Lundi 9 janvier 2012
Mais d'où sort cette bureaucratie ?
Problèmes dans les Comités d'Entreprise, EdF, RATP, SNCF, Disney, Air France... Problème à la Fédération du Commerce, à la Construction et ailleurs. Problèmes aux Ports et Docks. Problèmes aux Organismes Sociaux. Problèmes à Alès, à Maubeuge, dérives dans les UL et les UD. Corruption, cogestion, collaboration, pratiques de voyous, dérives inquiétantes. Pénétration du FN. Négociations en coulisse, voire compromissions. Refus de l'affrontement de classe.
Sans tracer un portrait trop noir (car fort heureusement la CGT ce n'est pas que cela !), partout des camarades s'interrogent : comment comprendre la collaboration de classe qui pourrit parfois notre syndicat (et les autres...), la dérive de dirigeants qui paraissaient honnêtes, de structures que l'on défendait sans hésitations ?
C'est en fait une question vieille comme le mouvement ouvrier, que d'autres ont abordé dès le début du 20ème siècle.
Nous livrons aujourd'hui un document théorique et historique qui montre les racines de l'opportunisme dans le mouvement ouvrier. Autrement dit, pourquoi nos dirigeants politiques et syndicaux en sont arrivés là ?
Un document qui n'est pas si difficile à lire (malgré des références historiques aujourd'hui incompréhensibles, qu'il suffit de sauter), et qui, presque un siècle après son écriture (1916), reste brûlant d'actualité. Des jeunes camarades l'ont découvert avec effarement en faisant le parallèle avec la situation d'aujourd'hui.
Certains lecteurs vont peut-être juger que nous exagérons. Quand même pour un blog syndical, citer Lénine, c'est pousser un peu,
quand même ? Pas vraiment : d'une part nous n'avons jamais caché que ce sont les militants de Voie Prolétarienne qui animent ce blog, d'autre part, parce qu'il est tout à fait illusoire de
vouloir séparer syndicalisme et politique. Enfin, parce que l'enjeu du syndicalisme de classe, c'est de rompre sur le fond avec la collaboration de classe, avec "les agents de la bourgeoisie
dans le mouvement ouvrier" et l'orientation qu'ils y défendent. Des "ennemis qui se cachent", et pas des "amis qui se trompent", comme nous avons l'habitude de le dire sur ce
blog.
Alors le moment nous semble bien venu pour livrer ce document à nos lecteurs. Il est repris d'un site spécialisé dans la publication des document historiques du mouvement ouvrier (ICI), et nous en livrons également une version imprimable.
L'impérialisme et la scission du socialisme - Lénine
Existe-t-il un lien entre l'impérialisme et la victoire ignoble, monstrueuse, que l'opportunisme (sous les espèces du social
chauvinisme) a remportée sur le mouvement ouvrier européen ?
Telle est la question fondamentale du socialisme contemporain. Et maintenant que nous avons parfaitement établi dans notre
littérature du parti :
- le caractère impérialiste de notre époque et de la guerre actuelle;
- l'indissoluble liaison historique entre le social chauvinisme et l'opportunisme, ainsi que l'identité de leur contenu politique
et idéologique, nous pouvons et nous devons passer à l'examen de cette question fondamentale.
Il nous faut commencer par donner la définition la plus précise et la plus complète possible de l'impérialisme. L'impérialisme est
un stade historique particulier du capitalisme. Cette particularité est de trois ordres : l’impérialisme est
le capitalisme monopoliste;
le capitalisme parasitaire ou pourrissant;
le capitalisme agonisant.
La substitution du monopole à la libre concurrence est le trait économique capital, l'essence de l'impérialisme. Le monopolisme se
manifeste sous cinq formes principales :
- les cartels, les syndicats patronaux, et les trusts; la concentration de la production a atteint un degré tel qu'elle a engendré ces groupements monopolistes de capitalistes;
- la situation de monopole des grosses banques : trois a cinq banques gigantesques régentent toute la vie économique de l'Amérique, de la France, de l'Allemagne;
- l'accaparement des sources de matières premières par les trusts et l'oligarchie financière (le capital financier est le capital industriel monopolisé, fusionné avec le capital bancaire);
- le partage (économique) du monde par les cartels internationaux a commencé. Ces cartels internationaux, détenteurs du marché mondial tout entier qu'ils se partagent « à l'amiable » - tant que la guerre ne l'a pas repartagé - on en compte déjà plus de cent ! L'exportation des capitaux, phénomène particulièrement caractéristique, à la différence de l'exportation des marchandises à l'époque du capitalisme non monopoliste, est en relation étroite avec le partage économique et politico territorial du monde;
- le partage territorial du monde (colonies) est terminé.
L'impérialisme, stade suprême du capitalisme d'Amérique et d'Europe, et ensuite d'Asie, a fini de se constituer vers 1898-1914. Les guerres hispano-américaine (1898), anglo-boer (1899-1902), russo-japonaise (1904-1905) et la crise économique de 1900 en Europe, tels sont les principaux jalons historiques de la nouvelle époque de l'histoire mondiale.
