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13 décembre 2009 7 13 /12 /décembre /2009 09:31
Dimanche 13 décembre 2009
CGT : est-ce Bernard Thibault le problème ?

Nous avons trouvé cette intervention sur le site du Front syndical de Classe, déjà publié depuis quelques temps (le 3 décembre), avant le début du congrès donc. Nous le republions néanmoins, car il est intéressant d'y revenir à double titre.
D'abord par la présentation de l'évolution de la confédération, qui dénote une fine connaissance de l'histoire de la CGT, de son fonctionnement et de son ambiance en interne.

Ensuite, parce qu'il comporte deux points d'analyse que nous ne partageons pas du tout et qu'il faut discuter.

1) Thibault doit partir, et on doit convoquer un congrès extraordinaire qui va remettre démocratiquement la CGT sur ses rails. Sous entendu : le problème à la CGT est celui d'une direction pourrie et d'une base saine. Nous ne partageons pas et nous l'avons déjà dit : la lutte entre syndicalisme de classe et syndicalisme d'accompagnement traverse toute la confédération, jusque dans les syndicats locaux. La question n'est pas une question de direction, mais d'orientation. Si Thibault est réélu avec 70% des voix, ce n'est pas seulement une magouille, c'est quand même, d'une certaine manière le reflet de ce qui se passe dans la CGT - et nous le savons bien tous dans les syndicats et structures de base. En ce sens, un congrès extraordinaire, même ultra-démocratique ne donnerait pas dans l'immédiat un bouleversement des positions, même si cela permettait, évidemment de favoriser le courant de classe

2) Pour le camarade, cette orientation et ces conceptions sont "importées d'ailleurs c'est à dire des bureaux de la CES à Bruxelles et qu'on cherche à imposer contre la volonté des syndiqués de la CGT". Nous ne sommes pas du tout d'accord. Ces orientations et ces conceptions sont issues du capitalisme lui-même, par l'espoir illusoire de le réformer sans en finir avec lui. L'ancienne CGT portait une orientation de capitalisme d'Etat (nationalisations...) appuyée sur la gauche au pouvoir et le mirage des pays de l'Est. Cela s'est effondré avec la gauche au gouvernement et l'effondrement du mur de Berlin. Le projet a changé, c'est maintenant un capitalisme à visage humain, où l'exploitation est "adoucie", avec un "développement humain durable" et autres niaiseries votées au Congrès confédéral. C'est tout simplement un projet réformiste d'experts, petits-bourgeois, fonctionnaires syndicaux qui n'imaginent l'avenir que dans le cadre du maintien et du développement de leurs places et de leur reconnaissance par la bourgeoisie. En ce sens les syndicats font quelque part partie du système... Nous renvoyons à nos documents de fond...
Il se trouve qu'il y a concordance entre l'évolution de la CGT en France et le développement de la CES, comme il y a concordance entre l'intégration de l'impérialisme français à l'Europe, également impérialiste. Rien "d'importé", ce qui voudrait dire que tout est sain "ici", et que la pourriture vient de "l'extérieur"... bases évidentes du chauvinisme.

Cela dit, ce texte mérite d'être connu, aussi le diffusons-nous.


JEAN-PIERRE PAGE, ANCIEN MEMBRE DE LA COMMISSION EXECUTIVE CONFEDERALE ET RESPONSABLE DU DEPARTEMENT INTERNATIONAL DE LA CGT

"Pour le bien de la CGT, Bernard Thibault doit renoncer et partir"

On sent chez certains comme une certaine fébrilité à quelques jours de l'ouverture du 49 ème Congrès de la CGT. On dit même que Nicolas Sarkozy s'en inquiète ! Pourtant ce congrès tous comme les précédents semblait bouclé d'avance tant la conception démocratique de l'équipe dirigeante en place consiste à tout  régler avant que les délégués se réunissent ! Depuis que Bernard Thibault est secrétaire général cette méthode a été perfectionné par la bureaucratie de Montreuil, l'autisme et l'arrogance ont fait le reste ! Il n' y a donc guère de place laissé à la spontanéité et encore moins aux surprises.Pour ceux qui pourraient avoir encore quelques illusions sur  le déroulement des travaux prévus ;  Nantes sera sans aucun doute une déconvenue amère. Des délégués viendront avec l'intention de participer à une discussion et à des décisions. Or celles-ci ont déjà été prises : ailleurs ! Dans la vision rénovée de la  démocratie syndicale et ouvrière de Bernard Thibault il y a ceux qui décident et ceux qui appliquent !

