Dimanche 27 janvier 2013
Une loi pour interdire les licenciements boursiers ?
Mardi, sur initiative des « Licenci’elles » (anciennes salariées licenciées des 3 Suisses) et avec
l’appui de plusieurs syndicats en lutte pour l’emploi (voir l’appel ci-joint), a lieu un rassemblement à 14h devant le Ministère du Travail rue de Grenelle pour déposer un projet de loi pour
l’interdiction des licenciements boursiers, projet d’ailleurs rédigé par Fiodor Rilov, également avocat des Goodyear.
Arrêtons-nous un peu sur cette affaire de loi.
Depuis des années et même des décennies, les vagues de licenciements se succèdent, sans que la lutte ouvrière parvienne à la
freiner, sans même parler de gagner des victoires.
Nous n’allons pas faire ici la liste de nos malheurs depuis la restructuration de la sidérurgie dans les années 70, elle est
longue comme un jour sans pain.
Le sentiment ouvrier, c’est de plus en plus que la lutte immédiate, au cas par cas, chacun à son tour, est impuissante, que les
licenciements, c’est une affaire politique. Et c’est JUSTE.
L’emploi touche au cœur du fonctionnement du capitalisme et à ses règles garanties et encadrées par les gouvernements
successifs. La « bourgeoisie », c’est la sainte alliance des industriels, des banquiers et des ministres, sous protection des juges, des militaires et des journalistes. C’est bien une affaire
politique, une affaire de pouvoir d’Etat, et c’est bien la question qui est posée.
C’est sur ce sentiment que s’appuient certains militants politiques (au NPA, au Front de Gauche, à Lutte Ouvrière) pour exiger «
une loi pour interdire des licenciements ». L’intérêt c’est qu’aujourd’hui, on y voit clair, ce n’est plus une formule vague claironnée en l’air, mais un vrai projet, rédigé et concret – on le
trouvera ci-contre. C’est ce projet qui sera déposé mardi à l’issue du rassemblement devant le ministère du travail.
Alors prenons le temps de l’examiner.
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Tout d’abord, et c’est le plus frappant, le projet limite son effet aux
entreprises de plus de 250 personnes. Les PME ne sont pas concernées, et c’est délibéré, dans la mesure où elles échappent à la bourse. Sans aucun doute. Il n’empêche que ce
sont des bagnes où la rupture conventionnelle, le licenciement disciplinaires règnent en maître… où les restructurations au goutte à goutte sont féroces et impitoyables. Et quand on se retrouve
au chômage, qu’on vienne d’une PME ou d’une grande usine multinationale, le résultat est le même. Juste le même : la misère pour tous.
Pourquoi alors cette distinction mise en place par les rédacteurs du projet, totalement incompréhensible d’un point de vue ouvrier ? Y aurait-il des licenciements « inacceptables » et d’autres qui le seraient ? Y aurait-il à faire les yeux doux à des patrons de PME au prétexte qu’ils ne sont pas inféodés à la « finance » (ce qui est parfaitement faux, les PME sont pieds et poings liés aux banques). Y aurait-il surtout la volonté de paraître « raisonnable » dans le cadre du système judiciaire capitaliste ?
Déjà, au départ, ça choque. - Autre catégorie non concernée par le projet de loi, les travailleurs des entreprises qui sont en difficulté dans la guerre économique mondiale, qui ne font pas de profits ou qui ont des pertes et sont en passe d’être détruites ou bouffées par les concurrents. Ces ouvrières, ces ouvriers, tant pis pour eux ? Pas de protection, aller direct à la case Pôle Emploi, c’est normal ? C’est l’acceptation du principe du profit, non ?
- Derniers exclus, tous les « non licenciés économiques » qui se retrouvent au chômage. Fins de contrats d’intérim et de CDD, ruptures conventionnelles, licenciements disciplinaires trafiqués, licenciements pour invalidité et « nécessité de remplacement », ce sont des dizaines de milliers de travailleurs qui se retrouvent « restructurés » individuellement, habilement. A PSA, il n’y a pas eu de licenciements économiques, ce qui n’a pas empêché l’effectif de diminuer de plusieurs dizaines de milliers de personnes. A Goodyear, il reste aujourd’hui 1250 personnes, et ce sont au moins 200 personnes qui ont été dégagées sous de multiples prétextes, les procédures s’empilent, on fait la queue devant la RH…
Déjà un problème pour ce projet de loi. Il ne part pas de l’intérêt ouvrier mais d’une tentative de concilier avec la
bonne marche du capitalisme. Sinon, c’était facile : il suffisait d’écrire une loi pour interdire totalement tous les licenciements. Point barre, on aurait discuté autrement – mais ce n’est pas
le cas.
Continuons.
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Le projet de loi conteste les licenciements qui ont pour objectif de « privilégier le niveau de rentabilité de l’entreprise »
? Ca veut dire quoi exactement, c’est plutôt confus.
