Vendredi 25 janvier 2013
Goodyear : les nuages s'accumulent
Tous les articles du blog sur la lutte à Goodyear ICI
Un CCE est annoncé pour le 31 janvier, avec comme ordre du jour « communication du DG de GDTF
concernant la stratégie du groupe et l’établissement Amiens nord ». Dans le contexte actuel, c’est chaud et les dernières informations du jour révélées par Le Monde annonçant la
fermeture complète (sauvegardées ICI) ne sont pas faites pour rassurer.
Autrement dit, les choses se précisent et le Courrier Picard peut titrer « Goodyear proche de l’épilogue ? ».
Voilà cinq ans que le projet de fermeture est sur le feu, voilà cinq ans qu’il est repoussé face à la lutte déterminée des travailleurs de l’usine, face aussi à une guérilla juridique du syndicat CGT qui a permis de gagner un peu de temps. Mais pour quoi faire, ce temps gagné ?
Car depuis 2010, l’action syndicale s’est transformée en action juridique, et la mobilisation des travailleurs est retombée.
Certes, les procédures judiciaires se sont multipliées, mais le Salon de l’Auto 2012 n’a été que l’ombre de celui de deux ans auparavant, cela mériterait un minimum de réflexion.
Fiodor Rilov est évidemment un très bon avocat du travail, mais il est absolument anormal, oui, anormal que l’action syndicale
se transforme en annexe de son cabinet d’avocats, de le voir à toutes les réunions et assemblées, qu’il n’y ait plus aujourd’hui, aucune initiative qui ne soit pas reliée aux diverses procédures
en cours, jusqu’à l’appel à manifester pour déposer une loi pour l’interdiction des licenciements, on aura l’occasion d’en reparler. Comme disait l’autre à propos des élections, « si les
élections pouvaient changer la société, il y a longtemps qu’elles seraient interdites », et bien à propos d’une loi supposée radicale, c’est exactement pareil… Le capitalisme ne se change pas de
l’intérieur, preuve a été faite des dizaines et des dizaines de fois. D’ailleurs ces assemblées sont de plus en plus des monologues à deux, où les travailleurs ne sont là que pour se conformer
sans aucun débat aux directives de l’équipe CGT et de son avocat.
Aujourd’hui, l’heure est sérieuse, et ce n’est pas une quelconque procédure juridique qui changera l’affaire, tout le monde en
est bien conscient. Mais tout le monde est endormi par le « syndicat ultra-majoritaire » (87% aux dernières élections) dans l’attente de ce qu’il va décider. Mais l’heure n’est plus aux
procédures, n’est plus à l’attente, l’heure est à prendre ses affaires en mains, l’heure est à constituer un
Comité de Lutte sur l’usine, avec des représentants de tous les secteurs, de toutes les équipes, pour organiser le combat, les blocages, la popularisation – suivons
l’exemple des camarades de PSA (« PSA Aulnay : les ouvriers à
l’initiative ») !
Retour sur quelques épisodes récents
Pétard mouillé en janvier.
Scandale à la reprise du travail après les fêtes : la CGT dénonce la mise en place de fermetures sur les ouvrants de l’usine,
avec en prime de supposées informations confidentielles des RG annonçant une mauvaise nouvelle pour le 15 janvier (voir l’article sur le blog de la CGT, ICI). Dénonciation, démentis, il apparaît que les fermetures sont posées sur une partie désaffectée depuis longtemps, pétard mouillé… Le 15 janvier passe
sans que la fin du monde arrive. Et la direction a obtenu ensuite l’accord du CHSCT d’installer des portes conformes mais plus solides que ce qu’elle avait bricolé…
Ballon d’essai de la direction à la rentrée pour tester la CGT ? Pas impossible. Mais réaction totalement mytho de la CGT qui en
arrive à claironner qu’elle a réussi à faire ainsi annuler les « mauvaises nouvelles prévues ». Quinze jours après, annonce du CCE et d'une probable fermeture, tout le monde, absolument tout le
monde s’attend au pire, et ce ne sont pas les discours ronflants de l’équipe CGT qui changent quoi que ce soit.
Dans la foulée, la CGT organise des assemblées.
On s’attend, sinon à des nouvelles fraîches, mais à des perspectives. Il y en a deux, mais toujours sur le terrain juridique,
toujours en forme de démarche individuelle – avec comme effet de renvoyer chacun(e) face au flic, au patron, au juge, au tribunal. Ce n’est pas ainsi qu’on construit un collectif, il y a deux
siècles de mouvement ouvrier pour en témoigner.
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Première procédure : plaintes individuelles en harcèlement à la police – à laquelle la direction vient de répliquer par une
autre plainte en dénonciation calomnieuse (voir la note de service jointe) en gros pour « demander du travail », suite à la baisse du ticket en septembre, qui tape effectivement le moral en
contraignant les ouvriers à de longues périodes à ne rien faire. La pression morale est réelle, et insupportable pour certains, c'est incontestable. Il faut donc agir (un blog de Mediapart fait
une bonne description de l’ambiance, photos à
l’appui). Mais de là à aller « demander du travail », pour un syndicat, c’est un peu fort de vinaigre.
