Mercredi 14 mars 2012
Un an après Fukushima, la CGT et le nucléaire
"L'énergie nucléaire pour un avenir radieux".
L'entrée de la centrale de Fukushima... les positions confédérales il n'y a pas si longtemps.
Il y a un an, le tsunami qui atteignait le Japon provoquait un accident nucléaire majeur dans ce pays, dont les conséquences sont encore totalement inconnues. C'est le long terme qui permet de mesurer tous les effets, comme on l'a vu à Three Miles island (USA 1979) ou à Tchernobyl (Ukraine 1986).
Nous ne reviendrons pas sur l'accident lui-même, largement commenté par la presse, mais sur la position de la CGT relativement au nucléaire. Chacun sait que c'est un sujet "chaud".
Voilà plusieurs années que nous souhaitions creuser un peu la question, et nous saisissons l'occasion pour ouvrir le dossier, en sachant que nous y reviendrons. Forcément...
Pour commencer, puisque c'est quand même un sujet électoral qui fâche, la réaction d'un délégué CGT de la centrale de Fessenheim après la visite de Sarkozy (on sait que la fermeture de cette centrale est un des enjeux de la campagne). C'est repris du site de France Info (ICI).
C'est un peu provocateur, mais quand un délégué CGT explique que Sarkozy lui a remonté le moral, on se dit qu'il y a quelque chose qui cloche quelque part, non ?
Commençons par ce qui est officiel, ce que la CGT dit.
Pour cela, sans remonter aux calendes grecques, nous partirons des documents récents.
Le premier est un quatre pages officiel de la CGT, faisant le point de l'ensemble des questions, et qui se trouve dans le dossier "Spécial Japon" de la FNME (Fédération Mines et Energie de la CGT). On le trouvera ci-contre.
Ce dossier ne prend pas position fondamentalement sur la question du nucléaire, que la CGT défend pourtant ardemment depuis toujours - on peut supposer que l'accident de Fukishima fait désordre dans le décor !. On ne va donc trouver dans ce texte que des arguments de circonstances.
On trouve d'abord tout au long du texte l'argument du CO2, qui il faut le rappeler n'est arrivé sur la scène publique que ces dernières années. La réduction des émissions de CO2 (effet de serre) est lié à l'application du protocole de Kyoto, applicable à partir de 2005 - pas avant.
Or, la plupart des centrales nucléaires en France ont été construites dans les années 70/80, la CGT était à fond pro-nucléaire dès cette époque, et personne ne parlait de CO2... Mais rassurez-vous, il y avait d'autres justifications !
Il se trouve que la fission nucléaire ne produit pas de CO2, la belle opportunité et voilà tous les défenseurs de cette industrie sauter aujourd'hui sur l'argument, de Sarkozy aux dirigeants d'AREVA, en passant par les responsables CGT. Cela s'appelle de l'opportunisme et de la malhonnêteté intellectuelle.
On aura bien du mal par contre à trouver dans le texte un début de commencement de point de vue sur les déchets produits par la filière nucléaire, sachant que ces déchets vont polluer la planète pour des dizaines de milliers d'années et par milliers de tonnes, et sachant qu'on ne sait pas les éliminer, juste les stocker tant bien que mal sans trop savoir ce qui va se passer dans les siècles à venir. La seule allusion, forcément imprécise, renvoie à d'hypothétiques progrès de la recherche. En termes de protection de l'environnement, on fait mieux.
Le deuxième style d'arguments est celui du faible coût (parce que financé par la collectivité) de l'électricité nucléaire. On aura bien du mal à trouver la moindre allusion à l'origine du combustible nucléaire, essentiellement le Canada, le Kazakhstan et le Niger. Dans ce dernier pays, principal fournisseur, AREVA s'est taillé un empire à sa mesure (deuxième producteur mondial d'uranium), et il n'y a pas lieu de s'étonner ensuite si des occidentaux sont là-bas enlevés en otage. Qui sème la misère récolte la tempête...
Si AREVA et EdF devaient établir des relations égalitaires avec les peuples du monde, il est bien évident que les prix ne seraient pas les mêmes ! Le bas coût de l'énergie en France est la conséquence directe du pillage impérialiste. Au lieu de cela, "les syndicats d'AREVA sont inquiets pour "leurs" mines". CGT y compris !
