Vendredi 15 mars 2018
De quoi les élections à Air France sont-elles le nom ?
Les élections professionnelles viennent de se dérouler à Air France, et la CGT continue de s’effondrer à 9,25% des suffrages, même plus représentative ! Voir ci-contre les résultats des trois précédents scrutins pour mesurer les évolutions au fil des années.
Ce résultat – catastrophique – suscite chez les camarades de la CGT un flot de commentaires pour s’émouvoir, s’indigner, juger définitivement, ou simplement pour s’interroger. Et il y a de quoi.
Mais le débat ne va pas très loin, paralysé par le « mode de pensée » qui règne dans nos rangs et empêche de creuser pour trouver les vraies raisons. Alors, essayons d’ouvrir quelques portes, bien entendu sans nous substituer aux camarades d’Air France, encore à la CGT ou l’ayant quitté, qui seuls pourrons tirer le bilan.
D’ailleurs ces camarades sont invités à s’exprimer sur ce blog, y compris bien sûr pour contester éventuellement les propositions qui suivent.
De restructuration en restructuration…
Depuis 2011, l’entreprise a perdu près de 10 000 emplois, fruit des divers plans de restructurations, plans « Transform » et autres « Perform 2020 ». Voilà le contexte électoral, et l’affaire des chemises déchirées s’inscrit là-dedans (octobre 2015). On peut relire tous les articles du blog à propos d'Air France ICI.
La lutte contre les restructurations est une des pierres de touche qui sépare le syndicalisme réformiste du syndicalisme de classe.
On connaît trois positions possibles face aux restructurations :
- Le réformisme d’accompagnement. Au nom de « ça pourrait être pire », ou « c’est mieux que rien », on s’insère dans la gestion de l’entreprise, au mieux on revendique un meilleur partage du gâteau (voir le conflit sur les salaires). C’est le cas de FO, de la CFDT, de la CGC, de l’UNSA, du SNPL ou du nouveau syndicat 2.0 SNGAF etc… dont les résultats des uns et des autres fluctuent au fil des élections et des rapports de force locaux et nationaux.
- Le syndicalisme de classe. Un syndicalisme qui analyse correctement le monde capitaliste, la guerre économique mondialisée, la concurrence entre requins exploiteurs, qui démonte tous les volets de l’aggravation de l’exploitation pour ancrer l’activité syndicale sur « la défense des intérêts des travailleurs et rien d’autre », sans compromission avec la marche de l’entreprise. Qui ne réclame pas un « meilleur partage du gâteau », mais défend l’emploi, les salaires, les conditions de travail sur la base de la défense des intérêts et des besoins des plus exploités. Et qui construit donc une orientation de rupture avec le capitalisme pour préparer une issue révolutionnaire. Et en même temps, du fait de la clarté de ses positions, il acquiert la confiance des masses combatives.
- Le réformisme radical. Il critique les réformistes pour se coucher devant les exigences patronales (ce qui est évidemment juste), mais revendique « une autre politique », un « meilleur partage des richesses », des « contreplans industriels pour le transport aérien » et autres fariboles sur le « développement humain durable ». Il reste dans le cadre d’un système où selon eux les patrons font les « mauvais choix », mais ils ne comprennent rien à la réalité fondamentale du capitalisme. Et il ne se démarque des purs réformistes que par une certaine radicalité, l’exigence de luttes dures. C’est le cas de la CGT et de SUD.
Aujourd'hui, ce sont ces syndicats combatifs, réformistes radicaux qui paient la note. La CGT perd la moitié de son influence depuis 2011, SUD un tiers.
C’est cela qu’il faut comprendre.
La période actuelle, partout, c’est une régression dans la conscience des travailleurs, qui se manifeste à chaque plan de restructuration : « There Is No Alternative », TINA comme l’acronyme prêté à Margaret Thatcher dans les années 80, « Il n’y a pas de plan B ». Idée martelée jour après jour, année après année par la bourgeoisie pour éteindre toute tentative de révolte, semer la résignation et valider ses plans. Associé à l’échec de la gauche au gouvernement dans les années 80, et à l’échec du capitalisme d’Etat à l’Est (chute du mur de Berlin à l’Est en 1989), tout cela a ancré dans les consciences la résignation et le repli – bien sûr à contre cœur, bien sûr sans empêcher de futures révoltes.
Les réformistes radicaux combattent cette théorie, mais sur une base fausse : « Oui, on peut faire autrement, oui il y a un plan B », pas besoin de rupture révolutionnaire. Or, la réalité de l’économie mondialisée est un peu connue des travailleurs (la concurrence), et ils ne croient plus à ces mirages. Faute d’une orientation vraiment anticapitaliste, ils préfèrent le réformisme crédible et cohérent (FO, CFDT etc.) à la radicalité d’un réformisme illusoire et sans issue – d’autant que la répression féroce (l’affaire de la chemise déchirée) a laissé des traces dans les consciences.
