Jeudi 2 mai 2019
52ème Congrès de la CGT : que nous propose la direction confédérale ?
Rarement le congrès confédéral (voir le site) aura aussi peu intéressé. Alors même que certains documents préparatoires ont été diffusés dès novembre (bravo !), tout le monde s’en fout.
Le débat reste circonscrit entre quelques centaines de cadres départementaux, fédéraux et nationaux qui renégocient leurs rapports de force, et un tout petit milieu militant qui y croit encore – ou tout simplement aspire à intégrer ce cénacle…
Mais la masse des syndiqués, des syndicats, des militants de terrain s’en contrefiche.
Les raisons sont multiples, mais connues
- Année après année, le congrès est devenu une sorte de rituel qui ne sert pas à grand-chose, sinon à valider ce que la direction sortante a décidé.
- Le choix des délégués et ses critères « techniques » (parité, pas plus de deux congrès, répartitions équitables, contrôle absolu par les FD et les UD dans les désignations) rend l’assemblée insipide à quelques exceptions près. Combien de syndiqués ont découvert par hasard qui sera leur représentant au Congrès ? Sans même parler de tou.te.s celles et ceux qui n’en ont pas la moindre idée.
- Le contrôle des amendements par la direction confédérale puis la tribune rend l’exercice vain, puisque tout amendement qui ne « rentre pas dans le cadre », ou simplement ne plaît pas tombe dans les oubliettes du labyrinthe bureaucratique avant même le début du congrès, sans bien sûr aucune explication. Les syndicats de base qui s’y sont essayé une fois ont vite compris le sens profond de l’exercice.
- La sélection des orateurs en séance est parfaitement contrôlée, et nombre d’indésirables n’arrivent même pas à avoir leur tour de parole.
- Autant dire que le Congrès est un exercice de style très prévisible, sans vraie surprise, juste émaillé de quelques interventions piquantes qui ne font que valider la routine confédérale bien huilée. Cette tendance s’est renforcée congrès après congrès, et on est bien loin de la candidature de JP Delannoy au 49ème Congrès fin 2009 à Nantes, ouvertement en affrontement avec la direction confédérale (voir les articles du blog à ce propos ICI)
- De plus, le contexte politique et social pèse lourdement.
- De grosses batailles ont été perdues, comme la loi El Khomri, puis la loi Travail, puis le mouvement des cheminots l’an dernier à titre d’exemple. Les ordonnances Macron sont passées, avec la réforme catastrophique des IRP. Pas de quoi enthousiasmer les militants de base (sans même parler des syndiqués).
- Sarkozy, Hollande puis Macron ont de leur côté accentué la restructuration du capitalisme français avec son cortège de régression, en abandonnant tous les faux semblant du paritarisme et du soi-disant dialogue social. Même plus un os à ranger pour les réformistes de tous poils.
- Dans la CGT, on s’interroge sur le rôle du syndicat en tant que « force de proposition » pour reprendre une de nos formules, sorti de l’entreprise où sa présence est toujours bien forte. D’autant que de ce côté-là, les Gilets Jaunes lui ont piqué la place en se posant comme les radicaux anti-système que la CGT n’est plus depuis bien longtemps. Il reste peut-être beaucoup de monde pour manifester avec la CGT contre les mesures de régression sociale, mais sans vraie perspective, sans projet, sans avenir. Et ça se paye en nombre de syndiqués, qui a recommencé à chuter après l’embellie de 2010-2012… (-4,5% entre 2012 et 2016, derniers chiffres consolidés connus).
Alors pourquoi se motiver pour un congrès plié d’avance et qui ne changera au fond rien à l’activité syndicale ?
Pourtant, si apparemment rien ne change, la CGT bouge en arrière-plan. Oh, rien de décisif, pas de bouleversement, la lente poursuite de ce que nous appelons depuis l’origine de ce blog la « CFDTisation » de notre syndicat. C’est-à-dire la poursuite de l’adaptation au capitalisme, l’affirmation d’un réformisme toujours mieux assumé.
Parallèlement, les générations changent, les anciens partent, les jeunes arrivent sans socle politique de base, embrouillés par les discours confus et contradictoires des réseaux sociaux, il y a un très gros travail de formation à assurer. Et quand on voit les évolutions des kits confédéraux en matière de formation (le N1 a été refait en novembre 2017), il y a vraiment du souci à se faire.
Et puis quand même, il y a les textes, aussi formels et factices soient-ils.
