Lundi 30 janvier 2023
La pénibilité dans la réforme Macron : une énorme mauvaise blague
On savait depuis longtemps que Macron n’aime pas le mot « pénibilité », depuis une fameuse déclaration le 3 octobre 2019 : « Je n’adore pas le mot pénibilité, car ça donne le sentiment que le travail serait pénible », déclaration qui avait d’ailleurs fait un tollé à l’époque.
Macron a bien travaillé, le mot pénibilité n’apparaît pas dans le projet gouvernemental, on ne parle que d’usure professionnelle.
Après la régression de 2017 (voir notre article de l’époque « La pénibilité, Macron et la CGT »), le gouvernement Macron cherche à faire croire qu’il se préoccupe des prolétaires, de leur santé, des conditions de travail.
Et bien voici le détail de ce qu’il y a dans le projet de loi, tel que trouvé sur le site du Ministère du Travail, c’est-à-dire sans intermédiaire, sans interprétation :
Sur les carrières longues, tout a été dit, et le texte est d’une hypocrisie sans nom. Les anciens qui ont commencé très jeunes partiront bien plus tard, et les inaptes, invalides, malades professionnels devront travailler (ou plutôt chômer…) deux ans de plus. On rappelle (voir un article précédent « Usure prématurée, carrières incomplètes, les vrais enjeux des retraites ») que le taux d’emploi des 60-64 ans est de 35% seulement – tous métiers confondus. Pour les ouvrier.e.s de la construction, de l’agro-alimentaire, du nettoyage ou de l’automobile, on doit approcher le 0%. Les chiffres sont tenaces, surtout lorsqu’ils proviennent des services mêmes de l’Etat !
Sur la pénibilité, RIEN. Trois volets :
On y retrouvera la cinquantaine d'articles écrits sur ce sujet depuis 2007, au fil des attaques successives de tous les gouvernements
- Amélioration du Compte Professionnel de Prévention (C2P), sans vraiment de précisions sur « plus de droits ». Sachant qu’aujourd’hui, il ne concerne que quelques milliers de personnes par an (entre 3000 et 12000 selon les sources) qui l’utilisent pour partir plus tôt. Le texte gouvernemental parle de plus de 60 000 personnes supplémentaires « couvertes par le C2P », mais cette formule plus que vague n’entraîne pas du tout qu’il y aura plus de bénéficiaires d’une préretraite pénibilité !
Ensuite on parle de congé de reconversion pour pouvoir changer de métier, la belle blague. Chacun.e sait très bien que quand on est cassé au travail, aucun patron n’envisage, même de très loin, un reclassement ou une reconversion. Pour mémoire dans les années 60/70, dans toutes les usines il y avait des postes réservés dans ce sens : vigiles, huissiers, cantine, postes administratifs allégés etc. Tous ces postes ont disparu, guerre économique et rentabilité oblige. Les fonctions ont soit carrément disparu, absorbées dans d’autres postes ou par l’informatique, soit sous-traitées pour coûter moins cher. On notera que cette option bidon « reconversion » existait déjà dans la loi de 2014… (voir « Décrets pénibilité : où en est-on exactement ? »). Et qu’apparemment, neuf ans plus tard on la ressort du chapeau comme une nouveauté… Ca a dû bien marcher durant ces neuf ans !
L'occasion de rappeler que la France est le pays où la productivité instantanée du travail, la vraie source de pénibilité, est une des plus élevée au monde, même les économistes du journal patronal Les Echos sont obligés de le reconnaître.
- Prévention et reconversion, précisément sur les trois critères qui ont été retirés de la pénibilité en 2017, lol ! Mais rien pour les travailleurs concernés. Et pas un mot sur les risques chimiques.
- Et cerise sur le gâteau, « suivi médical renforcé » des salariés « exerçant des métiers identifiés comme exposés à la pénibilité ». Seule chose intéressante dans la formulation : la reconnaissance implicite du caractère collectif de la pénibilité de certains métiers. Mais solution individuelle à ce problème collectif, « suivi médical renforcé » pouvant déboucher sur une inaptitude et donc à un départ à 62 ans. Au lieu de reconnaître socialement, économiquement et collectivement la pénibilité de certains métiers et de certaines entreprises, on individualise médicalement le suivi, en rejetant la responsabilité de la décision sur les médecins. Déjà, quand on connaît le côté larbin des médecins du travail salariés par les grandes entreprises, on peut déjà imaginer le pire. Et ça escamote la responsabilité du mode de production en tant quel tel, les choix techniques, organisationnels complètement destructeurs pour les travailleurs : le travail de nuit et les horaires décalés, le travail à la chaîne et au rendement, tous les facteurs de pénibilité donc qui ne sont pas des excès que l’on pourrait corriger, mais des conséquences de la course à la productivité dans la guerre économique mondialisée.
Le gouvernement, sur la défensive vu le rejet massif de la retraite des morts, nous promet des améliorations lors du débat parlementaire. Comment y croire une seule seconde ? Quand nous ferons, comme nous l’avons fait en 2014, le bilan des décrets parus, nous n’aurons que nos yeux pour pleurer.
Jeudi 19, nous avons donné un vrai coup de semonce au gouvernement. Demain, mardi 31, nous en donnerons un deuxième, c’est l’évidence. Mais il va falloir frapper plus fort, de manière organisée pour des objectifs précis et partagés par tous.
Sur ce blog, nous avançons depuis longtemps plusieurs mots d’ordre :
- Non à la retraite des morts, Retraite à 55 ans, les flics l’ont bien entre 52 et 57 ans !
- Reconnaissance collective de métiers et entreprises pénibles, comme pour l’amiante !
- Tiers-temps pénibilité, un an de pré-retraite pour trois ans de travail pénible, comme pour l’amiante !
- Contre la précarité, les carrières incomplètes, aucune condition de trimestres !
- Pension minimale à 1500€ (net…), 4500€ maximum.
- Un seul régime de retraites, intégration des retraites complémentaires dans le régime général
- Fin du paritarisme, source de corruption et de bonne gestion capitaliste – un article du Canard Enchaîné du 25 janvier vient de mettre à nu la gestion paritaire de l’ARRCO-AGIRC, et c’est pas triste… (voir ICI)