[Les divers rapports de pays sont issus du CITA. Nous pouvons ne pas en partager tel ou tel aspect]
La vie et la lutte des travailleurs de l'automobile dans l'Europe de l'Ouest − la région avec les plus nombreuses expériences combatives dans la coordination des luttes transnationales
1) L’Union Européenne, le plus grand marché intérieur du monde − centre de l'industrie de l'automobile et des luttes ouvrières transnationales
Les quelques 20 pays de l'Europe de l'Ouest constituent la partie occidentale du plus grand marché intérieur du monde, celui de l’Union Européenne. C’est un bloc de pouvoir où les pays impérialistes plus puissants font autorité. Le nombre d'habitants de l'Europe occidentale se monte à près de 400 millions.
Le sentiment de communauté des gens est relativement fort. Il y a des dizaines de langues différentes, mais de nombreuses personnes maîtrisent plusieurs langues. On aime voyager, les ouvriers aussi en ont la possibilité, et il y a une ouverture culturelle largement répandue.
Cinq des 10 plus grands groupes de l'automobile du monde sont originaires d’Europe de l'Ouest. À l'échelle mondiale, ces 5 emploient ensemble 1,2 million de travailleurs. Dans la plupart des États existent des usines de l'automobile. Dans 3 pays, il y a encore 6 monopoles de l'automobile indépendants. En Allemagne, ce sont Volkswagen, Daimler et BMW, en France PSA et Renault, en Italie Fiat.
Depuis 2001, les ouvriers de l'automobile ont réussi à diverses reprises et toujours mieux à se coordonner à l'échelle du groupe industriel et à coopérer, aussi au niveau transnational. Voici une photo de la solidarité entre des ouvriers de Fiat et d’Opel de l'an 2002. Jusqu'à présent, elle a connu son apogée en 2004, avec des luttes à l'échelle du groupe chez Daimler et la grève chez Opel à Bochum, qui était liée à une journée d'action européenne et internationale. Ainsi, les luttes communes ou la solidarité sont devenues de plus en plus le " modèle standard ".
Les chartes de solidarité transfrontalières chez GM et VW adoptés au dernier Conseil de l'automobile en témoignent aussi bien que les nombreuses délégations de pays européens et les fortes délégations venues d’Espagne et de France. Ici, encore une fois, bienvenue à vous tous !
Depuis 2004, à plusieurs reprises, des manifestations de solidarité et des actions internationales ont eu lieu, comme celle dans cette ville en 2006, avec des travailleurs belges et allemands de VW, et avec des délégations de divers pays de l'Europe de l'Ouest. Le 23 septembre 2009, il y a eu la journée européenne d'action contre les projets du groupe Magna de fermer l'usine d’Opel à Anvers : 5 000 ouvriers y ont participé, avec de nombreux manifestants d'autres pays, dont 1 000 venus d'Allemagne. C'est une ouverture encourageante contre les projets du groupe Magna qui visent la suppression massive d'emplois et la fermeture d'usines entières.
Mais il est aussi important, dans des périodes sans actions combatives, de se rendre visite mutuellement et d'apprendre les uns des autres. L'été dernier, des ouvriers de Daimler Sindelfingen sont allés voir des ouvriers de PSA à Paris. Devant les portes de l'usine PSA à Aulnay près de Paris, un débat mobilisateur s’est déclenché, avec des petits discours en français, des chansons et le microphone ouvert à tous. Faire connaissance en personne, voir toute la vie de famille et de la culture, doit également devenir la norme dans notre travail.
2) La crise économique mondiale laisse des traces profondes et est un défi pour les ouvriers de l'automobile
L’événement le plus frappant depuis le dernier Conseil International des ouvriers de l'Automobile est la crise économique mondiale. Elle a entraîné des changements profonds. La production s'est effondrée, les illusions sur l'essor économique de longue durée se sont effondrées comme un château de cartes.
Pour l'année 2009, on attend une chute de la production de 20 % dans l'industrie automobile européenne.
Pour commencer, on a surtout d’abord licencié des travailleurs intérimaires en masse. L'illusion que le travail intérimaire créait des emplois s’est envolée. Des prestations sociales ont été démantelées, la pauvreté s'étend de façon accrue. Des jeunes n’ont plus été embauchés après la formation, et l'exploitation dans les usines a été aggravée. Ainsi se produit une situation d’alternance entre licenciements, travail à temps réduit et – dans diverses usines – travail du week-end.
Dans plusieurs pays, il y a eu des protestations massives : au printemps passé, une grève générale contre le gouvernement en France, des protestations, manifestations et blocages des entrées entre autres chez Nissan et Pirelli en Espagne, et au mois de mai, 120 mille ont manifesté contre le gouvernement en Allemagne.