Que l'impérialisme soit un capitalisme parasitaire ou pourrissant, c'est ce qui apparaît avant tout dans la tendance à la putréfaction qui distingue tout monopole sous le régime de la propriété privée des moyens de production. La différence entre la bourgeoisie impérialiste démocratique républicaine, d'une part, et réactionnaire monarchiste, d'autre part, s'efface précisément du fait que l'une et l'autre pourrissent sur pied (ce qui n'exclut pas du tout le développement étonnamment rapide du capitalisme dans différentes branches d'industrie, dans différents pays, en différentes périodes). En second lieu, la putréfaction du capitalisme se manifeste par la formation d'une vaste couche de rentiers, de capitalistes vivant de la « tonte des coupons ». Dans quatre pays impérialistes avancés : l'Angleterre, l'Amérique du Nord, la France et l'Allemagne, le capital en titres est de 100 à 150 milliards de francs, ce qui représente un revenu annuel d'au moins 5 à 8 milliards par pays. En troisième lieu, l'exportation des capitaux est du parasitisme au carré. En quatrième lieu, « le capital financier vise à l'hégémonie, et non à la liberté ». La réaction politique sur toute la ligne est le propre de l'impérialisme. Vénalité, corruption dans des proportions gigantesques, panamas de tous genres. En cinquième lieu, l'exploitation des nations opprimées, indissolublement liée aux annexions, et surtout l'exploitation des colonies par une poignée de « grandes » puissances, transforme de plus en plus le monde « civilisé » en un parasite sur le corps des peuples non civilisés, qui comptent des centaines de millions d'hommes. Le prolétaire de Rome vivait aux dépens de la société. La société actuelle vit aux dépens du prolétaire contemporain. Marx a particulièrement souligné cette profonde remarque de Sismondi. L'impérialisme change un peu les choses. Une couche privilégiée du prolétariat des puissances impérialistes vit en partie aux dépens des centaines de millions d'hommes des peuples non civilisés.
On comprend pourquoi l'impérialisme est un capitalisme agonisant, qui marque la transition vers le socialisme : le monopole qui
surgit du capitalisme, c'est déjà l'agonie du capitalisme, le début de sa transition vers le socialisme. La socialisation prodigieuse du travail par l'impérialisme (ce que les apologistes, les
économistes bourgeois, appellent l'« interpénétration ») a la même signification.
En définissant ainsi l'impérialisme, nous entrons en contradiction complète avec K. Kautsky, qui se refuse à voir dans
l'impérialisme une « phase du capitalisme », et le définit comme la politique « préférée » du capital financier, comme une tendance des pays « industriels » à annexer les pays [1] « agraires ».
Du point de vue théorique, cette définition de Kautsky est absolument fausse. La particularité de l'impérialisme, c'est justement la domination du capital non pas industriel, mais financier, la
tendance à s'annexer non pas les seuls pays agraires, mais toutes sortes de pays. Kautsky dissocie la politique de l'impérialisme de son économie; il dissocie le monopolisme en politique du
monopolisme dans l'économie, afin de frayer la voie à son réformisme bourgeois : le «désarmement», l'« ultra impérialisme » et autres sottises du même acabit. Le sens et le but de cette théorie
falsifiée sont uniquement d'estomper les contradictions les plus profondes de l'impérialisme et de justifier ainsi la théorie de l'« unité » avec les apologistes de l'impérialisme, les social
chauvins et opportunistes avoués.
Nous avons déjà suffisamment insisté sur cette rupture de Kautsky avec le marxisme, et dans Le Social Démocrate, et dans Le
Communiste. Nos kautskistes de Russie, les « okistes » avec Axelrod et Spectator en tête, sans en excepter Martov et, dans une notable mesure, Trotski, ont préféré passer sous silence la question
du kautskisme en tant que tendance. N'osant pas défendre ce que Kautsky a écrit pendant la guerre, ils se sont contentés d'exalter purement et simplement Kautsky (Axelrod dans sa brochure
allemande que Ie Comité d'organisation a promis de publier en russe) ou d'invoquer des lettres privées de Kautsky (Spectator), dans lesquelles il assure appartenir à l'opposition et essaie
jésuitiquement de faire considérer ses déclarations chauvines comme nulles et non avenues.
Notons que dans sa « conception » de l'impérialisme, qui revient à farder ce dernier, Kautsky marque un recul non seulement par
rapport au Capital financier de Hilferding (quel que soit le zèle que mette aujourd'hui Hilferding lui-même à défendre Kautsky et l' « unité » avec les social-chauvins !), mais aussi par rapport
au social libéral J. A. Hobson. Cet économiste anglais, qui n'a pas la moindre prétention au titre de marxiste, définit avec beaucoup plus de profondeur l'impérialisme et en dévoile les
contradictions dans son ouvrage de 1902 [2]. Voici ce que disait cet auteur (chez qui l'on retrouve presque toutes les platitudes pacifistes et « conciliatrices » de Kautsky) sur la question
particulièrement importante du caractère parasitaire de l'impérialisme :
Des circonstances de deux ordres affaiblissaient, selon Hobson, la puissance des anciens Empires :
- le « parasitisme économique » et
- le recrutement d'une armée parmi les peuples dépendants.