Honnêtement, on ne s’est pas plongé comme les autres années dans le rapport d’activité et le document d’orientation, pour en déterrer les pépites. Au final ça ne rime pas à grand-chose, sinon pour les convaincus.
Cela dit, la direction confédérale a produit quelques documents utiles et faciles à lire. Dès novembre donc, une petite présentation en 6 pages pour présenter les enjeux principaux du Congrès. Et un résumé des cinq grands thèmes de l’orientation proposée. Les deux documents sont reproduits ci-contre.
Deux textes très courts, assez différents, mais qui éclairent la démarche de notre syndicat. Que peut-on en retenir ?
- Concernant « le travail »
C’est un peu le cœur des documents du Congrès, comme d’ailleurs des kits confédéraux pour la formation. Pour la Confédération, le « travail » c’est l’activité humaine productive considéré hors de tout rapport de classes, c’est un instrument essentiel à l’émancipation. Ne chipotons pas : abstraitement et théoriquement, ce n’est pas faux. Juste ça n’existe pas dans la vraie vie.
En fait, cette « activité humaine productive » n’existe concrètement, pratiquement que les rapports de classe concrets et historiques d’une société donnée. Autrement dit, comme nous vivons dans la société capitaliste, au sein des rapports d’exploitation. Sous le capitalisme, le travail c’est l’exploitation, l’extorsion de la plus-value des prolétaires au profit de la bourgeoisie, sur la base de la propriété privée de moyens de production. D’où bien entendu, le « travail » dépend de la place que l’on a dans le processus de production et dans la division du travail. Et oui, quand on est chef, on est là pour organiser l’exploitation capitaliste au profit des bourgeois… on en reparlera.
Nous renvoyons nos lecteurs à notre petit glossaire de formation pour celles et ceux qui veulent en savoir plus.
Alors quand la Confédération nous dit qu’il faut « transformer le travail », que « les travailleurs aspirent à retrouver du sens à leur activité », qu’ils ont de « nouvelles exigences », qu’il faut « imposer d’autres projets au service d’une société plus juste, plus démocratique, plus soucieux des enjeux humains et environnementaux », que le projet syndical c’est « un développement durable » etc. sans parler classes sociales, exploitation et capitalisme, c’est du bavardage de bisounours. Et tous les prolétaires, les travailleurs exploités le vivent dans leur chair au quotidien, pas besoin de faire un dessin.
Ah, justement à ce propos, un mot absent des textes : pénibilité (on ne l’a pas trouvé de tout le document d’orientation). Il est vrai qu’aujourd’hui, la Confédération préfère parler « qualité de vie au travail », comme Macron d’ailleurs. Alors qu’il y a tellement à dire et à combattre sur le sujet (voir la section du blog à ce propos ICI), on est au cœur des rapports de production capitaliste !
- Concernant « le capitalisme »
Ah, le mot est présent dans les textes. Le problème c’est que pour la confédération, le capitalisme c’est « les mauvais choix de gestion » d’une « poignée des 1% des personnes les plus riches », en « quête incessante de la rentabilité financière à court terme ».
Par contre, le mot concurrence est lui aussi absent (oui, absent) de la totalité du document d’orientation et de son résumé. Il n’est présent dans l’autre plaquette que pour parler de concurrence entre travailleurs. Alors que c’est un des fondements de la guerre économique mondialisée, que c’est l’effet inéluctable de l’amélioration du taux de profit (et donc de l’exploitation) pour survivre sur le marché capitaliste, la notion n’existe pas dans le texte. On notera également qu’il est aussi désormais absent de la formation Niveau 1.
Nous questionnons nos camarades qui travaillent dans les filiales des grands monopoles mondialisés, dans les PME qui affrontent la concurrence mondiale, à l’export ou à l’importation : comment faire confiance à une orientation confédérale qui occulte une telle notion fondamentale que nous connaissons tous au quotidien ?
- La révolution technique et technique et technologique
Du coup, les textes sont clairs. La révolution numérique on n’y peut rien, « on ne pourra pas revenir en arrière », il faut imposer d’autres choix, en « rentrant ‘par effraction’ dans la chasse gardée du patronat » (interdit de rire, c’est écrit).
Il n’y a aucune contestation du « progrès », dans la manière dont il est façonné par le développement capitaliste, la concurrence, les priorités des monopoles. On connaissait ça pour le nucléaire, on le retrouve avec toujours cette manière de « s’adapter », sans contester le mode de production capitaliste – ce qui supposerait évidemment d’imaginer une transformation révolutionnaire.