Quand en plus un nouveau patron (Ben Smith), arrivé après un désaveu de son prédécesseur (le référendum du 4 mai 2018), sait y faire pour désamorcer les conflits récurrents et gérer le réformisme ambiant, c’est l’échec assuré.
Les particularités à Air France
On notera d’une manière générale le suivisme de la CGT vis-à-vis de l’intersyndicale – voir le communiqué puant signé en août 2018 suite à nomination Ben Smith. On peut comprendre à la fois l’aspiration des travailleurs à l’unité (on connaît ça…) et la crainte de la CGT de s’isoler. Mais il y a là un bilan à faire : n’est-ce pas l’intersyndicale qui a servi de passe plat aux divers réformistes en validant l’accompagnement de la gestion ?
Il faudra aussi revenir sur les affaires internes de la CGT Air France, toujours très agitée depuis fort longtemps. Pour cela on pourra relire quelques articles de ce blog :
- « Sarkozysme à la CGT Air France ? » octobre 2007
- « CGT Air France, allez on le fait à l’ancienne » novembre 2009
- « Ménage à la CGT Air France » juin 2010
- « Elections à Air France, une claque pour la CGT » mars 2011
Et ça continue. Fin 2015 (en plein dans l’affaire des chemises) la CGT fait le ménage dans la section Roissy Escales et vire 500 adhérents pour des raisons obscures, au prétexte de dérives religieuses radicales, ce que reprendra sans précautions Philippe Martinez sur France Info (voir l’article de France24), ensuite démenti par la CGT Air France elle-même – il s’agirait d’affaires de clientélisme et de corruption.
En 2017, le bureau de section est à son tour exclu…
Voici ce qu’en dit sur Facebook Didier Altis ex secrétaire de la section syndicale :
« Ex-secrétaire de la plus grosse section CGT Air France à Roissy Escales (7000 salariés!), ex membre de la CE Air France, exclu avec tous les membres le bureau de section en avril 2017 en total désaccord avec les syndiqués de notre section !!! En 2015 notre section faisait 24% à Roissy Escales !!! En 2019, moins de 9% !!! Activité et présence syndicales nulles en 2 ans ... pas de campagne électorale !! Nous avions prévenu le Secrétaire National de l'époque, aujourd'hui planqué dans les mêmes locaux que le DRH, que la section ne se relèvera pas de notre départ !!! Lui et tous les membres du BN nous ont ri au nez !!! Du coup, les salariés n’avaient plus que 3 choix : FO, CGC et CFDT... comme un collègue m'a dit : j'ai voté pour le moins pire !!!
Le Bureau National a voulu nous imposer une "mise sous tutelle" de la section, qui aurait pour conséquences de ne plus écrire un tract, ne plus avoir de négociations avec nos responsables locaux, ne plus avoir la main sur la désignation de délégués syndicaux locaux, en fait de devenir de simples pantins et distributeurs de tracts centraux et VRP pour récupérer des adhérents !!! Inacceptable !!! Les adhérents de notre section ont massivement rejeté cette tutelle !!! La réponse que l'on a eu de notre Bureau National : " Ce ne sont pas les adhérents qui décident, c'est la Commission Exécutive Nationale " Du coup, nous avons refusé la tutelle donc nous avons été exclus.... Voilà l'explication...
Les désaccords ne portaient pas du tout sur le fond, sur les revendications, sur les moyens d’action, juste sur des rapports humains... notre section fonctionnait très bien, sinon on n'aurait jamais pu faire 24% aux élections de 2015 !!! Et si cette décision était justifiée, elle n'aurait jamais dû entraîner à ce score historique de 9% !!! »
Il est bien difficile de démêler ce qui tient de l’orientation, de la qualité de vie syndicale et ce qui tient des questions de personnes, dont les conflits augmentent au même rythme que la confusion dans notre confédération (voir les conflits à la CGT Commerce, où l’on constate des pratiques similaires). C’est aux camarades d’Air France de faire le tri et le ménage…
Mais tant qu’on n’aura pas compris ce qu’est le réformisme syndical, et en quoi le réformisme radical ne permet pas une démarcation réelle et une vraie construction d’un syndicalisme de classe, gageons qu’on va continuer à voir de telles dérives, qui vont à nouveau déboucher sur des conflits et de telles catastrophes électorales…
[nota : prenez le temps de lire les commentaires à la suite de cet article, débat avec un militant Air France. Et n'hésitez pas à intervenir]
commenter cet article …