« La première circonstance est la coutume du parasitisme économique, en vertu de laquelle l'Etat dominant utilise ses provinces,
ses colonies et les pays dépendants pour enrichir sa classe gouvernante et corrompre ses classes inférieures, afin qu'elles se tiennent tranquilles. »
En ce qui concerne la seconde circonstance, Hobson écrit :
« L'un des symptômes les plus singuliers de la cécité de l'impérialisme »
(dans la bouche du social libéral Hobson, ce refrain sur la « cécité » des impérialistes est moins déplacé que chez le « marxiste
» Kautsky),
« c'est l'insouciance avec laquelle la Grande Bretagne, la France et les autres nations impérialistes
s'engagent dans cette voie. La Grande Bretagne est allée plus loin que toutes les autres. La plupart des batailles par lesquelles nous avons conquis notre Empire des Indes ont été livrées par nos
troupes indigènes : dans l'Inde, comme plus récemment aussi en Egypte, de grandes armées permanentes sont placées sous le commandement des Britanniques; presque toutes nos guerres de conquête en
Afrique, sa partie Sud exceptée, ont été faites pour notre compte par les indigènes.»
La perspective du partage de la Chine provoque chez Hobson l'appréciation économique que voici :
« Une grande partie de l'Europe occidentale pourrait alors prendre l'apparence et le caractère qu'ont
maintenant certaines parties des pays qui la composent le Sud de l'Angleterre, la Riviera, les régions d'Italie et de Suisse les plus fréquentées des touristes et peuplées do gens
riches à savoir : de petits groupes de riches aristocrates recevant des dividendes et des pensions du lointain Orient, avec un groupe un peu plus nombreux d'employés professionnels et
de commerçants et un nombre plus important de domestiques et d'ouvriers occupés dans les transports et dans l'industrie travaillant à la finition des produits manufacturés. Quant aux principales
branches d'industrie, elles disparaîtraient, et la grande masse des produits alimentaires et semi ouvrés affluerait d'Asie et d'Afrique comme un tribut.»
« Telles sont les possibilités que nous offre une plus large alliance des Etats d'Occident, une fédération
européenne des grandes puissances : loin de faire avancer la civilisation universelle, elle pourrait signifier un immense danger de parasitisme occidental aboutissant à constituer un groupe à
part de nations industrielles avancées, dont les classes supérieures recevraient un énorme tribut de l'Asie et de l'Afrique et entretiendraient, à l'aide de ce tribut, de grandes masses
domestiquées d'employés et de serviteurs, non plus occupés à produire en grandes quantités des produits agricoles et industriels, mais rendant des services privés ou accomplissant, sous le
contrôle de la nouvelle aristocratie financière, des travaux industriels de second ordre. Que ceux qui sont prêts à tourner le dos à cette théorie »
(il aurait fallu dire : à cette perspective)
« comme ne méritant pas d'être examinée, méditent sur les conditions économiques et sociales des régions de
l'Angleterre méridionale actuelle, qui en sont déjà arrivées à cette situation. Qu'ils réfléchissent à l'extension considérable que pourrait prendre ce système si la Chine était soumise au
contrôle économique de semblables groupes de financiers, de « placeurs de capitaux » (les rentiers), de leurs fonctionnaires politiques et de leurs employés de commerce et d'industrie, qui
drainent les profits du plus grand réservoir potentiel que le monde ait jamais connu afin de les consommer en Europe. Certes, la situation est trop complexe et le jeu des forces mondiales trop
difficile à escompter pour qu'une prévision celle-ci ou toute autre de l'avenir dans une seule direction puisse être considérée comme la plus probable. Mais les influences
qui régissent à l'heure actuelle l'impérialisme de l'Europe occidentale s'orientent dans cette direction, et si elles ne rencontrent pas de résistance, si elles ne sont pas détournées d'un autre
côté, c'est dans ce sens qu'elles orienteront l'achèvement de ce processus. »
Le social libéral Hobson ne voit pas que cette « résistance » ne peut être opposée que par le prolétariat révolutionnaire, et
seulement sous la forme d'une révolution sociale. Il n'est pas social libéral pour rien ! Mais il a fort bien abordé, dès 1902, la question du rôle et de la portée des « Etats Unis d'Europe »
(avis au kautskiste Trotski !), comme aussi de tout ce que cherchent à voiler les kautskistes hypocrites des différents pays, à savoir le fait que les opportunistes (les social chauvins) font
cause commune avec la bourgeoisie impérialiste justement dans le sens de la création d'une Europe impérialiste sur le dos de l'Asie et de l'Afrique; le fait que les opportunistes apparaissent
objectivement comme une partie de la petite bourgeoisie et de certaines couches de la classe ouvrière, soudoyée avec les fonds du surprofit des impérialistes et convertie en chiens de garde du
capitalisme, en corrupteurs du mouvement ouvrier.
