Lundi 27 mai 2013
Impasse juridique ou sursaut de la lutte des classes à Goodyear ?
Depuis le CCE du 22 mars dernier, c’est un peu la léthargie à Goodyear.
Au-delà des discours tonitruants et des « plans com’ » de la CGT, c’est le repli chacun pour soi, et le calme plat dans
l’usine.
Faisons le point de ces deux mois, en repartant un peu en arrière…
Brève chronologie de ces dernières semaines
12 février : 1er CCE après l'annonce de la fermeture,
déplacement massif à Rueil, 500 à 600 personnes.
26 février : journée d’action sur Amiens pour la défense de l’emploi, succès mitigé avec juste 200 personnes, l’annulation de la manifestation prévue et l’annonce surprise et spectaculaire devant les télévisions du projet de SCOP (« Travailleurs de Goodyear, prêts pour le combat ! »).
7 mars : CCE, déplacement massif à Rueil, et affrontements plutôt violents avec les CRS (« Goodyear : les sens de la violence ouvrière ») qui feront bien parler d’eux par la suite. Des poursuites judiciaires sont d’ailleurs toujours en cours contre 5 camarades de la CGT et un de SUD.
22 mars : Nouveau CCE et déplacement à Rueil, moins brutal, il faut dire que la police a transformé le siège Goodyear/Dunlop en véritable forteresse… (« Pétition : tous ensemble contre la fermeture de Goodyear »).
23 mars : Première réunion d’information aux travailleurs de l’usine sur le projet de SCOP, 200 personnes avec les familles. Voir l’autre article « Le projet de SCOP de la CGT Goodyear ».
3 Avril : la direction envoie à tous les salariés un courrier (ci-contre) détaillant les propositions de départ dans le cadre du PSE. Manœuvre et intoxication, bien sûr, mais qui montre que la direction poursuit son chemin sans broncher et se laisser intimider.
23 avril : remise du projet de SCOP à la direction, aussitôt rejeté, mais avec un superbe plan com’.
27 avril : deuxième réunion d’information aux salariés sur le projet SCOP, à peine une centaine de travailleurs se déplacent (enregistrement audio d'un extrait de 53 minutes sur l'autre article, ICI)
7 mai : 1er réunion du nouveau CCE, mise en place des structures mais la CGT annonce que des informations fournies par la direction ce jour sont incomplètes et fausses.
15 mai : nouvelle réunion du Comité de Groupe Européen
17 mai : Audience au TGI de Nanterre, suite à un référé heure à heure de la CGT. Comme elle a assigné Titan en jonction à ce procès pour soupçon de délocalisation masquée (ce qui est possible) le 10 mai seulement suite au CCE, le procès est renvoyé au 3 juin. Seulement un petit car, à peine une cinquantaine de personnes assistent à l’audience, une « délégation CGT » sera-t-il ensuite écrit (voir ICI), alors qu’il était annoncé une forte mobilisation et deux cars au départ. Pour la direction, rien ne change, la procédure se poursuit… (voir la note de service du 17 mai ICI).
28 mai : nouveau CCE, la CGT refuse de mobiliser (voir l’article). De son côté, SUD appelle à la grève et à un piquet ce jour-là devant l’usine pour discuter avec les ouvriers et tenter de mobiliser et de rompre avec le défaitisme et l’attentisme. Force est de dire que ce sont les camarades qui sont dans le vrai ! De son côté, la CGT « mobilise » dans l’usine, mais CONTRE la grève…
3 juin : future et nouvelle audience au TGI de Nanterr, la "journée ultime" pour la CGT...
La CGT a donc annoncé qu’il n’y aurait aucune initiative pour le nouveau CCE du 28 mai, au prétexte « qu’il n’y aura rien de
nouveau », que les « ouvriers ne veulent pas faire grève », « que les cars ça coûte très cher », et que de toutes les façons c’est la nouvelle audience au TGI qui est essentielle. D'ailleurs en
râclant les fonds de tiroirs elle a quand même finalement trouvé de quoi affréter deux cars pour ce 3 juin (voir l'article)...
Ce serait risible si ce n'était absolument consternant !!!