Petit cours d’économie politique : comment fonctionne le capitalisme ? - On entend partout des critiques sur ces enfoirés de patrons qui licencient et font des profits. En quelque sorte, le moteur du capitalisme serait le profit. Et bien non, c’est le TAUX DE PROFIT, c’est-à-dire la rentabilité du capital investi, autrement dit, le rapport entre le profit et l’investissement. C’est la base de l’économie politique marxiste, et Marx a toujours bien expliqué que les profits pouvaient augmenter, alors que le taux de profit diminue… Donc, « privilégier le niveau de rentabilité de l’entreprise », c’est le fonctionnement normal, ordinaire, commun et général de TOUTES les entreprises capitalistes, petites ou grandes, à la Bourse ou pas etc.
- Les patrons ne sont pas des « rapaces », ils gèrent en fonction des intérêts de leurs actionnaires. Prenons l’exemple des fonds de pension, qui gèrent des capitaux astronomiques. Ils n’ont pas d’états d’âme. Eux, ils payent les retraites des salariés aux Etats-Unis, en Angleterre ou en Hollande. Ils investissent dans tel ou tel secteur (d’ailleurs souvent à long terme), avec une attente d’un rendement, un taux de profit donc pour payer ces retraites. Si le rendement baisse, ils vont aller voir dans une autre branche si c’est plus intéressant. Logique. Et ce qui est valable pour les fonds de pension l’est pour n’importe quel actionnaire ! Et comme le capitalisme est par essence privé, désorganisé et concurrentiel, c’est le bazar.
- Le projet de loi conteste le critère du « niveau de rentabilité de l’entreprise », mais pas un mot du contexte mondial, de la guerre économique mondialisée, de la concurrence. Philippe Julien ira jusqu’à dire que « C’est faux, il n’y a pas de crise de l’automobile », au prétexte que la production augmente. C’est déjà un peu ahurissant, il suffit de regarder ce qui se passe un peu partout sur la planète… La production peut augmenter, mais peut être moins rentable que celle des concurrents qui vont donc pouvoir rafler des parts de marché, augmenter leur avance. La question pour le capitaliste n’est pas celle de la quantité de profits, mais de cette quantité au regard des investissements en capital fixe qu’il faut pour les obtenir, le taux de profit. Philippe Julien dénonce : la décision de fermer Aulnay a été prise en 2010, année record pour PSA ! Et alors, c’est la preuve de quoi ? Bien sûr, le capitalisme anticipe. Les concurrents s’observent, s’espionnent, se piquent les marchés. Il faut toujours aller plus loin, vaincre ou mourir, sans fin. C’est cela la barbarie capitaliste pour l’ouvrier qui n’est que la chair à canon de cette guerre économique.
- Le fond du capitalisme, n’est pas la « rapacité » patronale qui veut toujours plus de profits, c’est la rentabilité du capital investi, dans le contexte de la concurrence mondialisée. La cause de la concurrence, c’est l’aveuglement d’un système qui produit dans certaines conditions (d’exploitation, de plus-value, de taux de profit), sans connaître les conditions de vente des marchandises (plus tard), dans d’autres conditions liées à l’évolution du marché, et aux interventions des autres producteurs concurrents, chacun ignorant ce que prépare l’autre (d’où toutes les affaires d’espionnage industriel). Le monde ne fonctionne pas avec des monopoles côte à côte, chacun de leur côté, qui s’ignorent. Ils sont en guerre féroce entre eux, pour les marchés, et pour eux aussi, c’est vaincre ou périr. C’est le monopole le plus profitable, le plus rentable, dont le taux de profit est le plus élevé qui écrasera ou absorbera les autres.
Après ce petit cours d’économie politique, très bref et qui mérite formation supplémentaire, revenons sur le projet de
loi. N’importe quelle entreprise est obligée de « privilégier le niveau de rentabilité de l’entreprise », c’est la base du capitalisme ! Comment distinguer alors les niveaux de profits «
acceptables » et ceux qui ne le seraient pas, donc une exploitation ouvrière acceptable et une autre excessive ?
L’idée du projet de loi, c’est qu’on pourrait mettre le capitalisme « sous contrôle » par le biais d’une
loi.
C’est ne rien comprendre à la marche du capitalisme d’une part.
Ensuite c’est ne rien comprendre à ce qu’est le système législatif et judiciaire, ce monde créé pour règlementer et organiser le
fonctionnement d’un système basé sur l’exploitation. Imaginons seulement une telle loi : dans le contexte mondialisé actuel, évidemment les actionnaires vont voir si l’herbe est plus verte
ailleurs. C’est d’ailleurs ce qu’ils font en permanence avec les délocalisations…
Non décidément, rien ne va dans ce projet de loi… Il s’appuie sur l’aspiration à en finir avec les licenciements, mais en
faisant croire qu’on peut y arriver tranquillement, facilement juste par une loi à voter. Au lieu de prendre notre chemin à nous, celui de nos revendications en toute indépendance, on se met à la
remorque d’une politique totalement réformiste qui nous mène à l’échec !
Face aux licenciements, face aux plans sociaux, nous disons :
« Zéro licenciement », et même plus largement « Zéro suppression d’emplois » !
« Non aux plans sociaux », non à la négociation de notre sacrifice
!
Notre espoir, c’est « Travailler tous, travailler moins, travailler
autrement », et construire une autre société non plus basée sur l’exploitation et la guerre économique mondialisée, mais sur la satisfaction des besoins de la collectivité,
la solidarité et l’internationalisme !