La troisième série d'arguments repose sur la confiance aveugle dans la recherche, le progrès technique et en particulier le rapport de l'Autorité de Sureté Nucléaire (ASN). S'il fallait rappeler l'attitude de l'agence équivalente du Japon qui s'est carrément couchée face au gouvernement et à Tepco, on serait nettement plus inquiet. Tellement couchée que le gouvernement japonais, pourtant bien corrompu, a été contraint de la transformer de fond en comble pour tenter de regagner un minimum de crédibilité... Dans un autre document plus récent (également ci-contre) la CGT persiste et signe, en se contentant de relativiser l'importance des travaux à effectuer pour améliorer la sureté des installations.
L'ASN est une autorité gouvernementale qui n'a aucune indépendance vis à vis de la politique énergétique et qui ne sait
raisonner, par définition, que dans le cadre existant. Impensable d'imaginer une sortie du nucléaire, on se sait que gérer (on espère au mieux) que la situation actuelle et les dizaines de
centrales nucléaires en France (80% de l'électricité).
La quatrième série d'arguments (celui-là bien développé) porte sur le rapatriement de toute la sous-traitance et la construction d'un grand service public de l'électricité. Nous renvoyons à un autre article (de 2005 !) pour ce qui est de la réalité du service public ("Privatisation à EdF : le service public n'est pas un service public !").
Mais ce débat sur la sous-traitance mérite qu'on s'y arrête, car pour le coup, la bataille est juste. Depuis plusieurs années, l'accentuation de l'exploitation via la sous-traitance a atteint un tel degré de férocité et de risques que les syndicats et plus largement la presse s'en émeuvent (voir par exemple l'article du Monde de l'an dernier, ICI).
La CGT développe depuis des mois et des années la lutte pour la défense des sous-traitants, avec des arguments essentiellemenet corrects, en faisant un gros travail de popularisation, voir par exemple un autre quatre pages, toujours ci-contre. Nous sommes d'accord avec cet aspect de la lutte anti-nucléaire, car c'est de cela qu'il s'agit pour nous.
Mais là encore, nous en appelons à l'honnêteté des camarades. Les centrales ont été massivement construites dans les années 70 et 80. La sous-traitance nucléaire s'est massivement développée, y compris par l'externalisation d'activités entières des exploitants dans les années 90 pour des raisons de profits explicites (qui contribuent - également - à maintenir les coûts de l'énergie bas). On lira par exemple avec beaucoup d'intéret un article un peu long mais parfaitement documenté d'une chercheuse de l'INSERM à ce propos ("Compétitivité et sous-traitance nucléaire : servitude et nouvelle forme d'esclavage"). Jusque là, pas de soucis, nous serons probablement tous d'accord.
Mais la question qui fâche : qui dans la CGT a réagi à l'époque contre cette sous-traitance massive, contre les externalisations ? Qui a lutté pour le statut unique ? Qui a dénoncé les politiques de AREVA, EdF et autres monopoles pour briser le collectif ouvrier de l'énergie ? Pas grand monde. En parallèle avec le développement de l'intérim, les secteurs dirigeants des grands syndicats de la CGT n'avaient à l'époque en tête que de défendre une fraction plutôt privilégiée de la classe ouvrière, sous couvert de statut, de qualification, une sorte d'aristocratie ouvrière, quoi... Et tant pis pour les intérimaires, les soutiers de la sous-traitance, les OS sur les chaînes.
Cette priorité a été renforcée par le fait que quelques métiers du nucléaire, précaires, étaient extrêmement recherchés (soudeur nucléaire, exemple typique) et ne souhaitaient même pas une embauche en fixe tellement la situation leur était favorable. Une aristocratie précaire en quelque sorte.
Mais tous les autres ont été passés à la moulinette de l'externalisation, de la sous-traitance, de la précarité et des doses de radiation sans que grand monde trouve à y redire.
Aujourd'hui, les vagues de restructurations sont passées par là et la vie est dure pour tout le monde, les aristocrates de l'époque ont disparu, ont considérablement réduit en nombre et en influence. Le combat contre la division des statuts précaires a pu démarrer, même avec un handicap de 10 à 15 ans de retard.
Il ne faut pas cracher dans la soupe, et nous partageons ce combat. Cela dit, nous refusons aussi l'amnésie bien facile des pratiques passées : le futur ne s'écrit positivement que dans la clarté et le compréhension des erreurs du passé !