Nous avons maintes fois signalé, non seulement dans des articles, mais aussi dans des résolutions de notre Parti, cette liaison
économique extrêmement profonde de la bourgeoisie impérialiste, très précisément, avec l'opportunisme qui a triomphé aujourd'hui (est-ce pour longtemps ?) du mouvement ouvrier. Nous en avons
inféré, notamment, que la scission avec le social chauvinisme était inévitable. Nos kautskistes ont préféré éluder la question ! Martov, par exemple, avance depuis un bon moment dans ses
conférences un sophisme qui, dans les Izvestia du secrétariat à l'étranger du Comité d'organisation (n° 4 du 10 avril 1916), est énoncé en ces termes :
(…) « La cause de la social démocratie révolutionnaire serait très mauvaise, voire désespérée, si les groupes
d'ouvriers qui, par leur développement intellectuel, se sont le plus rapprochés de l'« intelligentsia » et sont les plus qualifiés, abandonnaient fatalement cette dernière pour rejoindre
l'opportunisme »...
An moyen du vocable absurde « fatalement » et d'un certain « escamotage », on élude le fait que certains contingents d'ouvriers
ont rallié l'opportunisme et la bourgeoisie impérialiste ! Or éluder ce fait, c'est tout ce que veulent les sophistes du Comité d'organisation ! Ils se retranchent derrière cet « optimisme
officiel », dont font aujourd'hui parade et le kautskiste Hilferding et beaucoup d'autres individus : les conditions objectives, prétendent-ils, se portent garantes de l'unité du prolétariat et
de la victoire de la tendance révolutionnaire ! Nous sommes, disent ils, « optimistes » en ce qui concerne le prolétariat !
Mais en réalité tous ces kautskistes, Hilferding, les okistes, Martov et Cie sont des optimistes... en ce qui concerne
l'opportunisme. Tout est là !
Le prolétariat est un produit du capitalisme, du capitalisme mondial et pas seulement européen, pas seulement impérialiste. A
l'échelle mondiale, que ce soit cinquante ans plus tôt ou cinquante ans plus tard, à cette échelle, c'est une question de détail, il est bien évident que le « prolétariat » « sera »
uni, et qu'on son sein la social démocratie révolutionnaire vaincra « inéluctablement ». Il ne s'agit pas de cela, messieurs les kautskistes, il s'agit du fait que maintenant, dans les pays
impérialistes d'Europe, vous rampez à plat ventre devant les opportunistes, qui sont étrangers au prolétariat en tant que classe, qui sont les serviteurs, les agents de la bourgeoisie, les
véhicules de son influence; et s'il ne s'affranchit pas d'eux, le mouvement ouvrier restera un mouvement ouvrier bourgeois. Votre propagande en faveur de I' « unité » avec les opportunistes, avec
les Legien et les David, les Plékhanov ou les Tchkhenkéli, les Potressov, etc., revient objectivement à favoriser l'asservissement des ouvriers par la bourgeoisie impérialiste, à l'aide de ses
meilleurs agents au sein du mouvement ouvrier. La victoire de la social démocratie révolutionnaire à l'échelle mondiale est absolument inévitable, mais elle se poursuit et se poursuivra, elle se
fait et se fera uniquement contre vous; elle sera une victoire sur vous.
Les deux tendances, disons même les deux partis dans le mouvement ouvrier contemporain, qui se sont si manifestement séparés dans
le monde entier en 1914 1916, ont été observées de près par Engels et Marx en Angleterre pendant plusieurs dizaines d'années, de 1858 à 1892 environ.
Ni Marx, ni Engels n'ont vécu jusqu'à l'époque impérialiste du capitalisme mondial, dont le début ne remonte pas au delà de 1898
1900. Mais l'Angleterre, dès le milieu du XIX° siècle, avait ceci de particulier qu'au moins deux traits distinctifs fondamentaux de l'impérialisme s'y trouvaient réunis :
- d'immenses colonies et
- des profits de monopoles (en raison de sa situation de monopole sur le marché mondial).
Sous ces deux rapports, l’Angleterre faisait alors exception parmi les pays capitalistes. Et Engels et Marx, analysant cette
exception, ont montré, d'une façon parfaitement claire et précise sa liaison avec la victoire (momentanée) de l'opportunisme dans le mouvement ouvrier anglais.
Dans sa lettre à Marx du 7 octobre 1858, Engels écrivait :
« En réalité, le prolétariat anglais s'embourgeoise de plus en plus, et il semble bien que cette nation bourgeoise entre toutes
veuille en arriver à avoir, à côté de sa bourgeoise, une aristocratie bourgeoise et un prolétariat bourgeois. Évidemment, de la part d'une nation qui exploite le monde entier, c'est jusqu'à un
certain point logique. »
Dans sa lettre à Sorge du 21 septembre 1872, Engels fait savoir que Hales a provoqué au Conseil fédéral de l'Internationale un
grand esclandre et a fait voter un blâme à Marx pour avoir dit que « les chefs ouvriers anglais s'étaient vendus ». Marx écrit à Sorge le 4 août 1874 :
« En ce qui concerne les ouvriers des villes (en Angleterre), il y a lieu de regretter que toute la bande des chefs ne soit pas
entrée au Parlement. C'eût été le plus sûr moyen de se débarrasser de cette racaille. »
Dans sa lettre à Marx du 11 août 1881, Engels parle des « pires trade unions anglaises, qui se laissent diriger par des hommes que
la bourgeoisie a achetés ou tout au moins payés ». Dans sa lettre à Kautsky du 12 septembre 1882, Engels écrivait :
« Vous me demandez ce que les ouvriers anglais pensent de la politique coloniale. Exactement ce qu'ils pensent de la politique en
général. Ici, point de parti ouvrier, il n'y a que des conservateurs et des radicaux libéraux; quant aux ouvriers, ils jouissent en toute tranquillité avec eux du monopole colonial de
l'Angleterre et de son monopole sur le marché mondial. »
Le 7 décembre 1889, Engels écrit à Sorge :
« ... Ce qu'il y a de plus répugnant ici (en Angleterre), c'est la « respectabilité » (respectability)
bourgeoise, qui pénètre jusque dans la chair des ouvriers ... même Tom Mann, que je considère comme le meilleur de tous, confie très volontiers qu'il déjeunera avec le lord maire. Lorsqu'on fait
la comparaison avec les Français, on voit ce que c'est que la révolution.»
