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10 août 2008 7 10 /08 /août /2008 17:48
Dimanche 10 Août 2008
Sans-papiers : le point de l'été

Voilà un mois que nous n’avons pas fait le point sur le mouvement des sans-papiers. A la fois un petit relâchement lié aux congés de certains camarades, et aussi pour prendre du recul, voir comment les choses évoluaient.
Nos lecteurs ont entretenu l’information par leurs commentaires réguliers, c’est une excellente chose et le signe d’une mobilisation réelle. Nous ne pouvons que les encourager à continuer en ce sens !
En ce milieu de l’été, nous refaisons donc le point, à la fois sur le fond et sur les événements, en attendant une rentrée qui devrait de toutes les façons voir une évolution notable, d’une manière ou d’une autre.

Changement de politique au gouvernement

La chasse aux sans-papiers, la mise en place de Hortefeux et du Ministère de l’Immigration et les régularisations par le travail au compte goutte ne sont manifestement pas seulement une concession à la frange la plus réactionnaire de l’électorat de Sarkozy. Il s’agit d’un tournant organisé et cohérent dans la politique de l’immigration, où il s’agit désormais de trouver une main-d’œuvre adaptée au marché du travail et aux exigences du capitalisme, au fur et à mesure des évolutions de la guerre économique. Après la flexibilité externe entre entreprises (intérim, précarité…), la flexibilité interne aux entreprises (les horaires atypiques, la polyvalence…), voici la flexibilité de la main d’œuvre officiellement gérée par les flux migratoires !
Voilà un moment que tous les experts reconnaissent l’évolution du marché du travail et de la pyramide des âges qui vont mathématiquement mener à une carence de main d’œuvre dans les années à venir, avec les départs massifs à la retraite des générations de l’après-guerre et une natalité insuffisante. D’où la nécessité, reconnue explicitement ou pas, d’une certaine immigration pour continuer à faire tourner l’impérialisme français : sans main d’œuvre, pas d’exploitation, pas de profits, pas de capitalisme !
La création du ministère de l’immigration choisie, c’est cela, et cette politique se met en place, petit à petit.

On constate par exemple en ce moment que les demandes de régularisation pour vie privée/vie familiale (avant examinées en préfecture) sont pratiquement systématiquement transférées vers le Ministère du Travail pour examen du dossier, en fonction d’un hypothétique contrat de travail. C'est donc de cette manière qu’il faut interpréter la position de la CGT son attitude dans les grèves des sans-papiers et sa relation au gouvernement. Car au fond, la direction confédérale partage absolument la logique du gouvernement, elle ne s’en distingue que par les règles, les critères, l’ampleur des dossiers à traiter.
Derrière la reconnaissance (positive) des sans-papiers comme travailleurs surgit en permanence la soumission aux exigences de l’économie nationale. Derrières les arguments « Ils travaillent, ils paient des impôts », se cache « on a besoin d’eux pour la bonne santé du capitalisme ».
Pourquoi la CGT a-t-elle abandonné la revendication de la « régularisation de TOUS les sans-papiers » validée au 48ème Congrès ? Par réalisme économique et adaptation au capitalisme.
Et on ne peut que constater que cette logique de nécessité économique a fait régresser le contenu du mouvement. Lors des régularisations d’enfants autour de l’activité de RESF en 2006, l’idée de la « libre circulation » avait beaucoup progressé, sur la base d’un humanisme radical, de l’égalité des droits, dans la mesure où aucune nécessité, priorité économique ne pouvait être utilisée quand il s’agit d’enfants.
Aujourd’hui, ce mot d’ordre de « Libre Circulation » n’apparaît plus, comme « L’égalité complète de tous les Droits », ni d’ailleurs celui de « L’abrogation de toutes les lois anti-immigrés » passées, la loi CESEDA n’étant que la dernière en date. Car contester les lois, depuis les lois Fontanet-Marcellin en 1972 à aujourd’hui, en passant par Bonnet-Stoleru en 1980, Pasqua en 1986, Chevènement en 1998 etc., c’est porter la lutte sur le terrain  politique, contester l’ensemble des politiques gouvernementales de ces 40 dernières années.

