Dimanche 9 mars 2014
La CGT et le coût du Capital
Depuis l’an dernier, la CGT mène une campagne sur « le coût du capital », qui n’est au final qu’une nouvelle campagne salaires avec un argumentaire relooké. On en voit la déclinaison dans les fédérations, avec des projets techniques de grilles de salaires et de qualifications, la multiplication des graphiques et argumentaires, et même si cette campagne ne marche pas (c’est ce que nous voyons tous les jours, c’est l’échec de la mobilisation du 6 février quoiqu’en dise la confédération), elle mérite qu’on s’y arrête.
Tout d’abord, d’où sort cette campagne ?
D’un groupe d’économistes de Lille, auteur d’une étude « le coût du capital et son surcoût » (rien que le titre est excellent,
il y aurait donc une sorte de coût légitime et un « surcoût » illégitime…), et d’un bouquin d’un théoricien du PC, Paul Boccara « Théories sur les crises, la suraccumulation et la dévalorisation
du capital » publié en 2013, le tout regroupé dans la revue du PC « Economie et Politique » de novembre dernier. On voit déjà d’où ça sort : de ces économistes qui jugent le capitalisme mal géré
par des prédateurs qui se gavent (on le fait en version court), et qu’il faut revenir au raisonnable et à une meilleure gestion avec de meilleurs experts, eux bien sûr.
La nouvelle version de l’éternelle « meilleure répartition des
richesses », propagée depuis toujours par la direction confédérale, et largement défendue par tous les prétendus opposants (voir l'affiche ci-dessus), à fond parties prenantes de
la campagne, sous un argumentaire plus radical en apparence et dans le discours, mais tout aussi englué dans la conception d’une « meilleure gestion d’un capitalisme à visage humain ».
De son côté, la CGT reprend complètement les argumentaires et le discours, pour en faire une campagne syndicale, que nous illustrons de ceux documents, ci-contre : un tract confédéral, et un document de 12 pages de la métallurgie très pédagogique. On laissera de côté les PowerPoint bourrés de graphiques et de courbes, destinés à duper le gogo sous l’apparence de la science…
Cette campagne part de quelques constats évidents
- La part des profits augmentent, les dividendes explosent, « ils se gavent ». C’est l’évidence, il suffit de voir l’explosion des profits des entreprises du CAC40, la multiplication des milliardaires à l’échelle de la planète etc.
- La part des salaires diminue, les inégalités s’accroissent, la misère s’étend. Là encore, c’est ce que nous voyons autour de nous.
- L’emploi s’effondre. Là encore, la nouvelle vague de restructurations (en attendant la prochaine) envoie des dizaines de milliers d’ouvriers au chômage et à la précarité, nous le voyons, nous le subissons en permanence
- Et enfin, c’est la force de travail qui crée les richesses dans le processus de production, on retrouve là quelques résidus d’une analyse économique matérialiste, qui est d’ailleurs à la base de l’affrontement irréconciliable entre capital et travail.
Ces constats, on va dire qu’en première analyse on peut les partager.
La question sans réponse, c’est pourquoi ça se passe comme ça ?
- Pour la direction confédérale, les actionnaires abusent et se gavent. Ils en veulent trop, ils spéculent, il y a un « surcoût » du capital, financier, qui n’est pas légitime, alors que le « coût » du capital, qui rémunère l’engagement et le risque serait, lui, légitime. Il faut mieux répartir les richesses, augmenter les salaires pour relancer la consommation et donc la production et par voie de conséquence, l’emploi. Autrement dit, on a la solution à la crise, il suffit de l’imposer aux actionnaires spéculateurs : cela s’appelle la « relance par la consommation ».