Dans une lettre du 19 avril 1890 :
« le mouvement (de la classe ouvrière en Angleterre) progresse sous la surface, il gagne des couches de plus
en plus larges, et surtout parmi la masse inférieure (souligné par Engels) jusque là immobile. Le jour n'est pas loin où cette masse se retrouvera elle même, où elle aura compris que c'est elle,
précisément, qui est cette masse colossale en mouvement».
Le 4 mars 1891 :
« l'échec de l'union des dockers qui s'est désagrégée; les « vieilles » trade unions conservatrices, riches et
partant poltronnes, restent seules sur le champ de bataille »...
Le 14 septembre 1891 : au congrès des trade unions à Newcastle, ont été vaincus les vieux unionistes, adversaires de la journée
de huit heures, « et les journaux bourgeois avouent la défaite du parti ouvrier bourgeois »(souligné partout par Engels)...
Que ces pensées d'Engels, reprises pendant des dizaines d'années, aient aussi été formulées par lui publiquement, dans la presse,
c'est ce que prouve sa préface à la deuxième édition (1892) de La situation des classes laborieuses en Angleterre. Il y traite de « l'aristocratie de la classe ouvrière », de la « minorité
privilégiée des ouvriers », qu'il oppose à la « grande masse des ouvriers ». « La petite minorité privilégiée et protégée » de la classe ouvrière bénéficiait seule des « avantages durables » de
la situation privilégiée de l'Angleterre en 1848 1868;
« la grande masse, en mettant les choses au mieux, ne bénéficiait que d'améliorations de courte durée
»...
« Avec l'effondrement du monopole industriel de l'Angleterre, la classe ouvrière anglaise perdra sa situation
privilégiée ... »
Les membres des « nouvelles » unions, des syndicats d'ouvriers non spécialisés,
« ont un avantage inappréciable : leur mentalité est un terrain encore vierge, parfaitement libre du legs des «
respectables » préjugés bourgeois, qui désorientent les esprits des « vieux unionistes » mieux placés » ... Les « prétendus représentants ouvriers », en Angleterre, sont des gens « à qui ou
pardonne leur appartenance à la classe ouvrière, parce qu'ils sont eux-mêmes prêts à noyer cette qualité dans l'océan de leur libéralisme »...
C'est à dessein que nous avons reproduit des extraits assez abondants des déclarations on ne peut plus explicites de Marx et
d’Engels, afin que les lecteurs puissent les étudier dans leur ensemble. Et il est indispensable de les étudier, il vaut la peine d'y réfléchir attentivement. Car là est le nœud de la tactique
imposée au mouvement ouvrier par les conditions objectives de l'époque impérialiste.
Là encore Kautsky a déjà essayé de « troubler l'eau » et de substituer au marxisme une conciliation mielleuse avec les
opportunistes. Dans une polémique avec les social impérialistes déclarés et naïfs (dans le genre de Lensch) qui justifient la guerre du côté de l'Allemagne comme une destruction du monopole de
l'Angleterre, Kautsky « rectifie » cette contre vérité évidente au moyen d'une autre contre vérité, non moins évidente. Il remplace la contre vérité cynique par une contre vérité doucereuse ! Le
monopole industriel de l'Angleterre, dit il, est depuis longtemps brisé, depuis longtemps détruit, il n'est ni nécessaire ni possible de le détruire.
En quoi cet argument est il faux ?
En ce que, premièrement, il passe sous silence le monopole colonial de l'Angleterre. Or, comme nous l'avons vu, Engels a soulevé
cette question d'une façon parfaitement claire dès 1882, c'est à dire il y a 34 ans ! Si le monopole industriel de l'Angleterre est détruit, le monopole colonial non seulement demeure, mais a
entraîné de graves complications, car tout le globe terrestre est déjà partagé ! A la faveur de son mensonge mielleux, Kautsky fait passer subrepticement sa petite idée pacifiste bourgeoise et
petite bourgeoise opportuniste selon laquelle il n'y aurait « aucune raison de faire la guerre ». Au contraire, non seulement les capitalistes ont maintenant une raison de faire la guerre, mais
il leur est impossible de ne pas la faire s'ils veulent sauvegarder le capitalisme; car, sans procéder à un repartage des colonies par la violence, les nouveaux pays impérialistes ne peuvent
obtenir les privilèges dont jouissent les puissances impérialistes plus vieilles (et moins fortes).
