[deuxième mise à jour 15 juin 2008]
Presque deux semaines qu'un article n'a pas été publié sur le sujet sur ce blog. Un signe évident, celui d'un certain enlisement.
Tentons de regrouper les informations qui nous sont arrivées, et nous invitons surtout nos lecteurs à réagir, soit pour apporter de nouvelles informations, soit pour confirmer ou infirmer les éléments d'analyse ci-dessous, qui sont bien parcellaires.
Concernant les régularisations.
Le 29 mai : 54 salariés grévistes auraient leurs papiers à Paris :
- 23 chez PAPA,
- 8 chez Fabio Lucci
- 9 salariés sur le chantier Xiantrailles dans le 13ème arrondissement
- 2 de l'entreprise Bateg (78), 7 de l'entreprise Deremet (92).
- 5 à la Pizza Marzano
- 9 chez Market
- 2 salariés de CDT (BTP), en grève dans le 17ème, un de chez Barrio Latino et un autre de Barlotti, en grève dans le 12ème, ainsi que 6 autres du restaurant Breteuil, dans le 7ème, sont convoqués aujourd’hui (le 29).
Des récépissés de trois mois en vue de leur régularisation ont été délivrés par la Préfecture del'Essonne et d'autres Préfectures de la région parisienne.
- Duca : 3/5 à Grigny
- Véolia : 14/19 à Wissous
- Millénium : 32/47 à Igny
- Samsic : 5/7 à Massy
- Stern : 2/12 à Verrières le Buisson
- BBF : 18/20 à Ormoy
- Europe service : 9/13 à Evry
D'autres régularisations ont eu lieu en banlieue (92, 93, 94) mais on est très très loin du compte.
Concernant l'élargissement de la lutte
Tout d'abord, le constat est fait qu'il n'y a pas d'élargissement en province. La direction confédérale de la CGT a semble-t-il fait diffuser largement la note confédérale de F.Blanche et R.Chauveau du 2 mai, mais non pas pour élargir la lutte, comme cela pourrait le laisser penser, mais pour le freiner. Il y est en effet écrit que tant que la première vague n'est pas régularisée on ne fait rien. Par ailleurs, nous voyons que là où il y aurait un potentiel de départ, la CGT locale freine des quatre fers. Ainsi, nous avons eu connaissance d'un message du l'UD du Nord daté du 3 mai particulièrement significatif :
"Travailleurs sans papiers :
Trois cas individuels ont été recensés
Il va de soit que la régularisation des sans papiers avec la CGT et les syndiqués sans papiers de la région parisienne ont engendré des espoirs de régularisations individuelles. Mais parce que nous sommes une
organisation, parce que nous sommes responsables, il convient de ne pas faire n’importe quoi.
L’explosion médiatique, la sortie de l’ombre des salariés sans papier n’est pas du au hasard. Cela fait plus d’un an que ces salariés ont construit avec la CGT des sections syndicales et des revendications pour leur régularisation.
Ceux sont donc des syndiqués qui par leur nombre et leurs actions ont su rendre insupportable l’idée de ne pas être régulariser. Il en va autrement des isolés.
Une circulaire d’avril 2008 tend littéralement une souricière aux sans papiers qui souhaiteraient une régularisation puisqu’ils doivent se présenter physiquement et dès lors ils sont interpellés et mis en centre
de rétention avant expulsion.
Parce que la CGT est une organisation, son rôle est d’organiser les salariés pour se défendre et gagner des droits. Une note pratique et d'infos rédigée par la Confédération devrait nous parvenir ces jours ci"
Trois cas seulement dans le Nord, on croit rêver, il faudrait demander au CSP 59 ce qu'ils en pensent ! Et même trois cas, c'est encore trop, il est urgent d'attendre et d'être responsable...
Ensuite, partout le conflit est localisé, circonscrit localement. C'est à dire que la grève se mène au cas par cas, entreprise par entreprise, et surtout sans généralisation, échange, rencontres autres que locales. Alors qu'il y a une multitude d'initiatives et d'expériences qui mériteraient au moins de se retrouver et de se confronter. "Tous ensemble" ne devrait pas être qu'un slogan ! Donc sans moyen de constituer une force politique globale face au gouvernement. La CGT veut conserver son rôle d'interlocuteur privilégié, et ne veut pas d'élargissement. Comment imaginer gagner ainsi face à la bande Sarkozy - Fillon - Hortefeux ? Dans un article précédent, nous avions critiqué la CGT d'être "à l'arrière-garde" du mouvement, c'était peut-être un peu excessif (on nous l'a reproché), mais en tous les cas elle tire de toutes ses forces en arrière. C'est d'ailleurs proprement stupéfiant quand on voit la popularité de ce conflit parmi les militants de la CGT à l'occasion des rencontres et congrès divers. Par contre en certains endroits, des tentatives sont faites pour dépasser la tactique verrouillée de la Confédération. Ainsi ce tract de l'UD CGT des Alpes Maritimes qui appelle à la manifestation du 17 janvier en mettant les sans-papiers au premier plan, pour les regrouper, pour les faire apparaître publiquement, en faire une question politique !
