Depuis le 12 octobre 2009, des milliers de travailleurs sans papiers sont en grève et occupent leurs entreprises ou des lieux symboliques, en vue d’obtenir leur régularisation.
Ce mouvement a été relancé par la CGT, la CFDT, l’Union Syndicale solidaires, la FSU, l’UNSA, La ligue des Droits de l’homme, la Cimade, le Réseau Education sans frontières, Femmes Egalité, Autremonde et « Droits Devant ! » avec de leur côté l’objectif d’obtenir « une circulaire ministérielle afin de permettre la régularisation de tous les travailleurs sans-papiers ».
Deuxième acte donc, après le grand mouvement de 2008 qui n’avait abouti qu’à un maigre résultat.
En quelques semaines, sur 47 sites (liste actualisée régulièrement sur ce site), répartis essentiellement en Ile de France, 4592 sans papiers se mettent en grève, non pas, nous dit-on, pour leur régularisation, dans un premier temps, mais pour obtenir une circulaire de régularisation de tous les travailleurs sans papiers, toutes catégories confondues, y compris ceux qui travaillent au noir, le travail des intérimaires, des femmes dans l’aide à la personne, et les travailleurs sans papiers qui sont au chômage « au noir ».
Du coup, la CGT confirme ainsi sans le dire ouvertement qu’il n’y a en fait jamais eu de circulaire fin 2008 comme elle l’a toujours prétendu pour liquider les premières vagues de grève.
Cette affaire de "circulaire" est révélatrice du rôle que la CGT veut toujours jouer : non pas déclencher un mouvement général pour faire plier le gouvernement, mais faire pression pour obtenir un aménagement « apaisé et harmonieux » de l’immigration selon les besoins de l’économie capitaliste (en parfaite bonne santé comme chacun sait…).
Nos camarades sans-papiers, eux, ne s’embarrassent pas de ces subtilités. Ce qu’ils veulent c’est des papiers, la régularisation, point barre ! Avec ou sans circulaire, la régularisation !
Que s’est-il passé entretemps ?
Et bien le premier semestre a été difficile pour la confédération. Dans tous les domaines, elle a perdu la confiance des militants les plus combatifs. De Thibault à l’Elysée aux Grenelles bidons, des Contis et de Xavier Mathieu jusqu’à la bronca du 22 octobre, la direction confédérale a montré son réformisme. Et concernant les sans-papiers, l’évacuation par un commando de la Bourse du Travail occupée a provoqué dégoût et rejet par nombre de militants et de structures.
Alors, aujourd’hui la Conf’ se prétend l’interlocuteur privilégié et indispensable du Medef et du gouvernement. Si elle perd la confiance des masses combatives, elle va perdre son rôle de partenaire incontournable.
Alors il faut redonner de la voix, donner l’impression de la lutte, à défaut de la mener sérieusement.
Redonner de la voix en multipliant les manifestations.
Et redonner de la voix en relançant le mouvement des grévistes sans-papiers, avec d’autres cette fois pour ne pas porter le chapeau toute seule…
Et bien, sûr, tout cela arrive à point nommé pour redorer son blason pour le Congrès confédéral de décembre.
Nous sommes très circonspects, très méfiants, concernant les motivations de la direction confédérale. C’est le moins que l’on puisse dire.
Mais ce mouvement doit permettre, enfin, une régularisation massive des sans papiers. Pour cela, il faut qu’ils s’emparent de leur mouvement, qu’ils s’investissent, qu’ils débordent le cadre que la confédé continue à leur fixer :
Réunions hebdomadaires des délégués de sites, triés sur le volet (il faut faire « patte blanche » pour entrer à Montreuil), pas de possibilité pour les sans papiers de faire vraiment valoir leur point de vue, puisqu’ils sont exclus des négociations qui ont lieu avec le ministre de l’immigration Besson.
Ainsi, suite à une question posée pendant une de ces réunions, Raymond Chauveau a dit « le délégué des sans papiers ? ben, c’est moi ! ».