Deuxièmement. Pourquoi le monopole de l'Angleterre explique-t-il la victoire (momentanée) de l'opportunisme dans ce pays ? Parce
que le monopole fournit un surprofit, c'est à dire un excédent de profit par rapport au profit capitaliste normal, ordinaire dans le monde entier. Les capitalistes peuvent sacrifier une, parcelle
(et même assez grande !) de ce surprofit pour corrompre leurs ouvriers, créer quelque chose comme une alliance (rappelez vous les fameuses « alliances » des trade unions anglaises avec leurs
patrons, décrites par les Webb), une alliance des ouvriers d'une nation donnée avec leurs capitalistes contre les autres pays. Le monopole industriel de l'Angleterre a été détruit dès la fin du
XIX° siècle. Cela est incontestable. Mais comment cette destruction s'est elle opérée ? Aurait elle entraîné la disparition de tout monopole ?
S'il en était ainsi, la « théorie » de la conciliation (avec l'opportunisme) de Kautsky recevrait une certaine justification. Mais
ce n'est justement pas le cas. L'impérialisme est le capitalisme monopoliste. Chaque cartel, trust, syndicat patronal, chaque banque géante, est un monopole. Le surprofit n'a pas disparu, il
subsiste. L'exploitation par un seul pays privilégié, financièrement riche, de tous les autres pays demeure et se renforce. Une poignée de pays riches ils ne sont que quatre en tout,
si l'on veut parler de la richesse « moderne », indépendante et véritablement prodigieuse : l'Angleterre, la France, les Etats Unis et l'Allemagne ont développé les monopoles dans
d'immenses proportions, reçoivent un surprofit se chiffrant par centaines de millions sinon par milliards, « chevauchent sur l'échine » de centaines et de centaines de millions d'habitants des
autres pays, et luttent entre eux pour le partage d'un butin particulière ment abondant, particulièrement gras et de tout repos.
Là est justement l'essence économique et politique de l'impérialisme, dont Kautsky cherche à estomper les très profondes
contradictions, au lieu de les dévoiler.
La. bourgeoisie d'une « grande » puissance impérialiste peut, économiquement, soudoyer les couches supérieures de « ses » ouvriers
en sacrifiant à cette fin quelque cent ou deux cent millions de francs par ai, , car son surprofit s'élève probablement à près d'un milliard. Et la question de savoir comment cette petite aumÔne
est partagée entre ouvriers-ministres, « ouvriers députés » (rappelez-vous l'excellente analyse donnée de cette notion par Engels), ouvriers membres des comités des industries de guerre,
ouvriers fonctionnaires, ouvriers organisés en associations étroitement corporatives, employés, etc., etc., c'est là une question secondaire.
De 1848 à 1868, et aussi partiellement plus tard, l'Angleterre était seule à bénéficier du monopole; c'est pourquoi l'opportunisme
a pu y triompher des dizaines d'années durant; il n'y avait pas d'autres pays possédant de riches colonies ou disposant d'un monopole industriel.
Le dernier tiers du XIX° siècle a marqué le passage à une nouvelle époque, celle de l'impérialisme. Le capital financier bénéficie
d'une situation de monopole non pas dans une seule, mais dans plusieurs grandes puissances, très peu nombreuses. (Au Japon et, en Russie, le monopole de la force militaire, l'immensité du
territoire ou des commodités particulières de spoliation des allogènes, de la Chine, etc., suppléent en partie, remplacent en partie le monopole du capital financier contemporain, moderne.) Il
résulte de cette différence que le monopole de l'Angleterre a pu demeurer incontesté pondant des dizaines d'années. Le monopole du capital financier actuel est furieusement disputé; l'époque des
guerres impérialistes a commencé. Autrefois l'on pouvait soudoyer, corrompre pour des dizaines d'années la classe ouvrière de tout un pays. Aujourd'hui, ce serait invraisemblable, voire
impossible ; par contre, chaque « grande » puissance impérialiste peut soudoyer et soudoie des couches moins nombreuses (que dans l'Angleterre des années 1848 à 1868) de l'« aristocratie ouvrière
». Autrefois, un « parti ouvrier bourgeois », selon l'expression remarquablement profonde d'Engels, ne pouvait se constituer que dans un seul pays, attendu qu'il était seul à détenir le monopole,
mais en revanche pour longtemps. Aujourd'hui, « le parti ouvrier bourgeois» est inévitable et typique pour tous les pays impérialistes; mais, étant donné leur lutte acharnée pour le partage du
butin, il est improbable qu'un tel parti puisse triompher pour longtemps dans plusieurs pays. Car les trusts, l'oligarchie financière, la vie chère, etc., en permettant de corrompre de petits
groupes de l'aristocratie ouvrière, écrasent, oppriment, étouffent et martyrisent de plus en plus la masse du prolétariat et du semi prolétariat.