D’abord, parce qu’il
est faux de dire qu’il n’y a rien de nouveau et que l’ordre du jour est le même que pour le 22 mars. Cette réunion de CCE est une des dernières de la procédure officielle » (voir l’ordre du jour
ci-contre), et c’est toujours l’occasion de mobiliser, dénoncer, renforcer la détermination des premiers concernés, les ouvriers dont l’emploi est en cause. Bien entendu, une procédure
officielle, qu’elle soit institutionnelle ou judiciaire ne doit jamais prendre le pas sur la mobilisation qui reste le fil directeur d’un syndicalisme de classe.
Néanmoins, on est sidéré par l’argumentaire de la CGT, mélange de mensonges et d’aveux (les ouvriers ne veulent pas faire
grève…) et de fausses pistes (l’audience du 3 juin qui devient prioritaire sur tout, "ultime"…).
On notera que rien n’empêche ensuite la direction d’envoyer les lettres de licenciement dès le 29 mai, comme l’a d’ailleurs
reconnu Mickaël Wamen le 27 avril ou l’avocat des Goodyear Fiodor Rilov devant le TGI le 17 mai… et quoi qu’il en soit d’ouvrir par anticipation le point information conseil, « cellules de
reclassement ».
Aveu quand même : la démobilisation progressive des ouvriers, à peine 100 personnes pour la deuxième réunion SCOP, moins d’un
car pour le TGI du 17 mai… A force de mettre en avant la « voie juridique », et oui, on démobilise, on laisse à croire que l’arme des travailleurs c’est Rilov, et pas la grève !!! Lors de la
réunion du 27 Avril, Mickaël Wamen, bien obligé de constater la faible participation, commentait en disant « tout le monde attend le TGI ». Et bien voilà, et c’est justement la CGT qui a créé
cette ambiance, qui a ainsi démobilisé les travailleurs ! On est loin, très très loin de la grève à PSA !
L’échec de la voie juridique proposée par la CGT Goodyear depuis 2010 n’aboutit qu’à décourager les ouvriers, à les inciter à
remettre leur sort dans les mains des experts (avocats et délégués) et sème l’illusion qu’on va pouvoir combattre le capitalisme avec ses propres armes légales.
Il y a deux issues possibles (avec de multiples variantes intermédiaires, report, supplément d’information etc.) :
- Le jugement du TGI déboute la CGT et valide le PSE. La direction de Goodyear (carrément mauvaise, il faut le dire) a pris cette fois toutes les précautions et s’est donné les moyens d’y arriver, d’autant qu’elle est renforcée par le rapport d’expertise de SECAFI (Oui, vous avez bien lu, le cabinet d’experts proche de la CGT… « PSA : des expertises, pour quoi faire ? ») donné au CCE du 7 mars. Dans ce cas, la CGT peut faire appel, mais rien n’empêche le rouleau compresseur de la procédure de se poursuivre. Avec en prime un coup de massue sur des ouvriers déjà peu mobilisés et qui ont été formatés mois après mois à tout attendre d’une victoire juridique.
- Le jugement du TGI suspend le PSE, quelles qu’en soient les raisons. C’est aussi une possibilité, et cela s’est déjà passé à plusieurs reprises – c’est d’ailleurs sur la base de ces victoires juridiques que la CGT Goodyear a construit son orientation de la voie juridique comme remplacement de la mobilisation et de la lutte des classes. Dans ce cas, ce sera bien sûr un peu de temps de gagné, mais les ouvriers seront confortés dans leur passivité et leur attentisme. Car bien entendu, ce ne sera que partie remise, la direction remettra le couvert et en l’absence de mobilisation de classe, elle ne lâchera rien.
Le fond de l’affaire, c’est qu’aucune décision juridique n’a JAMAIS réussi à elle seule à empêcher une restructuration capitaliste. JAMAIS. Et même si au final une décision juridique devient contraignante un moment, c’est pas compliqué, les patrons s’assoient dessus
(Sodimédical, Fralib…) en attendant de faire changer ou de mieux préciser la loi en leur faveur (« Licenciements économiques : les enjeux d’un arrêt
de la Cour de Cassation »).
L’avocat des Goodyear depuis 2010, Fiodor Rilov, est un avocat brillant certes (il sait comme
personne jouer sur la procédure et la complexité de la législation sociale concernant les monopoles) mais il imagine désormais pouvoir en quelque sorte « coincer » le capitalisme dans ses
contradictions, et le « contraindre » à respecter les droits des ouvriers. On est là dans une démarche finalement pas si éloignée que cela de celle du PS et de Montebourg… Et d’où bien entendu le
fameux projet de loi pour interdire les licenciements propulsé par Rilov via le collectif des Licenci’elles, contre d’ailleurs un autre projet défendu par le PC… (« Une loi pour interdire les licenciements boursiers ? »).