Concernant la région parisienne, l'élargissement semble de plus en plus confus et anarchique. Des entreprises sont rentrées en grève de manière impromptue (Griallet à Montreuil), des grèves s'ouvrent dans des restaurants ou des entreprises, au fil de la motivation des travailleurs et des collectifs de soutien, sans plus aucune planification et d'organisation véritable. La notion de "vague" parait complètement dépassée, et on ne voit plus de pilote dans l'avion. Encore ces jours-ci, deux nouvelles entreprises occupées à Roissy, en pleine enceinte de l'aéroport, comme le rapporte un article du Parisien :
"Aéroport de Roissy
Deux nouvelles usines occupées par des sans-papiers Marie Poussel
vendredi 06 juin 2008 | Le Parisien
«SI LES GENS savaient ce qu'ils triment pour que les autres voyagent ! » C'est le cri du cœur de Gilles Reboul, un délégué CGT d'Air France. Hier, il est venu donner un coup de main à ses « collègues pas encore syndiqués ». A 14 heures, une vingtaine de sans-papiers travaillant dans une usine de Roissy se sont mis en grève.
Ils ont décidé d'occuper leur entreprise pour se faire régulariser. Dans la matinée, ils étaient également une quinzaine dans une autre société, toute proche, Partenair. A quelques mètres de la gendarmerie aéroportuaire, ces dizaines de travailleurs de l'ombre risquent tous les jours, en allant travailler, de se faire expulser. Pour la plupart sénégalais, ils passent leurs journées à laver les serviettes des voyageurs ou à adoucir les couvertures polaires. « Nous travaillons pour Corsair, Emirate Airlines et toutes les plus grandes compagnies », témoigne un intérimaire de 27 ans. « Depuis dix-huit ans, c'est la première fois que nous nous mobilisons comme ça », enchaîne un représentant du personnel. « Ils craignaient de se mettre sur le devant de la scène par peur de représailles, précise Thierry Bigeon, de la CGT. Mais en entendant les différentes actions menées dans la région, ils se sont dits Pourquoi pas nous ? » Dans l'après-midi, ils ont été reçus par un représentant de la direction.
« Il s'est engagé sur une augmentation et sur un dépôt des dossiers en préfecture en vue de la régularisation et à embaucher les intérimaires de longue durée... » se réjouit Serge Nybelen, secrétaire général de la CGT.
Une direction qui semble aller dans le sens des travailleurs même si le « combat est loin d'être terminé ».
Un raisonnement partagé par Serge Simon, le directeur de Partenair, l'autre entreprise à se mobiliser hier. « Pris de court », ils sont treize à s'être mis en grève. Squattant la moquette du secrétariat et les couloirs, ces treize CDI ne veulent pas lâcher l'affaire.
Pourtant, il y a eu des prémices. En décembre dernier, lors d'un contrôle, quatre salariés sont arrêtés par la police, faute de papiers en règle. Relâchés le lendemain, ils reprennent le travail normalement. « Il y a deux jours, j'ai été convoqué au commissariat, raconte Serge Simon, le chef d'entreprise. Les policiers m'ont expliqué que j'engageais ma responsabilité pénale en embauchant des sans-papiers. Je les ai donc mis à pied à titre conservatoire le temps de trouver une solution », se dédouane-t-il. Une décision qui a poussé les salariés à se mettre en grève. « Je suis de bonne foi, plaide le chef d'entreprise. J'ai besoin d'eux pour faire tourner mon entreprise. Ils sont formés. Je m'en remets complètement à la décision du préfet. »
En d'autres endroits, c'est l'inverse. Les grévistes de Paristore (94) expulsés par jugement de leur occupation n'ont pas été encouragés par la CGT à occuper un autre magasin, comme ils l'avaient envisagé, et ont dû se replier sur Métalcouleur à Bonneuil. A Vitry, un collectif local (sur deux foyers) de sans-papiers s'est fait accueillir de manière glaciale par l'Union Locale CGT et rembarrée au prétexte que la CGT ne s'intéresse qu'aux tranvailleurs en entreprise... Là, c'est le pied à fond sur le frein !