Certes  les spectres ne hantent  pas encore  les nuits de Bernard Thibault et  son équipe. Il peut chercher à se rassurer en sachant que le tri et le choix des délégués a battu cette fois tous les records de duplicité. Il serait d'ailleurs intéressant de connaître la véritable nature et le contenu  du mandat confié par les syndiqués de la CGT à chacun des  délégués du 49 ème Congrès, et si ces derniers ont pris réellement connaissance et en totalité des textes d'orientation comme de la composition de la future direction ou encore  du futur "secrétaire général décidé par avance" et dont l'élection par le  congrès devrait être en principe une pure formalité.  Une semaine avant le congrès la presse vient d'ailleurs de donner la composition du bureau confédéral et confirmer l'élection de Bernard Thibault. Les délégués sont infantilisés et le congrès national  des syndicats réduit à servir de  caisse d'enregistrement !

Donc en apparence  tout est réglé mais pourtant  on est sur de rien!  On traque maintenant les délégués de syndicats qui pourraient faire désordre et déranger le bel ordonnancement prévu . Depuis quelques semaines on a battu le rappel d'anciens dirigeants  confédéraux, ils  ont  refait surface "pour aider Bernard". Cela ne suffit pas à le rassurer, même si l'on sait par ailleurs que Sarkozy, Darcos, Parizot et Chereque ainsi que les médias feront tout de leur côté pour lui faciliter la tache et lui éviter les tensions. Bernard Thibault est inquiet .  Alors pourquoi ?

Comme on vient de le voir  il arrive que certains journalistes fassent leur travail sérieusement. Certes les délégués n'ont pas le nez dans le Nouvel Observateur ou dans Marianne pour se forger une idée mais si les révélations non démenties de ces derniers jours ne sont pas nouvelles, elles apportent un nouvel éclairage  sur l'hypocrisie des relations sociales, comme sur les connivences et les complicités de tout ordre entre le MEDEF, le Gouvernement et les syndicats, CGT compris!  Tout cela en dit  long sur "les liaisons dangereuses" de Bernard Thibault et sur la façon dont ce dernier a au fond bradé l'indépendance de la CGT, sans que d'ailleurs cela soulève beaucoup de réactions dans l'organisation. Il serait donc inconcevable que les délégués ne se posent pas de  questions après avoir expérimenté dans leurs luttes "l'étendue de la solidarité confédérale" ! Cette situation devrait susciter des réactions et pourrait compliquer la "vision d'un syndicalisme rassemblé et apaisé", dont Bernard Thibault et la CES se sont fait les chantres et  les promoteurs. Au moins André Bergeron l'ancien secrétaire général de FO pouvait se prévaloir "de grains à moudre" pour justifier sa collaboration étroite avec les patrons et les gouvernements de l'époque.! Qu'en est il de Bernard Thibault dont le bilan revendicatif est un véritable désastre, bilan  qui s'accorde avec la perte d'adhérents CGT qui se poursuit année après année presque inexorablement.

Certains s'interrogent naïvement sur sa stratégie, et sa vision. En serait il dépourvu ? Venant de fins observateurs de la vie syndicale française cette remarque pourrait prêter à sourire !  A ces questions il faut répondre sans hésiter : OUI !  Bernard Thibault à une stratégie. Il a d'ailleurs été mis en place pour mettre en oeuvre celle-ci. Voici presque 10 ans sa feuille de route lui a été confié par son prédécesseur Louis Viannet et ses parrain et marraine : Nicole Notat et Emilio Gabaglio. Elle a  consisté à faire en sorte  que la CGT en rabaisse non seulement sur ses objectifs et son identité, ce qui n'était  déja pas si mal mais qu'en se réformant elle même la CGT contribue à recentrer le syndicalisme français afin de  le rendre compatible et soluble avec le syndicalisme européen, la construction européenne façon Lisbonne et la mondialisation capitaliste revu et corrigée. Voici une quinzaine d'années et dans un fameux rapport devant la direction de la CES au sujet de l'affiliation de la CGT et se concluant par "celle-ci est prématurée", Nicole NOTAT soulignait que la différence fondamentale entre la CGT et le syndicalisme européen était de nature culturelle, "nous avons disait-elle une culture de propositions et de négociations, la CGT a une culture de confrontation". Depuis le temps a passé et il n'est pas sans signification qu'un responsable de la CGT vienne de se faire élire secrétaire général adjoint de la CES. Cet événement  que les syndicats ignorent n'est pas seulement pour services rendus, et il en a rendu, mais vient confirmer 10 ans après son affiliation l'immersion complète de la CGT dans le syndicalisme réformiste  européen. Est-il utile ici de rappeler que le nouveau promu avait été proposé en son temps au poste de secrétaire de la CES par la CFDT. Comment s'étonner alors qu'avec son compère JC Le Duigou il ait soutenu l'approbation de la CGT au projet de Constitution Européenne, rejeté pourtant par la CGT à la grande déconvenue de Bernard Thibault.