Eh bien non ! les sans papiers doivent être acteurs de leur lutte, avec les militants à leurs côtés. Ce sont eux qui sont en grève, ce sont eux qui luttent, qui souffrent. C’est à eux de diriger, et à personne d’autre ! Comment se fait-il ainsi que la Confédération centralise seule la liste des dossiers pour mener seule les négociations de régularisation (avec la fameuse « carte du mouvement » qu’elle délivre), laissant ensuite les conflits se mener comme ils peuvent par les sans-papiers eux-mêmes, aidés par les quelques militants sincères engagés dans le soutien ?
Le mouvement doit s’élargir et avant tout en province, on en voit des frémissements comme en Haute Garonne. En ce sens, le journal de la grève qui va paraître ces jours ci peut beaucoup aider, pour autant que son contenu ne soit pas trop pourri…
Le mouvement doit viser la durée, comme il semble le faire en ce moment. Ainsi, les grévistes évacués par la police du siège de la fédération patronale du bâtiment (FNTP) viennent de réoccuper le chantier de la tour AXA à la Défense, le plus grand chantier d’Europe, avant d'être à nouveau délogés...
Le mouvement doit se mener pour la régularisation, circulaire ou pas !. En ce sens, la pétition proposée à la signature par les organisations (voir ci-contre) n’est pas acceptable.
Le mouvement doit se mener en toute clarté. Et s’il est juste d’organiser des collectes de soutien aux grévistes, la méfiance des mouvements passés nous conduit à refuser une centralisation incontrôlable de l'argent gérée par la Confédération pour transmettre directement les collectes aux grévistes sur les piquets.
Aujourd’hui, ce sont pratiquement une majorité d’intérimaires qui sont en grève parmi les sans-papiers, montrant ce que sont véritablement les sociétés d’intérim : des sociétés écran factices permettant aux donneurs d’ordre d’utiliser en toute tranquillité une main d’œuvre surexploitée. Aucun critère, « apaisé et harmonieux » ou pas ne peut résoudre la précarité du travail et son rôle dans l’économie capitaliste. La seule issue, c’est la régularisation de tous, sans condition, sans aucun critère qui ne produira que division !
Les négociations sont en cours avec les organisations syndicales, c’est Besson qui le dit lui-même dans un communiqué [à lire absolument !] suite à l'annulation par le Conseil d'Etat d'une circulaire précédente de janvier 2008 sur la régularisation par le travail. On y apprend qu’une nouvelle circulaire est ainsi en préparation. Voilà pourquoi nous sommes méfiants ! Va-t-on nous présenter cette circulaire comme une victoire, puisque telle est l’exigence des syndicats et associations concernées ???
C’est aux délégués des sans-papiers de négocier avec le ministre, à personne d’autre. C’est la régularisation que nous voulons, circulaire ou pas !
Nous sommes au moment où tout est possible. Un mouvement qui se développe, qui s’amplifie, obligera le ministre à régulariser d’autant plus largement que les sans papiers seront déterminés et nombreux en face de lui, avec les militants. Il ne faut pas accepter qu’ils se laissent déposséder de leur lutte et que les organisations syndicales signent très rapidement un texte régularisant a minima, avec pour condition l’abandon des occupations.
L’urgence du moment, c’est d’amplifier le mouvement, partout, en donnant aux camarades sans-papiers tous les moyens de diriger eux-mêmes leur grève.
Une régularisation massive est possible et les militants de la CGT y ont toute leur place.
RAPPEL SUR LA PREMIERE VAGUE :
Rappelons nous le début de l’histoire largement rapportée sur ce blog : le 15 avril 2008, la CGT, lance une « première vague » de grèves de travailleurs sans papiers, ne tolérant à ses côtés qu’une association (Droits Devant !).
Pas moins de 1000 sans papiers occupent leurs entreprises, sous l’œil étonné des journalistes, des passants, des voisins, et de nombreux militants. On ne savait pas que des sans papiers travaillaient au noir, dans la restauration, le bâtiment, qu’ils cotisaient, qu’ils avaient des feuilles de paye, qu’ils payaient leurs impôts…
Et de s’étonner, constatant que de grands restaurants - où viennent se régaler le président de la république et ses amis - faisaient trimer de façon honteuse des étrangers en situation irrégulière.