- Et du coup on nous ressort le Nouveau Statut du Travail Salarié
Vous savez, ce truc qui date du 48ème congrès (2006 – 13 ans quand même), que la CGT a été incapable de mettre en œuvre. Rappel : cela veut être un socle commun de droits individuels garantis collectivement, opposables à tout employeurs et cumulables au cours d’une carrière, et transférables d’un employeur à l’autre.
D’une part c’est une usine à gaz incompréhensible, qu’aucun militant n’est d’ailleurs capable d’expliquer. Par exemple, on va se retrouver à côté de collègues de travail avec des droits et des salaires différents – bonjour le vieux mot d’ordre « A travail égal, salaire égal »…
D’autre part, c’est accepter, et même faciliter la précarité exigée par le patronat. Au lieu d’engager le combat contre la précarité, pour l’embauche des précaires, pour la ré-internalisation de la sous-traitance etc. on propose un statut qui facilite la « flexibilité du marché du travail »…
Aujourd'hui la Confédération ressort des oubliettes la notion, en s’appuyant sur l’ubérisation du travail salarié – en oubliant l’immense majorité des salariés « ordinaires », précaires, flexibles etc.
Quoiqu’il en soit, pour les curieux, nous renvoyons à la section de notre blog sur le sujet, une grosse vingtaine d’articles écrits depuis 2005 quand même.
- La syndicalisation
La syndicalisation chute à nouveau, et on relance la ritournelle interne : « le salariat change » et « il y a un nouveau contexte », il faut s’adapter, « il y a désormais 50% d’ICTAM », il faut « offrir à chacun un cadre syndical permettant de prendre en compte les spécificités liées aux rapports sociaux ».
Autrement dit, s’adapter aux revendications de ces couches, développer l’UGICT qui prend une importance croissante en arrière-plan (les nouvelles formations, ça vient d’où ??), et arrêter de développer les revendications avec au premier chef celles des plus exploités.
C’est une vieille lanterne dans le syndicat, avec des formules des années 70, « de l’OS à l’ingénieur » qui résonnent, comme si les fameuses « spécificités » n’étaient pas la place dans le processus d’exploitation. N’en déplaise à tous les indécrottables réformistes, tous les travailleurs exploités savent ce qu’est un.e chef, ils vivent au quotidien l’arbitraire, la répression, la bureaucratie, la violence des ordres insupportables et ainsi de suite.
Nous avons un souvenir des années 70 : pour syndiquer un chef, il fallait d’abord l’accord des travailleurs sous ses ordres. Parce que sinon, c’est juste de l’opportunisme pur et simple.
Il y a des revendications communes entre ouvriers et ICTAM, justement la pénibilité par exemple, dont on parlait plus haut. Mais il y en a d’autres, il faut choisir son camp : augmentations en somme fixe ou en pourcentage, lutte contre la répression, contre la dictature d’entreprise et autres.
Nous avons choisi le nôtre depuis bien longtemps, on voit que de plus en plus la CGT glisse vers des secteurs pourtant déjà ralliés par la CGC et la CFDT !!!!
Par ailleurs, il y a une question récurrente juste effleurée, à savoir les isolés, en gros quand même 10% des syndiqués à la CGT ; isolés c’est-à-dire non rattachés statutairement à un syndicat. C’est l’enjeu du conflit dans la fédération du Commerce par exemple et de l'annulation par la justice du congrès fédéral (voir ICI). Alors on parle syndicats multipros, professionnels rattachés aux UL et UD, à voir. Quand on voit les soucis des USD avec les ULs, c’est pas gagné !
- Les enjeux européens et internationaux
Ça, on reparlera une prochaine fois, avec Bruxelles, la FSM, l’intervention de Bernard Thibault etc.
Pour conclure.
Que peut-on penser d’une orientation syndicale qui ne connaît ni la concurrence, ni la pénibilité ?
Comment faire confiance à une direction confédérale qui va s’autoreproduire sur cette base ?
Comment s’étonner du désintérêt envers le Congrès, et plus largement la lente désaffection envers notre syndicat ?
Au risque de nous répéter, c’est bien le syndicalisme de classe qu’il faut reconstruire, d’abord dans le débat et la confrontation sur des enjeux de fond. C’est ce que tente modestement ce blog depuis sa création il y a presque quinze ans… Et on voit qu’il y a encore du chemin à faire !!!