D'une part, la tendance de la bourgeoisie et des opportunistes à transformer une poignée de très riches nations privilégiées en
parasites « à perpétuité » vivant sur le corps du reste de l'humanité, à « s'endormir sur les lauriers » de l'exploitation des Noirs, des Indiens, etc., en les maintenant dans la soumission à
l'aide du militarisme moderne pourvu d'un excellent matériel d'extermination. D'autre part, la tendance des masses, opprimées plus que par le passé et subissant toutes les affres des guerres
impérialistes, à secouer ce joug, à jeter bas la bourgeoisie. C'est dans la lutte entre ces deux tendances que se déroulera désormais inéluctablement l'histoire du mouvement ouvrier. Car la
première tendance n'est pas fortuite : elle est économiquement « fondée ». La bourgeoisie a déjà engendré et formé à son service des « partis ouvriers bourgeois » de social chauvins dans tous les
pays. Il n'y à aucune différence essentielle entre un parti régulièrement constitué comme, par exemple, celui de Bissolati en Italie, parti parfaitement social-impérialiste, et, disons, le
pseudo parti à demi constitué des Potressov, Gvozdev, Boulkine, Tchkhéidzé. Skobelev et Cie. Ce qui importe, c'est que, du point de vue économique, le rattachement de l'aristocratie ouvrière à la
bourgeoisie est parvenu à sa maturité et s'est achevé; quant à la forme politique, ce fait économique, ce changement des rapports de classe s'en trouvera une sans trop de « difficulté
».
Sur la base économique indiquée, les institutions politiques du capitalisme moderne la presse, le Parlement, les
syndicats, les congrès, etc. ont créé à l'intention des ouvriers et des employés réformistes et patriotes, respectueux et bien sages, des privilèges et des aumônes politiques
correspondant aux privilèges et aux aumônes économiques. Les sinécures lucratives et de tout repos dans un ministère ou au comité des industries de guerre, au Parlement et dans diverses
commissions, dans les rédactions de « solides » journaux légaux ou dans les directions de syndicats ouvriers non moins solides et « d'obédience bourgeoise », voilà ce dont use la
bourgeoisie impérialiste pour attirer et récompenser les représentants et les partisans des « partis ouvriers bourgeois ».
Le mécanisme de la démocratie politique joue dans le même sens. Il n'est pas question, au siècle où nous sommes, de se passer
d'élections; on ne saurait se passer des masses; or, à l'époque de l'imprimerie et du parlementarisme, on ne peut entraîner les masses derrière soi sans un système largement ramifié,
méthodiquement organisé et solidement outillé de flatteries, de mensonges, d'escroqueries, de jongleries avec des mots populaires à la mode, sans promettre à droite et à gauche toutes sortes de
réformes et de bienfaits aux ouvriers, pourvu qu'ils renoncent à la lutte révolutionnaire pour la subversion de la bourgeoisie. Je qualifierais ce système de Iloydgeorgisme, du nom d'un des
représentants les plus éminents et les plus experts de ce système dans le pays classique du « parti ouvrier bourgeois », le ministre. anglais Lloyd George. Brasseur d'affaires bourgeois de
premier ordre et vieux flibustier de la politique, orateur populaire, habile à prononcer n'importe quel discours, même rrrévolutionnaire, devant un auditoire ouvrier, et capable de faire accorder
de coquettes aumônes aux ouvriers obéissants sous l'aspect de réformes sociales (assurances, etc.), Lloyd George sert à merveille la bourgeoisie [3] ; et il la sert justement parmi les ouvriers,
il propage son influence justement au sein du prolétariat, là où il est le plus nécessaire et le plus difficile de s'assurer une emprise morale sur les masses.
Et y a-t-il une grande différence entre Lloyd George et les Scheidemann, les Legien, les Henderson et les Hyndman, les Plékhanov,
les Renaudel et consorts ? Parmi ces derniers, nous objectera-t-on, il en est qui reviendront au socialisme révolutionnaire de Marx. C'est possible, mais c'est là une différence de degré
insignifiante si l'on considère la question sur le plan politique, c'est à dire à une échelle de masse. Certains personnages parmi les chefs social chauvins actuels peuvent revenir au
prolétariat. Mais le courant social chauvin ou (ce qui est la même chose) opportuniste ne peut ni disparaître, ni « revenir » au prolétariat révolutionnaire. Là où le marxisme est populaire parmi
les ouvriers, ce courant politique, ce « parti ouvrier bourgeois », invoquera avec véhémence le nom de Marx. On ne peut le leur interdire, comme on ne peut interdire à une firme commerciale de
faire usage de n'importe quelle étiquette, de n'importe quelle enseigne ou publicité. On a toujours vu, au cours de l'histoire, qu'après la mort de chefs révolutionnaires populaires parmi les
classes opprimées, les ennemis de ces chefs tentaient d'exploiter leur nom pour duper ces classes.
