Vendredi 10 février 2023
Retraites : 2023 remake de 2010 ?
Une nouvelle journée d’action pour le jeudi 16 février, la cinquième depuis le début, après celle prévue demain.
Beaucoup de monde, nettement plus que lors des mouvements précédents, de la colère aussi beaucoup plus, de la détermination.
Mais comment ne pas se poser la question qu’on est repartis dans la même logique qu’il y a 13 ans, en enfilant les perles de journées d’action les unes après les autres ? Quatorze journées d’action entre mars et novembre 2010, pour un résultat nul : la réforme Sarkozy Fillon est bel et bien passée. Qui s’en souvient ? Pourquoi personne n’en parle ?
Tous les articles sur le mouvement de 2010, ICI
D’autant qu’on voit bien que la mobilisation et l’enchaînement des grèves n’élargit pas la mobilisation mais essouffle les travailleurs des secteurs clés.
Alors, certains parlent de blocage, les raffineurs, les transports, de manière sélective.
On doit évidemment s’interroger sur la manière de mobiliser. Sur le rituel plan-plan de la succession de journées d’action prévisibles – y compris par le gouvernement qui attend que ça retombe. Sur l'alignement sur le calendrier parlementaire. Sur les blocages minoritaires qui ont un impact visible, économique et médiatique mais braquent une partie des sympathisants du mouvement.
Sur l’absence de participation d’une frange importante des opposant.e.s à la réforme, soit par découragement et fatalisme, soit par manque de perspective : défendre la retraite à 62 ans alors que déjà on n’en peut plus à 55 ans ??? Remettre nos espoirs dans le sort de parlementaires alors qu’on sait très bien que le capitalisme utilise tous les ressorts pour augmenter l’exploitation ?
Nous avons perdu notre indépendance de classe.
C’est-à-dire que nous avons perdu cette capacité à dire « ce que nous voulons, pour nous, selon notre vision du monde et nos intérêts ». Sans nous préoccuper de la bonne marche du capitalisme, des avis raisonnables des experts politiques et syndicaux réformistes, ceux qui rêvent à un capitalisme à visage humain, à une « meilleure » répartition des richesses. Comme si les bourgeois étaient partageux.
Il est très étonnant que dans tous les témoignages, partout, dans les cortèges, dans les médias, tout le monde parle de la pénibilité, de la mort au travail, de l’usure, du caractère de classe de cette réforme (après les précédentes). Les journalistes, artistes, cadres supérieurs, politiciens peuvent bien continuer à être actifs à 70 ans et bien après… Certains artistes célèbres ont d’ailleurs l’honnêteté de le reconnaître.
Mais comme l’a rappelé Rachel Kéké à l’assemblée, qu’en est-il pour les femmes de chambre, pour les ouvriers du BTP, les soignants, les ouvrier.e.s à la chaîne dans l’automobile ou l’agro-alimentaire, les travailleurs postés en continu dans la chimie ou la sidérurgie, les travailleurs des transports ou les vigiles ?
C’est d’abord à partir de la vie concrète des prolétaires, ceux-là, qu’on doit définir ce que nous voulons.
Et ce qui est étonnant, c’est que ça ne ressorte pas plus des revendications syndicales, sur les banderoles et les panneaux, même pas de revendications clairement définies, et donc mobilisatrices.
Et que voulons-nous, rappelons-le une fois de plus :
- La retraite à 55 ans, parce que c’est à partir de cet âge qu’on se dégrade très vite quand on est prolétaires. Rappelons que les policiers peuvent partir entre 52 et 57 ans…
- La reconnaissance de la pénibilité, c’est-à-dire la reconnaissance de Métiers pénibles, d’entreprises pénibles, comme la reconnaissance amiante qui existe depuis des décennies. Et une préretraite d’une année pour trois années reconnues pénibles. Encore une fois, comme pour l’amiante, nous n’inventons rien.
- Une retraite sans conditions de trimestres cotisés, qui mène à une décote et à la misère. Rappelons, encore une fois, que 40% des travailleurs et surtout de travailleuses n’ont pas une carrière complète. A celles et ceux qui jugent que c’est complètement utopique, nous rappelons que c’était le cas à la Libération, lors de la création des caisses de retraites.
- Une retraite minimum à 1500€ nets, et maximum absolu à 4500€. Dans l’immédiat, et sans dérogation, ni en bas, ni en haut !
Voilà les revendications qui surgissent, immédiatement, concrètement de nos vies de prolétaires. Voilà les revendications susceptibles de mobiliser, de motiver tou.te.s celles et ceux qui ne croient plus à la mobilisation réformiste tout en n’en pouvant plus de leur vie d’exploités. C’est le socle de nous toutes et tous.
Après, il y a quelques revendications qu’il faut encore avoir dans le jeu institutionnel, réformiste, de cogestion des réformes, pour combattre la collaboration de classe qui gangrène nos syndicats et explique le manque de détermination actuel.
- La fin du paritarisme, c’est-à-dire le retrait des représentants syndicaux des organismes de cogestion paritaire, qu’il s’agisse des retraites (les caisses complémentaires comme l’ARRCO/AGIRC), les Caisses de Sécurité Sociale, le chômage (URSSAF), les Mutuelles (MGEN, MAIF…), la formation professionnelle, les structures de consultation gouvernementales comme les CESE régionaux etc. Partout, les syndicats ont des représentants (des milliers) en charge la gestion officielle de ces institutions conjointement avec les employeurs (c’est ça le « paritarisme »), et ils gèrent des milliards comme des patrons… C’est un des facteurs de la corruption qui nous ronge de l’intérieur.
- La fusion intégrale de tous les régimes de retraite, ainsi que l’absorption des caisses complémentaires pour un régime unique et solidaire. Ce qui permettra en outre de bien identifier où est l’ennemi, le gestionnaire gouvernemental de notre vie après le travail.
- Le financement comme on veut, ce ne sont pas les moyens qui manquent, qu’il s’agisse des profits des monopoles, du plan de 413 milliards sur cinq ans pour l’armée ou autres. Ce qui sera évidemment conflictuel avec le patronat et la bourgeoisie et imposera, forcément des mesures autoritaires – vous avez dit dictature ?
Nous avons entamé le même chemin qu’en 2010, et ce n’est pas bon signe.
L’heure est au travail de fond, autour de nous, dans les syndicats, dans les assemblées fédérales, locales ou départementales. Il faut aller au charbon, ne pas laisser le champ libre aux réformistes et leurs revendications minimales (« non à la retraite à 64 ans », au mieux « La retraite à 60 ans, on s’est battu pour la gagner, on se battra pour la garder » - on aurait déjà oublié qu’on l’a déjà perdue… ?)
Nous devons clairement, explicitement, remettre les intérêts des prolétaires au premier plan ; au final ils représenteront les intérêts de tou.te.s.
Alors, si ne voulons pas échouer comme en 2010, au travail !