-
Ce dont ne parle pas la CGT, mais alors pas du tout, c’est de la concurrence, la mondialisation et les délocalisations. Elle
ne dit pas un mot de qui sont donc ces actionnaires des grands groupes (ceux qui se gavent) : soit des fonds de pension qui
payent des retraites, soit d’autres grands groupes industriels et financiers qui intègrent ces résultats dans leurs comptes pour leur propre rentabilité. Il n’est plus possible aujourd’hui de distinguer industrie et finance, le profit est indissociable… Aujourd’hui tous les monopoles (le CAC
40 et bien d’autres) sont à la fois industriels et financiers : Bouygues, Thalès, Vivendi, Saint-Gobain, PSA, Renault, Bolloré, AREVA, GdF Suez etc. sont totalement intégrés dans la finance
mondiale, quand ils n’ont pas leurs propres filiales bancaires et financières, leurs propres paradis fiscaux un peu partout dans le monde (voir ICI, c'est éclairant !, ou encore notre autre article sur
la Banque interne de Saint-Gobain, ICI). Tout simplement parce que les monopoles eux-mêmes n’ont pas le choix : s’ils ne gagnent pas en rentabilité et en productivité de cette manière, les
actionnaires vont aller là où c’est plus rentable, pas plus compliqué que cela, c’est la loi du capital et de la concurrence dans la mondialisation, qui explique les délocalisations par
exemple. La guerre économique pour les capitalistes, c’est comme la guerre militaire : vaincre ou périr !
Les réformistes ne veulent pas entendre parler de cette base du marxisme, à savoir que ce qui intéresse le capitaliste, ce n’est pas le profit en lui-même, mais le taux de profit, la rentabilité du capital investi. -
Du point de vue du capitalisme, la « relance par la consommation », ça ne peut pas marcher. C’est tout. Si on augmente les
salaires en diminuant les profits, la rentabilité du capital diminue, les actionnaires, qui n’ont aucun autre lien à l’entreprise que le titre de propriété vont aller voir ailleurs si l’herbe
est plus verte. Si au contraire on maintient les profits, les prix augmentent. Sans même parler des effets sur les importations et les exportations…
La solution, ré-avancée par exemple au Congrès de la FNIC (Chimie), c’est la nationalisation des grands groupes stratégiques, pour directement socialiser les profits. Ce n’est pas faux, mais cela fait l’impasse sur tout le contexte, la guerre économique, la mondialisation, le marché et la concurrence… Fermer alors les frontières, vivre en autarcie ? Cela n’a plus de sens dans le monde actuel, il suffit de ne regarder que l’indépendance énergétique…
Pour remettre l’économie sur ses pieds, au service des besoins du peuple, il faut faire une révolution, il faut changer les règles du jeu, économiques et sociales, et d’abord mettre les travailleurs au premier plan, pour que ce soit eux (et pas les politiciens, les experts, les bureaucrates syndicaux, les hauts fonctionnaires et tutti quanti) qui décident de leurs priorités et besoins, de la manière de produire et comment organiser la production et toute la société. Il faut réfléchir « mondial », au même niveau que le capital…
La confédération CGT relooke aujourd’hui une campagne salaires, vieux classique syndical, mais qui est de plus en plus déconnectée de la réalité vécue par les travailleurs.
La campagne sur « le coût du capital » est une tentative de relance de la mobilisation, mais « intellectuelle », pondue par une poignée d’experts de plus en plus coupés des masses. Par son argumentaire et sa démarche, elle ne fonctionne pas sur la révolte, la colère et le rejet, mais sur le raisonnable et une explication supposée simple et consensuelle.
Cette campagne ne marchera pas, d’ailleurs la preuve est faite, il n’y a que les médias et les structures de direction du syndicat qui s’en emparent. Du côté des travailleurs, on n’y croit pas : soit par résignation et fatalisme face à la propagande bourgeoise, soit parce qu’ils ne croient plus à ces « recettes » prétendument simplistes et qu’ils ont compris que « c’est bien plus compliqué que ça ».
Reste à faire le chemin de repartir sur la défense des intérêts ouvriers, et rien d’autre, sur la base de nos besoins, sans nous
soucier de la bonne marche des entreprises ou de la nation, à rompre toutes les chaînes qui nous lient à nos exploiteurs !
Là, pour le coup, c’est expliquer que ce que nous voulons, ce n’est pas le partage des richesses, mais le contrôle de
toutes les richesses, ce n’est pas critiquer un supposé « surcoût » du capital, mais en finir avec le profit et l’exploitation,
que « de cette société-là, on n’en veut pas ! »