la détermination, et du courage de ces travailleurs qui sont sortis de l’ombre. Cela a été dit par les intervenants (Chauveau de L’UL Massy, JC Amara de Droits Devant, une femme sans papiers, deux grévistes, Une militante de Femmes Egalité, E. Terray et Francine Blanche pour la Confédération CGT) qui soulignaient la dynamique de la lutte qui devait être menée “ jusqu’au bout ”. L’intervention de Fanta, travailleuse gréviste, a été particulièrement forte. Elle dénonçait la situation de fragilité des femmes qui permet de leur imposer des conditions de travail les plus difficiles. Mais, elle n’en resta pas au constat. “ Sans papiers n’est pas une fatalité, dit-elle, battons-nous pour notre droit. Personne ne le fera à notre place. C’est nous et nous seuls qui pouvons résoudre cette question, avec l’appui des syndicats, des associations. Je dis aux femmes gardons l’espoir dans la bataille qui ne fait que commencer. Oser lutter, C’est oser vaincre ! ”.
Chauveau reconnaissait que le compte n’y était pas en terme de régularisation. Mais le ton était pourtant plus à la satisfaction (voire à l’auto satisfaction), qu’à donner des perspectives au mouvement. Bref si Chauveau affirmait qu’après “ ce meeting, il ne fallait pas en rester là ”, à part la préparation d’une troisième vague, rien n’a été dit quant aux moyens de renforcer l’unité autour du mouvement. Plusieurs questions ont été ainsi esquivées.
1 Pourquoi luttons-nous ? Pour l’UL Massy, Droit Devant, Femme Egalité, la CGT confédérale, l’objectif est la régularisation des travailleurs sans papiers “ Ils bossent ici, ils vivent ici, ils restent ici… ”. Seul E Terray, parlant au nom du collectif contre une immigration jetable, a affirmé (avec beaucoup de prudence) que le but était la régularisation de tous les sans papiers, exigence absente de toutes les autres interventions.
2 Quelle est la nature de notre adversaire ? La logique de classe de la politique gouvernementale n’a pas été dénoncée. Chauveau critique seulement “ la machine bureaucratique qui essaie de décourager ”, les “ préfectures qui n’ont pas véritablement engagé le processus de régularisation ”, “ le gouvernement au milieu du gué ” ou “ aveugle ”. Francine Blanche lance un “ appel solennel au gouvernement pour qu’il fasse respecter l’égalité de traitement entre les préfectures, et à l’intérieur de chaque préfecture ”. S’agissant des obstacles mis aux régularisations, elle demande au gouvernement “ si vous voulez changer la loi dites le ? ” (Sans doute en référence à la directive de janvier). Bref, plutôt que de combattre une politique organisée de division, ces intervenants dénonçaient l’incohérence, l’inconséquence d’un gouvernement, semant ainsi des illusions sur la nature et la détermination de l’adversaire. Amara (Droits Devant !), seul, porta une critique politique au gouvernement en le qualifiant comme “ le plus réactionnaire depuis longtemps ”
Ces déclarations révèlent une attitude conciliatrice, conséquence logique de la volonté de la direction du mouvement de jouer sur la “ brèche ” que comporterait la circulaire de janvier. Il ne s’agit pas de lutter contre les lois de division de la classe, mais d’exploiter les contradictions de la directive. Alors en bons syndicalistes réformistes, on évite de désigner le gouvernement bourgeois comme un adversaire. On le ménage comme un interlocuteur ou un partenaire nécessaire avec qui négocie, même si on affirme par ailleurs qu’il ne cédera que sous la poussée des luttes. La conclusion grandiloquente de Francine Blanche “ Gouvernement dépêchez-vous de régulariser avant que ça explose ! ” est donc un appel à la raison de celui-ci, non à la lutte de classe.
« J'interviens au nom des associations réunies dans le collectif Uni(e)s contre l'Immigration Jetable, et je voudrais tout d'abord m'adresser aux travailleurs en grève et leur dire : chers camarades, voilà des années qu'on attendait et qu'on espérait un mouvement comme le vôtre. Depuis des années, en effet, plusieurs organisations syndicales, la CGT, Solidaires, la FSU et d'autres apportaient leur soutien au mouvement des sans papiers; mais nous étions nombreux à leur dire : vous soutenez les sans-papiers comme sans-papiers et c'est très bien, mais il faudrait passer à la vitesse supérieure et les soutenir comme travailleurs, parce que ce sont les travailleurs les plus exploités de ce pays. Et bien, depuis le 15 avril, voilà qui est fait, et bien fait, et nous vous disons de tout cœur : bravo. L'action que vous avez engagée avec la CGT, Droits Devant !!, l'organisation Femmes-Egalité et les organisations qui vous ont rejoints, cette action représente un tournant essentiel dans l'histoire malheureusement déjà longue du mouvement des sans-papiers. Un tournant essentiel, parce que vous avez apporté à la connaissance des citoyens et des citoyennes de ce pays trois évidences que le gouvernement s'acharnait à leur cacher.