Depuis que Bernard  Thibault assume cette mission de recentrage avec un talent discutable on est passé dans les rangs de la CGT de l'étonnement, à l'incompréhension, à la critique ouverte ! Elle s'est depuis plusieurs mois radicalisée. De nombreuses luttes ont mis en évidence cette fracture entre la base et le sommet.  En 2009 la direction de la CGT a ainsi délibérément conduit les luttes dans l'impasse, consacrant souvent plus d'énergie à démontrer l'irréalisme de  ceux qui se battaient, qu' à les encourager en contribuant à l'élargissement des luttes. Aux yeux de Bernard Thibault le développement de celles-ci  devenait anachronique et  rentrait  en contradiction avec la stratégie étroitement concertée avec la CFDT ! Soyons clairs le syndicalisme rassemblé ce n'est rien d'autre que la construction d'une alliance durable avec la CFDT avant de devenir organique et dont l'évolution de la CGT est une des conditions. Ce n'est donc pas par incompétence ou par manque de fermeté que la CGT est pour beaucoup de travailleurs atone, inaudible et impuissante mais tout simplement parce que la vision de la direction de la CGT/CES est tout autre. Il est donc parfaitement illusoire de croire et penser que la direction de la CGT va convenir avec un tel bilan catastrophique  qu'elle s'est fourvoyée,  et à partir de là faire son auto critique et corriger le tir. Par conséquent poursuivre avec Bernard Thibault c'est donc faire le choix  de l'isolement et de l'affaiblissement de la CGT donc c'est faire le choix du désarmement et de la capitulation du monde du travail face à la politique du Capital que met en oeuvre Sarkozy et le MEDEF. Il ne servirait à rien de faire l'autruche, ou d'attendre vainement des jours meilleurs.  Va-t-on prendre la responsabilité d'attendre encore alors que le temps est compté. Une seule solution s'impose donc : Bernard Thibault doit renoncer et partir. C'est une solution responsable et elle s'impose d'elle même ! Elle est possible, le Congrès peut décider la mise en place d'une direction provisoire et convoquer un Congrès extraordinaire cette fois réellement démocratique parce que pris en charge par les syndicats eux mêmes.

Ce qui est sans précédent dans la CGT si l'on tient compte de son histoire, de sa culture, de ses pratiques c'est la perte considérable d'autorité et de crédibilité du secrétaire général de la CGT comme des principaux dirigeants qui l'entourent ! Ce à quoi l'on assiste c'est au rejet de plus en plus systématique d'orientations et de conceptions importées d'ailleurs c'est à dire des bureaux de la CES à Bruxelles et qu'on cherche à imposer contre la volonté des syndiqués de la CGT.  Ce sont ces orientations qui suscitent de la colère et sont vécues comme incompatibles avec ce que souhaitent les adhérents de la CGT. Il faut donc en tirer les conséquences ! En fait ce que l'on appelle la contestation  est un mouvement beaucoup plus profond qu'il n' y parait, un peut comme un iceberg dont on ne verrait que la partie immergée.

Il faut donc se féliciter qu'un dirigeant de la CGT, représentatif par ailleurs, Jean-Pierre Delannoy, ait le courage de prendre la parole au nom de tous ceux qui en sont privés, pour dire tout haut ce que nombreux pensent tout bas. C'est une première qui en dit long et qui porte un espoir parce qu'elle sert à révéler ce qui n'est plus supportable dans la CGT et témoigner ainsi que rien ne sera plus comme avant. L'attitude méprisante, les caricatures et les arguties pseudo statutaires pour contester cette initiative montrent s'il le fallait que l'usage à haute dose de la méthode Coué pourrait finir par se retourner contre ceux qui ont cherché à s'approprier la CGT en abusant de leur position, qui pour quelques uns est devenu rente de situation.

Certes la crise de représentativité du syndicalisme français sur fond de faillite du syndicalisme européen et international n'est pas nouvelle. Le désastre des récentes élections prud'homales avec 25% de participation pour toutes les organisations et malgré  les moyens mobilisés en dit long. Il est d'ailleurs pitoyable de voir Bernard Thibault se glorifier d'un résultat alors que chez toute personne censée et responsable cette déroute devrait provoquer une prise de conscience. Il n'est pas dit que la messe doit dite, la CGT conserve à travers ses militants des capacités de dévouement et d'intelligence innombrables. Raison de plus pour exiger le départ sans délais de Bernard Thibault.

Jean-Pierre Page
ancien membre de la commission exécutive confédérale et responsable du département international de la CGT

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