Aussi, il convient plus que jamais de porter le fer sur l’ensemble de ces aspects, tout à fait indissociable. Nous ne critiquons notre direction confédérale pas seulement parce qu’elle est trop molle, parce qu’elle ne généralise pas le mouvement, mais pour les raisons qui expliquent cette attitude : l’intégration dans une logique du marché de la main d’œuvre capitaliste !
Il faut remettre en avant l’ensemble des revendications du mouvement des sans-papiers :
  • Régularisation sans condition de tous les sans-papiers !
  • Libre circulation (et libre installation, bien sûr) des travailleurs, sans restriction !
  • Egalité absolue de tous les droits, c’est l’inégalité qui renforce la concurrence !
  • Abrogation de toutes les lois anti-immigré de tous les gouvernements passés !
  • Travailleurs français et immigrés, une seule classe ouvrière, liberté d’organisation et de lutter ensemble contre l’ennemi commun !
C’était le sens du tract réalisé par les militants qui animent ce blog, et diffusé à partir du mois de juin, tract qui reste parfaitement d’actualité…

Les grèves pilotées par la CGT

Au milieu du mois de juillet, Francine Blanche annonçait pour la CGT que les régularisations se multipliaient, 700 à l’époque, plus de 850 aujourd’hui. Des grèves importantes cessaient comme le chantier de Xantrailles à Paris, après la reprise des Fabio Lucci. On peut être sur que la Confédération va s’appuyer sur ce chiffre pour valider sa tactique (comme on peut le voir dans l'interview de Francine Blanche à l'Humanité le 1er Aout), alors que l’élargissement s’est fait contre son gré, qu’elle est sous pression constante de l’occupation de la Bourse du Travail de paris par la Coordination 75 et qu’elle fait tout pour éviter l’élargissement, la coordination et le regroupement des grévistes laissés au cas par cas dans leurs entreprises.

Dans le deuxième bulletin de soutien aux sans-papiers (en date du 22 juillet), la confédération continue de valoriser l’extension de la lutte, mais comme noté précédemment à propos de Lyon, ces quatre pages semblent largement propagandistes et en décalage avec la réalité. Dans ce bulletin, une longue brève valorise par exemple une action à Marseille dont on ne trouve pas la plus petite trace sur le site de l’UD13. Les difficultés, les limites (comme à Breteuil, expliquées par une lectrice) ne sont  pas développées quand elles ne sont pas escamotées. Ainsi en Seine Saint-Denis, une grève non programmée (Griallet à Montreuil) se poursuit face à un patron cow-boy, mais dans l'isolement et l’oubli de la confédération sur son bulletin, alors qu’il s’agit d’une grève importante, et que le TGI de Bobigny vient de prononcer l’expulsion des 21 grévistes de leur entreprise. Alors, quand on entend dans l’UD93 que la grève a été « mal préparée », alors qu’elle est massive et dure depuis mai ! En fait il semble que dans l’esprit des responsables départementaux, c’est une grève qui n’aurait pas du avoir lieu face à un patron sans foi ni loi, qui ne cède  pas un pouce et refuse tout compromis, à la différence de bon nombre de patrons dans la restauration, le commerce ou ailleurs…
Car on retrouve le même état d’esprit, même s’il n’est pas explicite : comme c’est la nécessité économique qui donne sa justification à la lutte (et non l'unité de classe), on devrait pouvoir arriver à un terrain d’entente avec les patrons compréhensifs. Et si la lutte des classes devient trop rude, si c’est la guerre de classe, alors il aurait mieux valu peut-être éviter le combat… Voilà l’état d’esprit du réformisme. Au lieu d’élargir, de mobiliser la population, de regrouper et coordonner les grévistes dans un esprit de classe, contre le capitalisme et  le gouvernement, on isole, on sépare et on essaye des petits arrangements compréhensifs, les négociations de couloirs et de préfecture. En attendant d’être rattrapé par la réalité de l’exploitation…

Autre volet de propagande et d’intoxication, la prétendue collecte de soutien annoncée dans le bulletin, dont aucun d’entre nous n’a vu la moindre trace. Première question : cet argent existe-t-il réellement ? Même pas sûr, si ça se trouve simple propagande, puisqu’aucune information véritable n’est passée dans les structures de la CGT à ce propos… Deuxième question : sous quel contrôle ? Rappelons que la collecte de soutien aux travailleurs de PSA (massive, plus de 100 000 euros !) était sous le contrôle direct du comité de grève. Troisième question : y a-t-il eu distribution, où, quand et à qui ? Questions auxquelles nos lecteurs peuvent apporter leurs réponses partielles, nous n’avons de notre côté aucun élément concret !