C’est la « voie juridique » qui prend actuellement de l’ampleur dans les milieux syndicaux. Face à une crise mondiale du
capitalisme de plus en plus tendue, à une guerre économique mondialisée de plus en plus féroce, les restructurations se multiplient, vague après vague, année après année. Les bourgeois (patrons,
banquiers et ministres…) deviennent de plus en plus exigeants en termes de profits, flexibilité, précarité et de plus en plus acharnés, parce qu’ils savent que c’est leur propre survie qui est en
jeu. La guerre est féroce et les prolétaires encaissent échec après échec, battus les uns après les autres, faute d’avoir réussi à s’organiser sérieusement contre le capital et les exploiteurs
dans leur ensemble. Alors, d’échec en échec, ils recherchent d’autres solutions, les vendeurs de mirage sont nombreux, et c’est la voie juridique qui est aujourd’hui à la mode, portée par des
avocats brillants et soutenue aussi par des magistrats dégoûtés par la décadence et l’impudence du monde bourgeois. Mais jusqu’où peut-on aller ainsi ?
L’erreur fondamentale et tragique de la "voie juridique" est double :
- D’une part, elle ne comprend strictement rien au capitalisme et à la guerre économique mondialisée. D’ailleurs, à écouter mois après mois les déclarations de la CGT Goodyear, la crise n’existe juste pas, ce n’est qu’un mensonge inventé par la direction… Quant au capitalisme, même le mot n'est pas utilisé ! Alors les fermetures d’usine dans l’automobile (une douzaine annoncées dans le monde), les restructurations de PSA, Renault, Opel etc. tout cela est sûrement bidon ? Pour ces militants (et pas seulement à Goodyear), tout n’est affaire que de bonne ou de mauvaise gestion mais toujours dans le cadre du capitalisme et de ses règles, marché, concurrence, exploitation, cadences, travail posté, à la chaîne, division entre travail manuel et intellectuel etc. Le fameux mirage du capitalisme à visage humain, avec l’ouvrier toujours exploité… Le projet de SCOP, c’est cela jusqu’à la caricature.
- D’autre part, pour ces militants, les lois, la justice sont en quelque sorte neutres, au service d’un supposé « intérêt général ». C’est n’importe quoi, et n’importe quel ouvrier conscient sait ce qu’il en est. Les lois et la justice sont ce qu’on appelle la « superstructure » de la société, qui vient en quelque sorte fixer les « règles du jeu » du système économique et social. La bourgeoisie (patrons, banquiers, ministres…) défend un ordre économique, l’exploitation des prolétaires, la propriété privée, le marché et la concurrence, le taux de profit le plus élevé possible face aux requins concurrents etc. Pour cela, la bourgeoisie a construit un système judiciaire (mais aussi policier, éducatif, médiatique…) pour en fixer le cadre et les règles, système judiciaire en constante évolution au gré des contraintes de la guerre économique mondialisée.
Imaginer pouvoir changer la loi sans mettre à bas l’exploitation capitaliste est une plaisanterie qui ne nous mène qu’à
l’impasse et à l’échec.
On peut certes (et il faut le faire), jouer des contradictions, gagner du temps par les procédures et des bons avocats peuvent
être utiles dans ce contexte. Mais il n’y a que la lutte des classes, la mobilisation consciente et organisée des prolétaires qui peut obtenir des résultats.
En ce sens, nous ne pouvons que féliciter les camarades de SUD d’organiser un piquet de grève mardi devant l’usine, pour
l’occasion du nouveau CCE. Non pas tant que nous croyons plus à leur contre-plan (« Après les élections professionnelles, quel avenir pour
Goodyear ? »), pas plus crédible que ceux de la CGT, mais au moins ils ont le mérite de tenter de bousculer, de réveiller les endormis, de mobiliser… de construire un vrai rapport de force,
sur la base de la lutte des classes. Il faut participer à ce piquet, venir apporter notre soutien aux camarades de Goodyear, et c’est ce que nous ferons !