La crise économique mondiale et ses effets ont aussi déclenché un large débat social. Les livres de Karl Marx se vendent en conséquence, la critique du capitalisme est répandue.
L’assimilation des expériences du socialisme, mais aussi de la dégénérescence de partis anciennement communistes, ont une importance particulière pour les ouvriers européens de l’automobile. Il faut dire que la frontière entre le capitalisme et le socialisme a traversé le continent pendant de nombreuses années ; la restauration du capitalisme qui a transformé plus tard les pays socialistes ne peut rien y changer.
En Allemagne, l’anticommunisme a joué un rôle particulier. Certes, il y a bien le syndicat unitaire. Mais en même temps il y a, par exemple dans le syndicat des métallos IGM, des décisions d’incompatibilité contre des membres et partisans du parti marxiste-léniniste MLPD. Malgré des protestations massives et des décisions des assemblées des délégués syndicaux, la direction de l’IGM refuse d’annuler ces décisions et exclut des syndicalistes marxistes-léninistes. Voici une photo de Volker Kraft, membre du comité d’entreprise, qui a été exclu. A notre connaisssance, ces exclusions n’ont pas d’équivalents en Europe.
Le mouvement ouvrier a besoin du socialisme comme partie du mouvement et perspective sociale. Sans de telles organisations et des syndicalistes combatifs, les succès des dernières années seraient impensables. C’est donc aussi une question internationale que de faire tomber les décisions d’incompatibilité.
3) La peur des dirigeants et leur gestion de la crise sur le continent européen
Pour les directoires des monopoles et leurs gouvernements, le débat sociopolitique sur un avenir sans exploitation ni oppression capitalistes, en relation avec des luttes supranationales, était une vision d’horreur. Pour empêcher cette évolution et pour déverser le poids de la crise sur les masses, les gouvernements ont délibéré et coordonné des programmes d’amortissement de la crise au niveau mondial et de l’Union Européenne.
Dans les groupes automobiles ouest-européens en particulier, on a différé des licenciements de masses par un chômage partiel, des primes à la casse et un pacte automobile. Des subventions de milliards d’Euros pour les banques et les groupes industriels sont financées à nos frais. En Allemagne, il y a eu un pacte entre les groupes industriels et le gouvernement qui stipulait qu’il n’y aurait pas d’attaques majeures contre le personnel des entreprises avant les élections. Tout cela a laissé des traces partout en Europe. Ainsi, il n’y a pas eu tout de suite des luttes massives dans les grandes usines automobiles.
Malgré tout amortissement de la crise, la production de véhicules est retombée à un niveau plancher d’il y a plusieurs années ; on a retardé les mesures sans en éliminer les causes.
Dans la crise, la lutte pour le mode de pensée se passe dans la tête de chaque collègue : faut-il essayer de rester à l’écart dans l’espoir que les choses ne vont pas empirer ? Faut-il accepter l’indemnité parce que c’est trop pour moi ou parce qu’une lutte ne me paraît pas prometteuse ? Est-ce que je mise sur l’espoir que mon propre groupe industriel sort de la crise en vainqueur et qu’une autre usine est fermée, ou bien je m’engage pour la collaboration par-dessus les frontières et la lutte pour nos propres intérêts contre les intérêts du profit – suis-je prêt à faire des sacrifices pour cela ?
Les collègues ont à digérer des expériences importantes. Voici un rapport des camarades français :
« Des collègues de PSA Aulnay près de Paris, et de Magneto, un équipementier de PSA, ont déjà participé au Conseil de 2007 et ont soulevé de l’enthousiasme auprès des participants par le rapport de leurs grèves, car dans leur grève de 6 semaines, les ouvriers de PSA avaient des revendications offensives : une augmentation de salaire de 300 €, l’engagement en fixe des travailleurs en CDD et la retraite à 55 ans ! Si ces revendications n’ont pas pu être imposées, elles se sont quand même répandues davantage en France. Les ouvriers étaient fiers de leur grève, même s’ils n’ont obtenu que des concessions mineures.
Comment ça a continué ? Confrontée à un tel rapport de forces, la direction de PSA n’a pas osé attaquer ouvertement les grévistes. Mais une partie du personnel combatif qui avait tout donné dans la grève, qui avait accepté une retenue sur le salaire, a succombé à « l’offre » de « quitter volontairement » l’entreprise avec une indemnité. En plus, on a démonté une des deux chaînes de production et supprimé des emplois tout en accélérant les cadences. Avec le chômage partiel depuis la crise, on a licencié les travailleurs intérimaires à Aulnay et muté à leur place des collègues peu expérimentés dans les luttes, car on y produit des petites voitures qui continuent à bien se vendre. Ainsi, le personnel a été peu à peu divisé et fragmenté : l’unité et la combativité à Aulnay ont reçu un coup. »
Il faut faire un bilan correct des victoires et des échecs et assimiler la nouvelle situation souvent déroutante dans la crise. La collaboration internationale et le Conseil des travailleurs de l’automobile servent aussi à cela.
