Vendredi 24 novembre 2023
Violences faites aux femmes : réapparition de l'affaire Benjamin Amar
Demain, samedi 25 novembre, c’est la Journée mondiale contre les violences faites aux femmes. L’occasion de rappeler ce combat permanent, et de nombreuses manifestations vont avoir lieu dans les grandes villes.
C’est un combat essentiel, contre le sexisme, le patriarcat, pour l’égalité – la suite des diverses révélations #metoo.
Il n’est pas inutile de rappeler que nous avons le problème aussi dans la CGT, #CGTMeToo !
Et voilà que c’est le moment où ressort l’affaire Benjamin Amar, cette plainte pour viol contre le dirigeant de la CGT 94, plainte finalement classée sans suite.
Clarifions tout de suite les choses pour les supporters forcenés de Amar : « plainte classée sans suite » ne veut pas dire « blanchi ». Il peut y avoir plusieurs motifs à un classement sans suite :
- La prescription – trop tard au regard de la loi.
- La dénonciation calomnieuse – c’est-à-dire que l’objet de la plainte est révélé faux, ce qui ouvre la porte à une plainte en retour pour « dénonciation calomnieuse », ce que Benjamin Amar n’a pas fait.
- Manque de preuves formelles, la caractérisation des faits est difficile à établir, par exemple « parole contre parole ».
Le classement sans suite manifeste seulement que pour la justice, telle qu’elle est exercée dans le système où nous vivons, estime qu’il ne peut pas y avoir de poursuites légales. C’est ce qui explique par exemple que « Plus de 73% des affaires d’agressions sexuelles sur mineurs orientées vers la justice sont classées sans suite » selon un rapport sénatorial de 2018. C’est aussi cela vivre dans une société patriarcale.
Mais, encore une fois, un classement sans suite ne veut pas dire que les faits n’ont pas eu lieu.
Revenons à Benjamin Amar.
D’abord rappel des faits, avec les deux articles précédents de ce blog, tant sur la plainte que son instrumentalisation interne à la CGT pour des grandes manœuvres un an avant le congrès confédéral – déguelasse pour les deux camps :
- « Benjamin Amar suspendu de la CEC après une plainte pour viol agravé »
- « Affaire Amar, sordide affaire entre bureaucrates autour d’un viol »
Depuis, l’affaire semblait plus ou moins étouffée.
Mais en février 2023, l’Association Européenne contre les Violences faites aux Femmes au Travail (AVFT) envoyait un courrier détaillé à Philippe Martinez décrivant de manière assez crue des éléments de la plainte de la victime, en particulier les actes sado-masochistes subis.
Ce courrier, nous en avons reçu immédiatement une copie sur ce blog, sans pour autant le publier tellement il est « trash ». Jamais on ne nous fera croire que de tels actes de domination sexuelle peuvent se réduire au « libre choix entre adultes consentants », selon la formule consacrée, mais relèvent d’une domination sexiste et patriarcale inacceptable, très éloignée de nos aspirations à une société nouvelle libérée et égalitaire. « Consentis » (supposés) ou non, ces pratiques relèvent de la manifestation du pouvoir sexuel des hommes sur les femmes – et qu’on ne vienne pas nous faire le coup d’un supposé moralisme de notre part.
Ce courrier de l’AVFT a été diffusé assez largement, parmi les militants syndicaux et dans la presse.
Et voilà que Benjamin Amar se sent outragé, indigné et porte plainte. Double plainte.
- D’abord, contre L’AFVT poursuivie pour « atteinte à la vie privée » par son courrier de dénonciation à Philippe Martinez. Gérald Le Corre est également poursuivi pour avoir largement diffusé ce courrier dans la CGT. C’est un militant CGT connu de Seine maritime, inspecteur du travail très engagé sur la santé au travail et la pénibilité, victime à multiples reprises de l’acharnement du ministère, animateur des collectifs autour des accidents de Lubrizol (voir « Lubrizol coupable, Etat complice ». C’est un militant radical, anti-sexiste déterminé, et nous le soutenons sans l’ombre d’une hésitation.