L’occupation de la Bourse du Travail

Dans l'article précédent, nous avions noté une baisse de la tension, mais ce n’est pas pour cela que la situation s’est réglée, comme l'a expliqué Françoise Riou. Pour Sissoko, porte parole des occupants, c’est la question des travailleurs isolés qui est posée et pour l’instant non abordée, sinon dans le dépôt de dossiers (un article paru dans Libération) :
"Aujourd'hui, sur 1300 personnes inscrites à bourse, 600 dossiers ont été déposés et sont en attente dans les bureaux de la préfecture, expose Sissoko, représentant du collectif des sans papiers du 75. On a décidé d'intensifier la contestation avec des actions deux fois par semaines. Les soutiens officiels, les associations tels que la Cimade, le GISTI, RESF, devraient avoir un rôle de médiateur entre la CGT et nous. Mais ils ne préfèrent pas intervenir. Ils nous disent que cette occupation ne mènera à rien.
Les syndicats n'ont pas la volonté de nous aider parce qu'on est des travailleurs isolés. Ils ne sont présents que dans les entreprises où il y a des sections syndicales. Mais dans une entreprise, s’il n'y a qu'un seul sans-papier, il ne peut rien obtenir. Le 17 avril on a demandé une régularisation par branche d'activité mais la proposition n'a pas été entendue. Le gouvernement demande aux patrons de signer un engagement de régularisation. La France est gouvernée par les patrons. La seule solution aujourd'hui c'est l'appel à une grève générale des syndicats. Dans tous les pays, ils régularisent des sans-papiers. Pourquoi pas en France ?
En attendant environ 800 personnes dorment ici chaque soir. Il n'y a plus assez de places. Certains dorment dans la cour. La situation est difficilement gérable. On a proposé aux gens de rentrer dormir chez eux et de revenir le lendemain matin mais ils refusent. Notre but c'est d'être sur le terrain. Si on ne nous voit pas, on n’est pas crédible."

La mobilisation se poursuit, les manifestations se succèdent, mais pour l’instant, tout se pose en question de dossiers, alors qu’à l’évidence, le rapport de force global, essentiel pour les isolés, n’est pas construit. Force est de constater que ce n’est en tous les cas pas la préoccupation de la confédération et de nombre de dirigeants départementaux, qui renvoient les isolés aux calendes grecques, sans plus de souci et de préoccupations…

Enfin, il faut noter la volonté de poursuivre les rencontres et les contacts entre collectifs de sans-papiers, rencontres entamées au printemps. Une rencontre a eu lieu  le 26 juillet, dont on peut lire le compte rendu sur le site du « Quotidien des sans-papiers », trois autres les 2, 9 août et 16 août avec en perspective
la grande manifestation d’anniversaire de la lutte des Saint-Bernard (1996), qui se tiendra samedi 23 Août, départ 14h de la Bourse du Travail à Paris vers l'Eglise Saint-Bernard, et dont nous ne pouvons imaginer que la CGT se désintéressera. C’est au contraire l’occasion inespérée de regrouper tous les grévistes, tous les sans-papiers, tous les soutiens  pour faire une manifestation déterminée pour l’unité de classe de tous les travailleurs.
Nous invitons tous les camarades présents, tous les grévistes, tous les syndicats à mobiliser dès à présent pour faire de cette manifestation un succès et le point de relance de la lutte à la rentrée !

Tous à la manifestation-anniversaire de la lutte des Saint-Bernard !
Vive la lutte des sans-papiers !
Organisons, regroupons et élargissons la grève !

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