Pour enrober tout le discours, une belle formule : "l'humain facteur de sécurité" qui renvoie bien entendu au "développement humain durable" validé au 49ème congrès confédéral. Avec la même confusion qu'au congrès. C'est quoi un
"humain" ? Tout le monde et n'importe qui. Le mineur du Niger, le nettoyeur du nucléaire, le soudeur, le technicien de la salle de contrôle, les électriciens de sous-traitance, l'ingénieur
de la centrale, le patron de l'ASN, l'ex-patronne de AREVA, Anne Lauvergeon, Nicolas Sarkozy, le secrétaire de la FNME-CGT, tout le monde est "humain", non ? Belle formule, mais qui masque la
division de la société en camps irréconciliables : celui des exploiteurs, celui des exploités et du peuple en général. Qui laisse de côté les profits, les intérêts spécifiques du nucléaire,
l'existence d'un lobby extrêmement puissant (AREVA, EdF, Bouyghes, Schneider...) qui n'a cessé de pousser au développement des centrales, en France et aujourd'hui dans le monde ("Le marché du nucléaire un an après Fukushima"), lobby très bien
représenté et écouté au niveau gouvernemental bien sûr, d'autant qu'il s'agit d'un secteur de pointe de l'impérialisme français dans le monde face à ses concurrents.
Et puis, tout ne se réduit pas au facteur humain, à la bonne organisation du travail, aux consignes de sécurité. Le caractère de la technique n'est pas neutre. En particulier quand on parle du nucléaire, des risques et dangers potentiels (retour sur Fukushima... ou la prolifération de l'armement nucléaire), de la concentration de capital que cela provoque, cela n'est pas indifférent. Le système échappe totalement aux travailleurs, aux citoyens, impose la "confiance" en des experts dont on sait ce qu'ils valent, voir les brillants exposés sur le nuage de Tchernobyl arrêté à la frontière. Le système impose un système de contrôle policier de plus en plus sophistiqué, face aux risques, impose le contrôle des médias, le mensonge institutionnel.
Non, le nucléaire, en lui-même, n'est pas neutre. Bien sur, il faut y mettre le maximum de moyens humains, mais restera une technique non contrôlée, productrice de déchets quasiment indestructibles, renforcée par les risques naturels... ou "humains" : quel poids face à un tremblement de terre, un tsunami ou un attentat ?
La CGT en appelle à la démocratie et à un grand débat national. C'est assez pitoyable. Voilà des décennies que le débat a lieu, sur la base de l'expérience concrète, directe ou indirecte, vécue par la population. Voilà des décennies qu'année après année le sentiment anti-nucléaire monte, à tel point qu'aujourd'hui la CGT n'ose même plus rappeler qu'elle y a toujours été favorable.
Le débat, il est déjà en cours, et après Fukushima il s'est encore accéléré. Tout le monde connaît le sort qui a été réservé à la population ukrainienne à Tchernobyl. Tout le monde connaît le sort qui attend une partie de la population japonaise, quels que soient les discours rassurants.
Prétendre que tout cela ne peut pas se produire en France parce qu'on est les meilleurs du monde est juste lamentable. Il y a déjà des gens irradiés au voisinage des centrales (par exemple dans la vallée du Rhône).
La sortie du nucléaire est un enjeu politique et social essentiel, et le syndicalisme de classe doit prendre toute sa place dans ce combat, contre le capital et son accumulation frénétique au détriment de la santé des travailleurs et de la population, au détriment des peuples du monde, au détriment de la nature et de l'avenir de la planète.
Reste à remettre le monde sur ses pieds, à le refaire tourner rond. Il faudra changer toute la société, le mode de consommation,
supprimer les climatisations qui poussent partout comme des champignons, économiser l'énergie, développer les maisons passives, en finir avec l'aberration du chauffage électrique. Il y a de quoi
être optimiste : pousés par la nécessité et l'arrêt des centrales au Japon, la consommation électrique des particuliers a diminué de 30% en un an. Comme quoi, quand on veut ou quand on y est
obligés...
Nous nous arrêtons là, c'est déjà bien trop long, et nous y reviendrons.
Nous invitons les travailleur(se)s du nucléaire à intervenir dans le débat, en particulier à nous expliquer comment ça se passe
dans la CGT à ce propos, car c'est sur, les choses vont changer : qui aujourd'hui n'entend pas parler de Fukushima et de Tchernobyl ???