Première évidence : les sans-papiers sont des travailleurs et des salariés comme les autres, ils ont des contrats de travail, des bulletins de paie, ils paient leurs cotisations sociales et leurs impôts comme les autres et il est plus que temps de leur reconnaître leur place et leurs droits comme aux autres salariés.
Deuxième évidence : un certain nombre de secteurs importants de l'économie française – le bâtiment – travaux publics – l'hôtellerie – restauration – la sécurité – le nettoyage – l'aide à la personne – fonctionnent largement grâce au travail des hommes et des femmes sans-papiers. Ces hommes et ces femmes jouent donc un rôle décisif dans notre économie et là aussi, il est plus que temps de le reconnaître.
Troisième évidence : voilà des années que des employeurs sans états d'âme exploitent en toute illégalité le travail des sans-papiers avec la complaisance, sinon la complicité de l'administration et du gouvernement. Bien sûr, ils nous disent : « On ne savait pas ». Foutaises. En réalité, les uns ne voulaient pas savoir et les autres fermaient volontairement les yeux. Mais maintenant les travailleurs sans-papiers sont sortis au grand jour et il est fini, le temps des faux-semblants, des mensonges et des hypocrisies : chacun est placé devant ses responsabilités, et chacun devra les assumer clairement.
Encore deux points. Premier point, il faut se réjouir de l'unité qui s'est fait autour de votre action : unité syndicale d'abord, unité des associations et de tous ceux qui soutiennent le mouvement des sans-papiers, ensuite il faut renforcer encore cette unité, parce que nous savons bien que nous ne gagnerons qu'en pesant tous ensemble dans la même direction contre notre adversaire commun, le gouvernement.
Dernier point. Bien entendu, tous ceux qui sont dans cette salle luttent pour le même objectif : la régularisation de tous les sans-papiers avec carte de 10 ans, et notre combat ne prendra fin que quand cet objectif sera atteint. Mais nous n'avons jamais été des partisans du tout ou rien, et nous avons toujours saisi les possibilités qui se présentaient grâce à nos luttes de remporter des victoires partielles, étapes vers la victoire finale. C'est ce que nous avons fait en 2006 avec les familles d'enfants scolarisés, c'est ce que nous faisons cette année avec le travail. Une brèche a été ouverte ; le gouvernement voudrait bien la refermer, et c'est pourquoi il cherche à gagner du temps, et à faire pourrir la situation. A nous au contraire d'élargir cette brèche, et d'y faire rentrer, après les grévistes d'aujourd'hui, tous les isolés, tous ceux qui sont payés de la main à la main, en liquide, à la commande ou à la journée. Car tous les sans-papiers sont des travailleurs et si on régularise sur la base du travail alors il faudra bien que tous les travailleurs sans-papiers soient régularisés. »
4 Au nom de quoi la grève des travailleurs est-elle légitime ? La plupart des orateurs ont souligné qu’en rentrant en grève les sans papiers ont fait la preuve qu’ils sont des travailleurs comme les autres, même s’ils sont les plus exploités. Il est juste de dénoncer l’hypocrisie d’un gouvernement qui prétend lutter contre un travail dont il tire profit (impôts, cotisations sociales) et qui fait fonctionner, comme celui des autres travailleurs, l’économie de ce pays. Mais cela ne justifie pas de fonder la légitimité de la régularisation par le risque que “ fait courir le licenciement massif de sans papiers à certaines branches qui sont assises sur le travail des sans papiers ”, comme s'en préoccupe Francine Blanche, et d'ailleurs aussi l'UCIJ. En conséquence donc, la régularisation devient pour elle la “ seule solution réaliste pour l’économie et les travailleurs ”. Nous sommes avec les travailleurs sans papiers, parce que la régularisation des sans papiers et l’égalité des droits entre tous les travailleurs sont dans l’intérêt de la classe ouvrière toute entière dans sa lutte contre la bourgeoisie, et pas pour défendre “ notre économie ”.
5 La CGT à l’offensive avec les sans papiers ? Premier étonnement : que l’UD CGT 75 qui appelle au meeting ne prenne pas la parole ? Deuxième étonnement le consensus quant au soutien unanime de la CGT. Francine Blanche lit en conclusion de la réunion un message de Bernard Thibault qui assure les sans papiers de l’investissement résolu de la CGT “ à leur coté pour leurs revendications et régularisation. Le gouvernement doit accélérer la régularisation ”. Troisième étonnement : quant à l’engagement de la CGT. Francine Blanche se félicite de l’engagement des militants qui se donnent à fond pour le soutien. Cela est vrai. Mais il ressort de son intervention qui égraine les prénoms de tous les militants engagés dans le soutien que c’était un effort porté par des camarades qui se donnent à fond, et bien peu celui, collectif, des structures syndicales ou des directions syndicales. Le message “ sympathique ” de Bernard Thibault n’y change pas grand chose. Ni la présentation qu'en fait Raymond Chaveau dans une récente interview au Monde, où il reconnait l'énorme pression des sans-papiers pour un développement de la lutte, mais aussi implicitement les freins dans la Confédération.