Nous nous permettons de rappeler que les positions du mouvement ouvrier depuis l’origine sont que le travailleur vient au boulot pour un salaire, et pas pour un travail. C’est une différence absolument fondamentale introduite par le marxisme depuis 150 ans (« Travail salarié et capital » - 1847). Alors, si la direction ne donne pas de travail, si les ouvriers n’ont rien à faire qu’à glander, la position syndicale ce n’est pas de « réclamer du travail », la hausse du ticket ou des cadences, ce qui est juste un comble. C’est de proposer des moyens d’occuper les camarades pendant la journée, des formations, des discussions par petits groupes, des ateliers « perruque », par exemple pour faire connaître la lutte dehors et organiser la solidarité, bref d’utiliser le temps au service des ouvriers et pas au service du patron. On est bien loin du juridique, mais on est sur le tas, dans l’organisation et la préparation des ouvriers au combat.
Ca c’est sur le fond. Ensuite, sur la méthode : il y avait d’autres procédures possibles face au harcèlement, par exemple au CHSCT, liée à la mobilisation ouvrière.
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Deuxième procédure : la CGT engage une nouvelle procédure aux Prud’hommes pour contester le pouvoir de décision de GDTF
(Goodyear Dunlop Tires France) local et impliquer GDTO au Luxembourg (Goodyear Dunlop Tires Operations, la holding européenne). En gros, pour dire que la société holding est co-employeur au
même titre que la société française. Et donc pour requalifier le contrat de travail avec l’employeur « réel » et donc tenter de modifier les conditions juridiques du contrat de travail (et donc
d’une éventuelle restructuration à venir). Nouvelle procédure juridique, nouvelle procédure individuelle donc, on est dans le traditionnel.
Mais on est sidéré par le contenu politique de cette proposition, qui revient à nier complètement ce qu’est un monopole mondialisé dans le monde d’aujourd’hui, à nier la réalité de l’impérialisme. Il faudrait alors être cohérent et se tourner vers les Etats-Unis, à Akron dans l’Ohio ! La holding européenne n’étant évidemment qu’un des multiples pions de la multinationale à l’échelle de la planète…
A quoi rêvent les élus CGT ? Au retour au XIXème siècle, quand les patrons étaient dans le bureau d’à côté ? Le monde a changé, c’est la guerre économique mondialisée à l’échelle de la planète, pour les ouvriers, l’avenir n’est pas de pleurer sur un passé révolu, mais de construire du neuf, un autre monde solidaire, collectif, internationaliste, humain, au service des prolétaires et du peuple. Avec cette procédure proprement surréaliste (si jamais elle se faisait), on va engager les travailleurs de Goodyear dans une impasse, comme s’il pouvait y avoir une solution juridique et institutionnelle à la lutte pour l’emploi, comme si on devait revenir vers le passé. Même pas en rêve…
L’annonce du CCE (qui a fuité alors que la CGT, au courant, n’avait pas jugé utile de faire l’information) a laissé le «
syndicat majoritaire » - comme on dit dans l’usine – de marbre. Et de dénoncer « la précipitation de certains médias ou journaux qui ne connaissent rien au dossier et s’empressent de faire
des unes avec des propos rapportés !!!!! » tout en reconnaissant qu’il y a bien un CCE avec l’ordre du jour rapporté (voir ICI). Et de rouler comme toujours les mécaniques « nous sommes prêts », en soulignant qu’il n’y a rien de nouveau sous le
soleil, que depuis 6 ans la CGT a empêché les licenciements (c’est vrai) et qu’il n’y a pas de quoi fouetter un chat, qu’il ne s’agit que de « bruits de couloirs et de ragots à la con ». Les
prétendues infos des RG, « l’annonce du 15 janvier » ce n’étaient évidemment pas des rumeurs à la con… Mais n’est-ce pas, il y a les élections professionnelles en mars…
Vraiment, mais alors vraiment, nous espérons de tout cœur que la CGT Goodyear va avoir raison et que nous nous plantons grave,
quand nous disons depuis juin dernier (« Goodyear : prudence et
attention aux effets d’annonce ») qu’elle se trompe et que la crise mondiale de l’automobile, et plus généralement du capitalisme (au fait, la CGT sait-elle de quoi il s’agit, ça n’existe pas
dans ses explications ?) a changé la donne. Les dernières informations d'aujourd'hui vont, hélas, dans notre sens.
Nous sommes de ceux qui ont été parmi les premiers à soutenir les camarades de Goodyear et la CGT de l’entreprise, dès 2008 («
Restructurations à Goodyear Amiens : deux voies dans la lutte »). Mais nous ne sommes pas aveuglés. Depuis 2010,
l’orientation prise par ce syndicat a peu à peu dérapé vers ce que nous appelons la « voie juridique ». Nous ne sommes pas d’accord, nous le disons.
Nous sommes totalement aux côtés des camarades de Goodyear,
dans cette nouvelle phase de leur combat pour l’emploi. Maintenant, comme le disait le dirigeant de la CGT lui-même lors d’une AG fin octobre, il faut revenir sur le terrain de la lutte, du
social. Il faut revenir vers la défense de l’intérêt ouvrier, et rien d’autre. Il faut perdre toutes ses illusions sur le gouvernement, ses lois présentes et futures – probablement dans la droite
ligne de l’accord flexibilité/Medef.
A l’instar des camarades de PSA, il faut organiser le combat, la guérilla ouvrière, contre la direction Goodyear. Et les
premiers alliés, ce sont peut-être les camarades de Dunlop, de l’autre côté de la rue, la population d’Amiens et des environs, et tous les prolétaires en lutte.
Comme nous l'avons déjà écrit il y a quelques années :
"Hardi, camarades de Goodyear, que la force soit avec vous !"