Dès le 15 avril 2008, un sentiment d’espoir très fort emplit de nombreux sans papiers, dans toute la France.
Bien que sceptiques, concernant les réelles motivations de la CGT, nous pensons quant à nous que ce mouvement, pour peu qu’on le laisse se déployer, se développer, dans la France entière, avec ces milliers de sans papiers qui espèrent voir leur vie changer grâce à l’obtention de cette fameuse carte de séjour, nous pensons que ce mouvement, donc, peut devenir un événement unique dans la France d’aujourd’hui. Nous rêvons d’un « avril/mai 2008 » des sans papiers, comme il y avait eu mai 68… des travailleurs.
Las ! Dès le 21 avril, le ministre de l’immigration de l’époque, Brice Hortefeux, qui a bien compris, lui, le danger d’un grand mouvement qui se serait développé dans toute la France et qui aurait pu l’obliger à régulariser massivement, convoque une délégation de la CGT.
Quelques jours après cette réunion ministérielle (où l’on n’a pas jugé utile de demander au patron de « Droits devant ! » Jean Claude Amara de participer), Francine Blanche et son équipe annoncent fièrement, à la Bourse du travail de Paris, rue Charlot (la même qui, un mois après, sera occupée par des sans papiers en colère, s’estimant à raison floués et trahis par la CGT) que ça y est ! le ministre a donné son accord, et que les grévistes vont voir leurs dossiers examinés et en principe régularisés, soit mille dossiers.
Dès ce moment-là, la direction de la CGT amorce un mouvement de repli. Des consignes sont données dans les Uds et les Fédés pour que la lutte s’arrête. On commence à ne plus accepter dans les Uls les sans papiers qui arrivent massivement, demandant de l’aide à la CGT, sans papiers qui arrivent d’autant plus massivement que, quand ils se rendent dans les préfectures, y compris accompagnés par des militants (Ldh, Resf, Mrap, Solidaires etc ..) on leur dit qu’il faut aller voir la CGT, et passer par elle.
Une deuxième vague est lancée quelques semaines plus tard, tout au plus une vaguelette, puis une troisième, à peine un frisson dans l’eau, au point qu’on se demande s’il s’est passé quelque chose.
Durant tout l’été 2008, les militants de la CGT investis sur ce dossier, notamment à Paris et en région parisienne, se tapent tout le travail des employés de préfecture : collationner les preuves de présence en France, les feuilles de paye, les contrats de travail, et, par ailleurs, font également le boulot des patrons, en remplissant à leur place les documents nécessaires pour une régularisation par le travail (les fameux « cerfa » comme ils disent tous). Une CGT qui se fait supplétive des préfectures et qui permet la mise à zéro des compteurs des patrons voyous.
Il n’est pas question pour autant de critiquer ces militants, qui la plupart du temps, ont donné beaucoup de force, ont mis beaucoup d’énergie dans ce mouvement, dans un grand élan de générosité, et dans une confiance un peu trop « aveugle » envers la confédération.
Tout le monde attend la 3ème (ou 4ème ? on ne sait pas bien) vague, à la rentrée, vague qui n’aura pas lieu. Et nous aurons à la place l’annonce d’une « circulaire » sur critères en décembre, circulaire qui n’existe en fait pas, monstrueux mensonge de la Confédération pour arrêter le mouvement et tenter ainsi d’amadouer le ministère.
Ainsi se termine la grande lutte des travailleurs sans papiers, fin 2008. Le grand mouvement qui devait permettre des dizaines de milliers de régularisations se solde, malgré un investissement des militants de la CGT jamais vu, à 2500 dossiers, d’après les chiffres invérifiables de la CGT.
Rappelons, pour mémoire, qu’au moment de la circulaire Chevènement, en 1997, quelques militants CGT parisiens ont présenté environ 5000 dossiers de sans papiers, sans faire aucun « tri », sans tenir compte des critères de la circulaire, et que 85% des sans papiers ont été régularisés.
Il est intéressant de noter que, dans le même temps, des patrons présentent eux aussi directement des dossiers aux préfectures et arrivent à un nombre de régularisation un peu supérieur.