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20 septembre 2016 2 20 /09 /septembre /2016 10:50

Mardi 20 septembre 2016

Le statut des sous-traitants du nucléaire en débat

 

Moins de monde qu’espéré pour ce premier week-end de débats organisé par « Ma Zone Contrôlée » à côté de Montélimar les 3 et 4 septembre. « Ma zone Contrôlée », c’est l’association qui regroupe des travailleurs sous-traitants du nucléaire (voir leur compte-rendu) et qui tente de défendre les droits de ces secteurs surexploités et soumis à des conditions de travail et des risques professionnels épouvantables.

Pas assez de monde donc, mais de bons débats, ouverts et touchant au fond des problèmes – le nucléaire, la sous-traitance… La plupart des présents travaillent dans le nucléaire, mais pas que… Beaucoup de militants CGT, mais aussi SUD ou non syndiqués… Et beaucoup d’élus ou de responsables. Très peu de femmes, alors qu’elles sont nombreuses dans le nucléaire en sous-traitance (soudure, logistique, radio-protection, nettoyage, …). Bref, une audience très concernée entre qui les échanges ont eu du sens.

 

Quelques débats au fil du week-end :

La galère de la sous-traitance

  • Plusieurs ouvriers de la sous-traitance l’ont bien caractérisée et ont parlé des conditions de travail scandaleuses dans laquelle ils se trouvaient et qui justifiaient leur regroupement et leur lutte commune. Si comme partout la sous-traitance a pour cause les économies qu’elle a permis de réaliser par rapport aux ouvriers et techniciens en statut EDF travaillant sur les centrales (moins payés, plus flexibles en horaires, baladés d’une centrale à une autre en fonction des besoins, abandonnés en fin de chantier), le sordide de leur exposition aux rayonnements se rajoute à leur précarité. Ils n’ont même plus le dosimètre qui permettait d’évaluer les rayonnements reçus. Maintenant, tout se passe par carte et reste opaque pour eux. Jusqu’à se faire engueuler (ou retirer 500 €) quand ils ont subi trop de rayonnements, système qui permet de rejeter la faute sur leur responsabilité individuelle ! La sécurité des centrales se fait clairement sur le dos de leur sécurité à eux. « Des fois, j’ai pas envie de le faire, parce que je ne sais pas si je vais rentrer à la maison ». « On est devant une hécatombe sociale. Qui le sait ? ». Car on fait travailler les sous-traitants dans les zones exposées pour que justement les statutaires, mieux formés mais plus contrôlés, prennent moins de rayonnements ! La chaîne de sous-traitance fait que bien malin qui peut prouver l’origine d’un cancer développé vingt ans après. Donc la sous-traitance, qui représente 82% de la maintenance des centrales, est particulièrement faite pour dédouaner de leurs responsabilités les donneurs d’ordre (EDF, AREVA, CEA).
    Quelques articles à lire en complément

    Une grosse enquête du Monde de 2014, très complète et très intéressante, que nous avons sauvegardée ICI

    Un article du site OWNI (aujourd'hui inactif) de 2011 sur le statut des sous-traitants, également sauvegardé ICI

    Et un autre article du même site OWNI, peu flatteur pour la CGT Energie mais assez juste, qui expose l'absence de réactions syndicales quand la sous-traitance a explosé dans les années 1990, lui aussi sauvegardé ICI
    Le brassage des personnels et des sous-traitants permet l’opacité nécessaire à cette manœuvre criminelle. Comme l’a dit un responsable CGT, « les camarades de l’EDF n’ont pas vu venir le piège de la sous-traitance ». Mmhh... une belle excuse a posteriori : certains avaient bien compris que le but était de les épargner eux en rejetant les risques sur les pauvres bougres mal informés qui n’avaient pas le choix ! Ce qui a été dit en termes plus crus « ras-le-bol de cette mafia ! ». Cela a été dit aussi plus benoitement par un militant qui défendait l’organisation des intérimaires à l’USI (Union Syndicale de l’Intérim) « ceux de l’EDF se battent pour garder leur statut, ils n’ont pas le temps de se pencher sur des problèmes qu’ils ne vivent pas » ! Division qu’on peut d’ailleurs retrouver dans la pratique syndicale : pour les réunions à la confédé à Montreuil, les dirigeants sont logés à l’hôtel Ibis et les sous-traitants à l’Ibis-budget ! Petits-déjeuners opulents ou portions congrues viennent compléter le tableau (un dyptique !). Comme les parkings et cantines des statutaires qui ne sont pas autorisés aux sous-traitants !
    Comment on appelle ça ? Diviser pour régner ! Nous rajoutons dans l’encadré ci-contre quelques articles édifiants parus il y a déjà quelques temps (article du Monde, d’OWNI, de Basta !).
  • Le débat abordait l’exigence d’un statut du travailleur du nucléaire, élaboré avec la participation de Ma Zone Contrôlée et plusieurs fédérations CGT (Energie, Métallurgie, Ports et Docks pour le nettoyage, Commerce pour la surveillance, Construction). « On est dans la convergence des luttes » ; « pour que cesse ce dumping social permanent » ; « sécuriser les installations et les salariés ». Statut qui serait tellement proche du statutaire EDF qu’on ne voit plus très bien pourquoi la lutte ne se focaliserait pas finalement sur le rapatriement de tous les travaux de sous-traitance… Comme il a été dit « si on veut la sécurité, faut pas de précarité ». Il faut travailler à un rapport de force singulièrement élevé pour arracher ce statut aux multinationales du nucléaire, on en est encore loin, « on est dispersés, il faudrait se fédérer ». Le combat contre la sous-traitance elle-même serait bien plus unificateur pour la classe ouvrière (industries à risques mais toutes finalement). La précarité gâche la vie des travailleurs et les divise. Elle n’est mise en place que pour les avantages qu’elle donne aux firmes, poussées par la concurrence à toujours rabaisser les conditions et le « coût » du travail. Il y a eu des mots très forts pour le décrire : « la sécurité est sacrifiée au pouvoir des financiers », « la sous-traitance, c’est le passage d’un contrat de travail à un contrat commercial » (formulation qui fait un peu rigoler les marxistes que nous sommes !) « la sous-traitance, ça leur permet de se débarrasser de leurs responsabilités » « si tu rencontres un problème de sécurité et que tu veux garder ton boulot, tu fermes ta gueule » « des milliers de salariés sont exposés à plein de cancers »…
    Cette question du statut du travailleur du nucléaire, premier pas de « l’égalité des droits » entre travailleurs, a pourtant été proprement enterré par les structures syndicales de la CGT, nous avons rapporté les soubresauts de cette élaboration en 2013-2014 dans deux articles que l’on trouvera ICI sur ce blog. Il n’est aujourd’hui repris que par la Fédération de l’Energie…