4) Des luttes transnationales surtout dans l’industrie de la sous-traitance – un avant-goût de conflits futurs, et les enseignements à tirer.
Les monopoles automobiles déchargent le poids de la crise aussi sur les sous-traitants. Ils étaient nombreux à se retrouver en difficultés et à fermer des sites. Des équipementiers tels que Continental, Visteon, Mahle et Schaeffler ont voulu fermer des usines. Dans de nombreuses usines, les collègues ont mené une lutte impressionnante et ont créé de nouvelles relations internationales.
Des collègues de Visteon, une filiale externalisée de Ford en Grande-Bretagne, ont occupé 3 usines pour empêcher la fermeture. La lutte à Belfast a duré 7 semaines et a fini avec une indemnité dix fois plus grande.
Les collègues français de Continental qui sont allés à Hanovre pour voir leurs collègues en Allemagne et lutter avec eux contre les projets de fermeture se sont fait connaître du public. En France, les collègues de Continental ont saccagé les bureaux d'une sous-préfecture, lorsque celui-ci a refusé une plainte contre la fermeture. Ils ont été condamnés à des peines avec sursis, et en plus, ils sont menacés d’amendes atteignant 60 000 €. Ce qui montre une oppression accrue, mais qui rencontre cependant des protestations croissantes.
Les collègues de Mahle ont développé une lutte au niveau international. Ils ont d’abord occupé une usine à Rosario/Argentine. Puis, après avoir rendu visite à leurs collègues à Colmar en France, des collègues de l’usine d’Alzenau/Allemagne, également menacée de fermeture ont occupé leur usine pendant 2 jours. La direction régionale du syndicat IGM les a torpillés, en les menaçant d’envoyer la police. En conséquence, les collègues ont levé l’occupation sans se laisser démoraliser.
Nous avons beaucoup d’estime pour la grande détermination et le courage avec lesquels les collègues ont mené leurs luttes. Nous tous pouvons en tirer des leçons.
Un enseignement important est que, pour avoir du succès, les luttes ont besoin du soutien parmi la population et d’autres entreprises ainsi que d’une large publicité.
Le déploiement de la force de l’État montre que c’est un État des monopoles qui est prêt à opprimer les ouvriers. Il faudra nous y préparer. Les revendications du droit de grève intégral et universel et contre des restrictions du droit de réunion doivent être des revendications importantes du mouvement ouvrier. Ce n’est pas l’occupation de l’usine qui est criminelle, mais l’anéantissement des bases existentielles ! Mais souvent l’État n’ose pas encore intervenir ouvertement.
Il y a contradiction entre les luttes offensives et les revendications défensives, comme par exemple des indemnités plus élevées.
Nos collègues français racontent : « Cela s’est fait sentir durant tout l’été dans les plus de 50 luttes dures contre la fermeture d’équipementiers de l’automobile, avec des grèves, des manifestations, des alertes à la bombe, des prises en otage du chef d’entreprise etc. Ces luttes sont menées par les syndicats locaux, mais souvent totalement isolées, parce qu’on manque d’une organisation au niveau national. On lutte pour des emplois, mais encore plus souvent pour des indemnités. On y manifeste d’une part la colère de recevoir tout simplement un coup de pied, mais d’autre part l’impuissance contre la délocalisation dans des pays à bas salaires. Le manque de perspective y est vraiment douloureux. … La revendication d’une réduction du temps de travail, comme la semaine de 30 heures avec compensation du salaire intégral serait un pas en avant et créerait l’union par-dessus les frontières nationales et entre les chômeurs et les ouvriers. »
5) Le système contraire – la collaboration de classes dans la crise, et comment les travailleurs y font face
Le système de collaboration de classes s’est particulièrement bien organisé au niveau international en Europe : par des comités d’entreprise européens et la Confédération européenne des syndicats des travailleurs, pour laquelle l’Union Européenne, p. ex., investit 40 millions d’Euros. On y développe et échange des concepts pour répandre cette politique de collaboration de classes.
En ce moment, c’est Opel qui joue le précurseur :
Les dirigeants des comités d’entreprise en Allemagne répondent à la crainte de perdre l’emploi par le slogan : « Tous doivent devenir moins exigeants pour éviter des licenciements », comme si le renoncement servait à sauver des emplois. Un représentant des CCOO/Espagne a dit à la journée d’action à Anvers : « La restructuration est nécessaire, mais socialement compatible, sans fermeture d’usines. »
On prétend qu’une réduction du salaire vaudrait la peine si, en contrepartie, on faisait participer les ouvriers en transformant le salaire retenu en parts de l’entreprise. Comme si nous pouvions nous intéresser à notre propre exploitation ! En réalité, il s’agit surtout d’une manœuvre pour attacher le personnel à son entreprise.