Enfin, chaque fois que cela a lieu, le soutien aux sans-papiers est porté par une poignée de militants déterminés, et pas du tout par la CGT dans son ensemble. Alors que la confédération sait mobiliser massivement quand elle veut (voir l'opération en cours pour le 17 juin, un million de manifestants annoncés, le rouleau compresseur est lancé dans la CGT !) elle ne fait rien pour soutenir, élargir, aider les militants du soutien aux grévistes sans-papiers. C'est évidemment un choix politique, car le soutien à une grève nécessite une logistique et une popularisation extrêmement importante, sans parler des démarches administratives.
En conclusion, la direction de la CGT semble naviguer à vue, un peu dépassée par l'opération qu'elle a lancée, mais faisant tout pour en garder le contrôle par en haut.
Par ailleurs, les syndicalistes de classe ne semblent pour l'instant pas en capacité de développer le mouvement par eux mêmes, à la fois du fait de leurs forces et du poids de la CGT sur le mouvement face auquel il est impossible de faire l'impasse. Même les militants à l'initiative des grèves (UL Massy) semblent actuellement mis sur la touche par la Confédération. C'est aussi le problème auquel sont confrontés les militants de SUD et de la CNT qui tentent de leur côté d'élargir la lutte. Et comme l'affrontement d'orientation à l'intérieur de la CGT reste feutré et interne, sans démarcation et conflit ouvert, et bien rien ne bouge... C'est un des constats majeurs de la situation actuelle.
Concernant l'occupation de la Bourse du Travail par la CSP 75
Contrairement à des rumeurs qui avaient circulé sur l'évacuation par le service d'ordre de la CGT, la phase actuelle (mais pour combien de temps ?) est celle de la négociation. Une première réunion a eu lieu le 1er juin (dont voici le compte rendu), une autre a lieu le 8 juin, et voicici-dessous le dernier communiqué des délégués. On notera une nouvelle fois que l'enjeu semble se cristalliser sur la question des dossiers, alors qu'à l'évidence le problème n'est pas là. Solidaires en a encore fait l'amère expérience, puisque le dépôt de ses dossiers en préfecture a été proprement refusé... Par ailleurs, le communiqué du 1er juin pose de manière intéressante la question de l'élargissement et de la coordination du conflit lui-même.
"Communiqué des délégués de la coordination 75
A l'issue de la réunion d'hier soir, où il y avait une délégation de l'intersyndicale, et 4 associations représentées chacune par une personne (Gisti, Cimade, Mrap, autremonde), et une dizaine de responsables de la Coordination 75.
Nous avons fait remarquer que la coordination n'avait pas été prévenue de la présence des ces membres des associations, qui, de plus, ne nous soutiennent pas depuis que nous sommes à la bourse du travail.
Voici les propositions faites par les sans papiers à l'intersyndicale :
- dépôt de dossiers groupé et suivi
- parrainage par les syndicats
- appui par rapport aux employeurs (et aux syndicats patronaux)
Une commission a été mise en place avec un représentant de chaque organisation syndicale, plus cinq délégués de la coordination 75. La première réunion de cette commission devrait avoir lieu demain mercredi.
Je suis d'accord pour que les associations soient associées à cette commission mais j'attends la confirmation de tous les délégués. Je propose aussi que nous choisissions nous mêmes des personnes que nous jugeons compétentes, qui sont en même temps nos soutiens depuis le début.
A titre personnel, je pense que nous sommes capables de traiter les dossiers des sans papiers qui travaillent, avec feuilles de paye, contrats de travail etc ... nous faisons ces dossiers depuis des années.
Par contre, les dossiers des sans papiers qui n'ont ni feuilles de paye, ni contrat de travail, sont plus difficiles à préparer et là, peut-être que les associations pourraient les appuyer.
Nous ne souhaitons pas nous dessaisir des dossiers.
Nous pensons que l'intersyndicale est très bien placée pour défendre nos dossiers auprès des employeurs et des syndicats patronaux, ainsi que des préfectures.
On ne quittera pas la bourse du travail sans avoir des réponses claires à nos revendications, ni des engagements très précis de la part de l'intersyndicale.
Une rencontre au Ministère nous semble nécessaire car de nombreux sans papiers qui occupent actuellement la bourse n'habitent pas Paris, et les rapports avec les Préfectures risquent de n'être pas simples, sans décision expresse du Ministère.
Rappel : REUNION DE TOUS LES COLLECTIFS SANS PAPIERS DE FRANCE LE DIMANCHE 8 JUIN A 11 H 00 À LA BOURSE
Sissoko