 

Le nucléaire en questions (et réponses différentes)

Un point était étonnant : le consensus qui semblait se faire sur l’idée que la division entre pro et anti-nucléaires était désormais dépassé ! Au final, « on cherche tous des solutions » tout en sachant que le nucléaire, on en a pour un moment : production, puis décontamination, puis déchets, pas mal de milliers d’années ! Cela permet d’évacuer, pensons-nous, la défense éhontée du nucléaire par la FNME et la CGT en général (Fédération nationale mines et énergies de la CGT) depuis ses débuts. Comme si c’était indifférent aux combats qu’on doit y mener… (voir la polémique sur le tract récent à propos de la fermeture de Fessenheim).

Malgré cela, il a été apporté quantité d’analyses et de réflexions sur le nucléaire et la nécessaire transition énergétique que tout le monde juge inévitable. Ben tiens, maintenant que le parc nucléaire est installé ! Ce qui a été joliment formulé ainsi « est-ce utile de démanteler des équipements qui fonctionnent ? »

Sur le démantèlement, il a d’ailleurs été précisé que les budgets prévus avaient été utilisés ailleurs. Alors, « qui va payer la facture ? » (qui s’annonce colossale).

Il a été établi une situation catastrophique pour les entreprises. « EDF est en faillite virtuelle » « AREVA en 2015 a annoncé 5 milliards de pertes. Il a une dette de 8 à 9 milliards pour un chiffre d’affaires de 8 milliards d’euros ». En cause, pas mal d’erreurs stratégiques (la centrale EPR en Finlande, peut-être 6 fois plus coûteuse qu’annoncé au début, …), d’investissements hasardeux et de mensonges pour charmer Etat et financiers. D’où de savants montages industriels pour retarder les échéances torrides qui nous attendent (en termes de plans de licenciements) : redécoupage d’AREVA (issu de la fusion entre Framatome et la Cogema), privatisations des branches les plus rentables ? Libéralisation du marché ? Aujourd’hui, c’est EDF qui pilote toute la filière. Mais qui va financer ? Et pour aller où ? Et on ajoute : qui va décider ? Car on n’est pas habitués à ce que le capitalisme nous demande notre avis sur les grandes orientations qu’il va prendre pour sauver ses profits !

D’autant plus avec l’omerta qui règne sur tous les risques et « l’hécatombe sociale » en cours. Avec la particularité que les sous-traitants seront les premiers et les plus nombreux à en pâtir… (par exemple, le démantèlement d’AREVA coûterait 4000 suppressions de postes, mais plus du double pour la sous-traitance).

On réalise à entendre les intervenants que c’est toute la filière nucléaire qui est en crise. Un des fleurons de l’industrie française porté par l’Etat, on vous rappelle. « Défendre la filière en sachant que c’est une stratégie folle sans avenir ? » interroge un participant, qui poursuit « Cela ne devrait pas se faire au détriment des salariés ou des populations. Les syndicats doivent avoir une vision de l’avenir, pas seulement défendre les statuts » !

La seule proposition qui a été émise : un « pôle public de l’énergie ». L’histoire d’EDF n’a pas réussi à convaincre que la prééminence de l’Etat capitaliste n’est en rien une garantie pour les travailleurs ni la population ? Est-ce seulement la privatisation qu’il faut redouter comme menace alors que l’Etat est présent de bout en bout dans la réalité catastrophique que nous subissons ? Ou n’est-ce pas un  changement complet de système, de logique et de donneurs d’ordres qui représente la seule voie imaginable de salut pour les travailleurs ?

 

Une autre partie du débat a porté sur l’intérim, comme sous-traitance particulière et à statut intermédiaire. Nous reviendrons sur ces questions, déjà abordées (voir ICI), dans d’autres articles à venir.

 

On doit l’initiative de ces débats à « Ma Zone Contrôlée », qui prévoit déjà de renouveler l’année prochaine. Une initiative vraiment positive avec des discussions, des confrontations de points de vue et du travail en commun, nous en vraiment avons besoin pour renverser cette chape de la sous-traitance et la voir enfin disparaître…

 

Voir également tous les articles de ce blog sur Sous-traitance et précarité.

 

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