Mais surtout, la soumission à la concurrence entre les sites s’aggrave jusqu’à devenir une division sociale chauviniste ouverte. Ainsi, on a littéralement bombardé les collègues d’Opel par des informations quotidiennes de la presse pour les monter les uns contre les autres : Bochum contre Rüsselsheim, Zaragoza/Espagne contre Eisenach/Allemagne, Bochum/Allemagne contre Anvers/Belgique.
Avec cela, les dirigeants du comité d’entreprise en Allemagne favorisaient un certain investisseur, Magna, et faisaient pour cela les concessions les plus diverses qu’ils associaient à l’illusion de sauver des emplois sans lutter.
Comment les collègues dans les syndicats font face à cette politique de collaboration de classes ?
Les structures des syndicats en Europe ont deux tendances de développement différentes : En Allemagne, en Suisse, aux Pays-Bas et en Scandinavie, il y a la tendance visant les syndicats unitaires. Puis il y a, en Europe du Sud et de l’Ouest, les syndicats à orientation politique.
Dans tous les pays, il y a des discussions importantes sur l’attitude à prendre envers la politique de collaboration de classes surtout dans les différentes directions syndicales.
La crise a exacerbé la contradiction des travailleurs des entreprises envers la politique de collaboration de classes. Des syndicats unitaires facilitent alors l’unification et les discussions avec tous les collègues.
Il est décisif de mener activement et avec ténacité la discussion dans l’entreprise et dans le syndicat, en combinaison avec des formes d’action adaptées. Chez Opel Bochum en Allemagne, par exemple, on organise la formation systématique par des réunions hebdomadaires dans les pauses avec plus de 700 participants. Plus de 1 000 collègues ont signé une liste de protestation contre l’exigence de renoncement de la direction.
Ce qui joue aussi un rôle important non seulement pour l’organisation d’une collaboration au niveau du groupe industriel, mais aussi pour la consolidation de la conscience de classe en Allemagne, ce sont les journaux faits par des collègues pour des collègues d’un même groupe industriel comme VW, Daimler, Opel et d’autres.
6) De durs conflits s’annoncent. Comment notre collaboration doit-elle continuer à se développer ?
Dans les dernières années, nous avons soutenu l’organisation pour imbriquer les luttes par dessus les frontières et noué des contacts avec succès.
Nous nous sommes rapprochés dans des délibérations, des visites, des actions communes et des discussions. En même temps, il devient de plus en plus urgent de coordonner et d’élever le niveau des luttes par-dessus les frontières dans une plus grande mesure. Ce qui est certain, c’est que pendant la crise et dans les années qui la suivent, on aura une destruction de capitaux, donc des éliminations massives d’emplois. Il faut s’attendre à de durs conflits à propos de licenciements massifs, de cadences infernales au travail, d’écrasement de salaires, d’augmentation des impôts et de baisse des prestations sociales.
Au Conseil des travailleurs de l’automobile de cette année, il est donc prévu de mener une délibération sur les tâches futures de ce conseil.
Pour cela, nous avons les propositions suivantes:
- L’unification sur des formes d’action et des revendications internationales, comme p. ex. la revendication de la semaine de 30 heures avec compensation du salaire intégral, la revendication d’un droit légal de grève universel et intégral ou la lutte pour sa défense. La solidarité internationale inconditionnelle contre des attaques.
- Le refus commun des concepts de collaboration de classes qui sont dirigés contre une élévation du niveau des luttes, comme p. ex. « la participation du personnel à l’entreprise » ou les modèles de « pain sharing » (peine partagée) et les tentatives de maintenir des emplois par des pertes de salaire ou autres concessions. Au lieu de cela, il faut mener la lutte pour sauvegarder tous les emplois.
- Un système de visites réciproques régulières pas seulement aux moments des luttes, mais aussi avec des délégations massives à la lutte commune, comme à Anvers
- Le renforcement des réseaux régionaux
- Le développement des luttes transnationales : nous devons initier nous mêmes des journées d’action, au lieu d’attendre.
- La page d’accueil : des forums par groupes industriels, des pages pour la coordination des différentes régions.
- L’instauration des conditions préalables pour des chartes de solidarité dans toutes les entreprises monopolistes européennes, et développement d’une collaboration transnationale au niveau des groupes industriels respectifs
- Pour cela, nous avons aussi besoin d’une plus grande participation internationale dans le groupe de coordination.