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21 novembre 2005 1 21 /11 /novembre /2005 19:09

Où va la CGT ?

Il y a un an, nous avions rencontré un camarade de Voie Prolétarienne à l’occasion du Congrès Fédéral du Verre où il avait participé (voir Partisan N°184, mars 2004). Nous l’avons revu dans le cadre du débat que nous avons engagé sur le syndicalisme, pour faire cette fois un point sur la situation dans la CGT.

Alors un peu en général, que peut-on dire de la CGT aujourd’hui ?
Il y a le plus visible, ce qui a été noté par toute la presse. La CGT signe l’accord sur la formation professionnelle. La CGT ne mobilise pas vraiment sur la Sécu. La CGT signe l’accord sur l’alerte sociale à la SNCF (la limitation du droit de grève). La CGT signe l’accord salarial aux PTT. Bref, la CGT veut donner une image responsable et raisonnable.

Bon, c’est assez clair, je ne vais pas m’étendre là-dessus. Mais ce que je ressens depuis quelques mois, en fait depuis le mouvement sur les retraites et la Sécu, c’est que ça va plus loin. Ce qui m’a mis la puce à l’oreille, c’est de voir, dans les médias comme dans la presse confédérale, deux personnes revenir en permanence dès qu’il y a des débats et prises de position de fond : Jean-Christophe Le Duigou, et Maryse Dumas. Le premier ancien directeur des impôts, la deuxième ancienne inspectrice des PTT. Deux cadres, de la fonction publique. Deux dirigeants qui sont en train de devenir les véritables idéologues de la CGT, ceux qui font bouger l’orientation. Alors du coup, j’ai un peu regardé plus en détail, ce qu’ils disent et ce qu’ils font.

Et alors, ça donne quoi ?
Et bien ça donne le colloque de Villepinte sur le thème « Emploi et politique industrielle, enjeu social et économique », en juin dernier. Ca donne la participation de JC Le Duigou à la commission Beffa (mise en place par Chirac) sur la ré-industrialisation économique par les nouveaux secteurs industriels de pointe. Ca donne des articles dans la presse sur le mode « Se préoccuper de la cohérence de nos filières industrielles » par toujours Le Duigou à l’Express du 8 novembre. Ca donne une discussion avec Maryse Dumas au journal Le Monde fin octobre, avec la permanence des références au « décrochage industriel de la France » etc. Cela a donné une plaquette confédérale CGT « Emploi et politique industrielle », avec en particulier un chapitre intitulé tranquillement « convergences industrielles et syndicales »… etc.

Bien sûr, on peut me dire que ce n’est pas très nouveau. Sauf que ça cartonne pas mal en ce sens.

Oui, mais tout cela c’est du discours au sommet et dans les médias. Dans la pratique, ce n’est pas cela.
Pas si sûr. Lors de la dernière assemblée des syndicats du Verre début novembre, je suis intervenu pour dénoncer cette dérive, et en particulier l’intervention des responsables fédéraux qui venaient de tenir un discours à la tribune pratiquement identique aux interventions de JL Beffa dans la presse (quand même le PDG de Saint-Gobain, un des plus important exploiteur du secteur). Discours toujours sur ce même thème du « déclin industriel qui n’est pas fatal », « Contre la politique du pire », « contre le mythe du déclin industriel », « d’autres choix sont possibles, il y a des alternatives », « il faut avoir de réelles possibilités d’intervention sur les choix stratégiques des entreprises », car « elles ont des responsabilités sociales ». « Et d’ailleurs, il faut une politique de la recherche ambitieuse ». Beffa ne dit pas autre chose.

J’ai souligné, que quand même, pour un syndicat, tout cela faisait désordre. Cette intervention a provoqué la gêne. Gêne de la tribune qui n’a même pas démenti le parallèle avec Beffa… Gêne des syndicalistes honnêtes confrontés à des restructurations difficiles et qui ne voient pas comment se battre autrement pour l’emploi. Gêne de plusieurs intervenants qui s’interrogent de savoir si de « force de proposition » la CGT n’est pas en train de déraper vers l’accompagnement et la cogestion, en oubliant qu’on est dans un système capitaliste, qu’on est en train de perdre nos idéaux… Dans les couloirs je ne me suis pas privé de rappeler l’évolution passée de la CFDT à l’époque de Edmond Maire dans les années 80…

Et c’est quoi le sens de cette évolution ?
Cela veut dire, qu’au delà du caractère raisonnable de l’action de la CGT, la confédération n’a en fait plus aucun projet alternatif et vraiment différent du capitalisme. Si la CGT s’aligne sur Beffa, le PDG de Saint-Gobain (j’exagère, mais à peine), c’est qu’elle a abandonné tout projet de transformation sociale, même réformiste radical.