- Ensuite plainte au pénal contre deux comités régionaux de la CGT, et contre plusieurs medias et journaux pour diffamation suite à divers articles de presse relatant l’affaire.
Atteinte à la vie privée… On lira attentivement le texte complet de l’assignation que nous publions ci-contre. Alors que même diffusé largement, le courrier de l’AFVT ne restait connu que de quelques-uns, voilà un texte juridique public qui dévoile une bonne part de ce courrier. Chacun.e peut donc désormais lire les turpitudes reprochées à Benjamin Amar.
On notera son argument essentiel : « c’est ma vie privée, elle ne regarde que moi, vous n’avez pas à la rendre publique ». Pas un mot sur la victime, dont la plainte pour viol a été classée sans suite. Par l’argument même de son assignation, Benjamin Amar valide les faits – et c’est consternant. Nous le répétons : de tels actes sado-masochistes ne relèvent pas de pratiques sexuelles exotiques « librement consenties », mais de domination sexiste et patriarcale.
Quant au caractère privé ou public de la vie privée, quand il s’agit d’un dirigeant public et médiatique, supposé représenter une organisation syndicale progressiste, qui combat pour la libération sociale des travailleurs, permettez-nous de dire que JAMAIS nous ne voudrons d’un tel dirigeant, et que ceux-ci doivent être des EXEMPLES pour les syndiqué.e.s.
Enfin, paradoxe bien connu (le fameux effet Streisand), le fait même de porter plainte contribue à répandre largement ce qu’il souhaitait cacher. Outre l’assignation, qui est publique, la presse s’est emparée du dossier comme cet article du journal le Monde du 13 novembre, téléchargeable ci-contre puisque c’est un article réservé aux abonnés.
Voilà. La date de l’audience n’est pas encore connue (en 2024 probablement), mais en cette journée contre les violences faites aux femmes, il était important de montrer que la CGT n’était pas à l’abri.
D’ailleurs, plus surprenant est le choix de la Confédération du silence et du retrait autour de cette affaire.
Qu’en pense Sophie Binet, elle qui s’est très engagée contre les violences faites aux femmes au travail ? Cela aurait-il quelque chose à voir avec le fait qu’elle a été élue avec le soutien du courant auquel appartient Benjamin Amar, et qui le soutient mordicus depuis le début ? On espère que non… mais en même temps, on doute un peu !
Pour conclure, des extraits d’un communiqué de Gérald Le Corre, suite à son assignation :
Allons-nous laisser des militant.es CGT comme des associations de défense de victimes de violences sexistes et sexuelles être traînés devant les tribunaux par ceux qu’elles accusent sans réagir, sans appeler à la mobilisation comme nous le faisons systématiquement lorsqu’un.e camarade est convoqué par la justice ou la police ?
Nous ne pouvons pas nous auto-imposer une loi du silence concernant des faits aussi graves surtout quand c’est celui qui en est accusé qui attaque l’organisation et un de ses militants devant la justice bourgeoise et patriarcale.
Ne rien faire, ne rien dire, se présenter devant la justice sans mobilisation participerait de fait à avaliser la stratégie des agresseurs que le cadre commun CGT adopté en janvier dernier analyse parfaitement : « Enfin, quand ils ont des responsabilités syndicales, les agresseurs tentent souvent, sans répondre sur les faits, de se présenter comme victimes d’un conflit de personnes, d’une bataille de clans ou d’un complot politique qui viserait à les déstabiliser pour les évincer ou faire prévaloir une autre orientation politique ».
Au-delà du droit, il faut que la CGT comme l’ensemble des organisations du mouvement ouvrier, en finissent avec une certaine forme de complaisance ou de peur, envers les auteurs de violences sexistes et sexuelles en prenant des mesures d’exclusion. Nous devons poursuivre nos efforts pour rompre avec une culture masculiniste qui reste prégnante et devons dénoncer publiquement les procédures baillons que Benjamin Amar, comme d’autres avant lui, utilisent. C'est une des conditions nécessaires pour que les femmes puissent militer à égalité et en sécurité.
Il est essentiel de faire connaitre ces procédures judiciaires visant à bâillonner ceux qui soutiennent les victimes. »