C'est un fait que les « partis ouvriers bourgeois », en tant que phénomène politique, se sont déjà constitués dans tous les pays
capitalistes avancés, et que sans une lutte décisive et implacable, sur toute la ligne, contre ces partis ou, ce qui revient au même, contre ces groupes, ces tendances, etc., il ne saurait être
question ni de lutte contre l'impérialisme, ni de marxisme, ni de mouvement ouvrier socialiste. La fraction Tchkhéidzé, Naché Diélo, Golos Trouda en Russie et les « okistes » à l'étranger, ne
sont rien de plus qu'une variété d'un de ces partis. Nous n'avons pas la moindre raison de croire que ces partis puissent disparaître avant la révolution sociale. Au contraire, plus cette
révolution se rapprochera, plus puissamment elle s'embrasera, plus brusques et plus vigoureux seront les tournants et les bonds de son développement, et plus grand sera, dans le mouvement
ouvrier, le rôle joué par la poussée du flot révolutionnaire de masse contre le flot opportuniste petitbourgeois. Le kautskisme ne représente aucun courant indépendant; il n'a de racines ni dans
les masses, ni dans la couche privilégiée passée à la bourgeoisie. Mais le kautskisme est dangereux en ce sens qu'utilisànt l'idéologie du passé, il s'efforce de concilier le prolétariat avec le
« parti ouvrier bourgeois », de sauvegarder l'unité du prolétariat avec ce parti et d'accroître ainsi le prestige de ce dernier. Les masses ne suivent plus les social chauvins déclarés; Lloyd
George a été sifflé en Angleterre dans des réunions ouvrières; Hyndman a quitté le parti; les Renaudel et les Scheidemann, les Potressov et les Gvozdev sont protégés par la police. Rien n'est
plus dangereux que la défense déguisée des social chauvins par les kautskistes.
L'un des sophismes kautskistes les plus répandus consiste à se référer aux « masses ». Nous ne voulons pas, prétendent ils, nous
détacher des masses et des organisations de masse ! Mais réfléchissez à la façon dont Engels pose la question. Les « organisations de masse » des trade unions anglaises étaient au XIX° siècle du
côté du parti ouvrier bourgeois. Marx et Engels ne recherchaient pas pour autant une conciliation avec ce dernier, mais le dénonçaient. Ils n'oubliaient pas, premièrement, que les organisations
des trade-unions englobent directement une minorité du prolétariat. Dans l'Angleterre d'alors comme dans l'Allemagne d'aujourd'hui, les organisations ne rassemblent pas plus de 1/5 du
prolétariat. On ne saurait penser sérieusement qu'il soit possible, en régime capitaliste, de faire entrer dans les organisations la majorité des prolétaires. Deuxièmement, et c'est là
l'essentiel, il ne s'agit pas tellement du nombre des adhérents à l'organisation que de la signification réelle, objective, de sa politique : cette politique représente-t-elle les masses, sert
elle les masses, c'est à dire vise-t-elle à les affranchir du capitalisme, ou bien représente-t-elle les intérêts de la minorité, sa conciliation avec le capitalisme ? C'est précisément cette
dernière conclusion qui était vraie pour l'Angleterre du XIX° siècle, et qui est vraie maintenant pour l'Allemagne, etc.
Engels distingue entre le « parti ouvrier bourgeois » des vieilles trade unions, la minorité privilégiée, et la « masse inférieure
», la majorité véritable; il en appelle à cette majorité qui n'est pas contaminée par la « respectabilité bourgeoise ». Là est le fond de la tactique marxiste !
Nous ne pouvons et personne ne peut prévoir quelle est au juste la partie du prolétariat qui suit et
suivra les social chauvins et les opportunistes. Seule la lutte le montrera, seule la révolution socialiste, en décidera finalement. Mais ce que nous savons pertinemment, c'est que les «
défenseurs de la patrie » dans la guerre, impérialiste ne représentent qu'une minorité. Et notre devoir, par conséquent, si nous voulons rester des socialistes, est d'aller plus bas et plus
profond, vers les masses véritables : là est toute la signification de la lutte contre l'opportunisme et tout le contenu de cette lutte. En montrant que les opportunistes et les social chauvins
trahissent en fait lés intérêts de la masse, défendant les privilèges momentanés d'une minorité d'ouvriers, propagent les idées et l'influence bourgeoises et sont en fait les alliés et les agents
de la bourgeoisie, nous apprenons aux masses à discerner leurs véritables intérêts politiques et à lutter pour le socialisme et la révolution à travers les longues et douloureuses péripéties des
guerres impérialistes et des armistices impérialistes.
Expliquer aux masses que la scission avec l'opportunisme est inévitable et nécessaire, les éduquer pour la révolution par une
lutte implacable contre ce dernier, mettre à profit l'expérience de la guerre pour dévoiler toutes les ignominies de la politique ouvrière nationale libérale au lieu de les camoufler : telle est
la seule ligne marxiste dans le mouvement ouvrier mondial.
Dans notre prochain article, nous essaierons de résumer les principaux caractères distinctifs de cette ligne, en l'opposant au
kautskisme.
Notes
[1] « L'impérialisme est un produit du capitalisme industriel hautement évolué. Il consiste dans la tendance de toute nation capitaliste
industrielle à se soumettre et à s'adjoindre des régions agraires toujours plus nombreuses sans égard aux nations qui les habitent » (Kautsky, dans la Neue Zeit du 11.IX.1914).
[2] J. A. Hobson; Imperialism, London 1902.
[3] Récemment, dans une revue anglaise, j'ai trouvé l'article d'un tory, adversaire politique de Lloyd George : « Lloyd George vu par un
tory. » La guerre a ouvert les yeux à cet adversaire et lui a montré quel parfait commis de la bourgeoisie est ce Lloyd George ! Les tories ont fait la paix avec lui !