Cette évolution, en cours, actuelle, sous l’influence des dirigeants que j’ai relevé, illustre une nouvelle conception du syndicalisme qui est celui d’une force de pression, du rôle des experts, dans le cadre institutionnel existant. Je noterais, sans m’étendre, que c’est exactement la conception de la Confédération Européenne des Syndicats (CES), qui n’a de syndical que le nom. C’est en fait un lobby d’experts qui n’ont d’autre objectif que de faire pression dans le cadre des institutions de Bruxelles.

Oouf ! Mais ça doit faire des vagues à l’intérieur ?
Pas vraiment. Parce que le débat est rarement mené dans ces termes. Et puis, le fonctionnement bureaucratique interne de la CGT a bien changé, je l’avais noté l’an dernier. Depuis j’ai à nouveau eu l’occasion de le voir à l’UL, à l’UD, de voir d’autres camarades dans d’autres fédérations et d’autres régions qui ont noté les mêmes constats.

Non, aujourd’hui, tout le monde peut tout dire à la CGT, dans les assemblées fédérales, départementales, locales. La parole est libre. Mais ça ne débouche sur rien. Il n’y a pas de décision. Il y a échange, débat, mais aucune incidence sur l’orientation qui se décide ailleurs. On m’a dit que c’était pareil à la FSU dans l’éducation nationale. Par exemple, il y a eu mi-octobre sur deux jours une assemblée des militants CGT de la Seine Saint-Denis, sur plusieurs sujets intéressants. 200, 300 personnes. D’ailleurs, Partisan y est intervenu par tract et dans les salles. Ce qu’il faut noter, c’est aucun compte rendu dans la presse syndicale. Pas un mot sur le site Internet de l’UD. En gros, c’était la soupape pour laisser parler les militants, pour les choses sérieuses, ça se passe ailleurs…

Alors, la direction nationale fait ce qu’elle veut et puis basta.

Mais cela doit provoquer une opposition ?
Je n’ai pas le sentiment qu’il existe une opposition syndicale de classe digne de ce nom dans la CGT. Il y a une opposition critique, qui s’exprime de manière éparpillée, un peu partout. Mais toute cette énergie se perd dans le sable, parce qu’elle ne se double pas d’une opposition positive en matière d’orientation alternative.

On peut trouver une opposition, je dirais à l’ancienne : comme à EDF-GDF sur les retraites, contre les privatisations, pour la défense du service public sur une base nationaliste etc. Mais je ne suis pas sûr que ce soit une opposition d’avenir, progressiste, vers un syndicalisme de classe. En tous les cas, s’il y en a une, on ne la voit pas.

Ce qui manque véritablement, c’est une plateforme d’opposition syndicale, un projet alternatif, un regroupement des opposants, mais dans la clarté. C’est vrai que dans la période actuelle, la confusion au plan politique n’aide pas à la clarification au plan syndical… C’est d’abord au plan politique que la question se pose !

Pourtant, tout le monde constate que ça bouge, en particulier dans les UL ?
Ca, c’est vrai. De fait, les Unions Locales sont les structures collectives les plus proches des syndiqués, en plus sur une vraie base « interpro ». Ce n’est d’ailleurs sans doute pas un hasard si le nouveau système de cotisations en train de se mettre en place dans la CGT donne lieu à de nombreuses passes d’armes, certains pensant que c’est le moyen de mettre au pas les UL, des structures trop peu conventionnelles.

Il ne faut de toutes les façons pas se faire d’illusions, ce n’est pas dans les UL que se décide l’orientation de la CGT. Mais par contre c’est un lieu de rencontre, de débat, de formation, de politisation, qui peut être extrêmement riche.

Alors, quoi faire ?
Je ne reviens pas sur la nécessité d’une plateforme syndicale de classe. Il faudra bien, un jour, s’atteler au problème, et le plus vite sera le mieux.

Dans l’immédiat, il faut saisir toutes les opportunités pour débattre, affirmer un point de vue différent. C’est possible, et c’est payant, à terme. Les occasions sont multiples, et il ne faut surtout pas se laisser aller au ventre mou de la « tactique ». Quand on intervient, même de manière tranchante (pas gauchiste, bien sûr) on est écouté, on est entendu par certains. On sème pour l’avenir.

La magouille d’un texte diffusé en dernière minute et voté dans la foulée ? On refuse de voter. Les propositions réformistes, on les dénonce, et c’est sur le contenu, plus que sur la tactique que nous devons intervenir. Inutile de se prendre le chou sur telle ou telle initiative, allons à l’essentiel. En gros, le débat ne doit plus avant tout porter sur l’opportunité de telle ou telle journée d’action, (trop tôt, trop tard, ensemble ou pas…) mais sur l’orientation qui est proposée derrière.

Pour paraphraser, il faut « Etre force proposition » dans la CGT. Et cela commence par la bataille syndicale, l’affirmation de nos points de vue. Dans les syndicats. Dans les UL, dans les assemblées départementales ou fédérales, il y a de quoi faire !

Partisan N°190 - Décembre 2004

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