Samedi 5 juillet 2014
Pénibilité : la CGT se fout de nous !
Titre provocateur ? Soit.
Mais c’est la réalité, et il est temps de mettre les points sur les i. Et ce n’est pas seulement la direction confédérale qui est en cause, mais toutes les directions intermédiaires.
(pour plus de compréhension, il est conseillé de lire l’article précédent en premier : « Décrets pénibilité : où en est-on exactement ? »).
1) Il n’y a aucune revendication précise en matière de pénibilité dans les positions de la Confédération. Nous avons cherché, fouillé partout : rien. C'est d'ailleurs un avis de recherche que nous lançons auprès de nos lecteurs pour nous transmettre les documents revendicatifs sur la pénibilité !
- Repères revendicatifs de la CGT
Fiche 23 : « un droit à départ à taux plein anticipé en retraite pour les salariés ayant exercé des travaux pénibles et astreignants doit être reconnu dans tous les régimes » Rien de plus précis. Aucune définition de ce qu’est un travail pénible, aucune proposition de prévention, aucun chiffre précis pour la réparation, aucun mot d’ordre. - Texte d’orientation du 50ème Congrès de la CGT. La notion a quasi disparue, sinon pour souligner son coût économique (II-108), ce qui est un peu horrible et dérisoire au regard des dégâts humains qu’elle provoque, plus une vague référence (II-118) à « Un droit à départ anticipé à taux plein en retraite pour les salarié-e-s ayant exercé des travaux pénibles et/ou astreignants doit être reconnu dans tous les régimes », reprise de la formule des repères revendicatifs. Là encore, strictement rien de plus précis, de mots d’ordres, rien.
- Cerise sur le gâteau, puisqu’on vient d’apprendre que la Confédération participera bien à la Conférence Sociale, nous avons donc regardé ce qu’il y avait comme « exigence forte » (défense de rire !) relative à la pénibilité parmi les 94 retenues… Un beau paragraphe ronflant (voir page 19 sur le document), mais à nouveau, rien : « La santé au travail ne saurait être abordée sans aborder la question de la pénibilité du travail. Au-delà du message désastreux de Manuel Valls cédant une nouvelle fois à la pression du patronat, le compte pénibilité paraît bien dérisoire au regard de l’enjeu de ce dossier. Loin de répondre aux besoins des salariés à court et long terme cela va sans nul doute créer des frustrations, du mécontentement. Pour la CGT, ce dossier est loin d’être clos comme le démontre d’ailleurs les mobilisations récentes dans certaines professions pour obtenir un départ anticipé. L’état lui-même, comme le Medef, en finançant des régimes de réparation de la pénibilité dont les critères ne correspondent pas au contenu de la loi en étant beaucoup plus larges reconnaissent implicitement tout le travail qui reste à accomplir dans ce domaine.
1. l’ouverture de véritables négociations dans les branches professionnelles non couvertes par des dispositifs pour s’attaquer réellement à la pénibilité du travail »
Bref, on ne sait pas précisément ce que la confédération défend, ce qui permet bien entendu toutes les manœuvres, tous les opportunismes au gré de l’actualité : un jour on peut se féliciter, le lendemain critiquer de manière ronflante, de toutes les façons on ne sait pas pourquoi et sur quoi : baratin, baratin, baratin, la confédération roule les militants dans la farine.
2) La Confédération CGT a abandonné le combat contre la pénibilité du travail, et même le combat pour un départ anticipé.
Depuis le printemps 2011 (dans le cadre de l’application de la loi Fillon sur les retraites), il n’y a plus eu d’expression, de campagne sur la question. La réforme Hollande de 2013 est passée sans même une référence précise et une mobilisation sur le sujet. On est bien loin des mobilisations fortes de 2007 et ensuite, qui montraient l’importance de cette question pour les ouvriers et les prolétaires…
On a même vu Thierry Lepaon se prononcer explicitement en août 2013 (voir ICI) en faveur du compte épargne pénibilité, c’est-à-dire l’individualisation et l’abandon des revendications ouvrières sur la question.
3) Là, pour l’occasion de la parution prochaine des décrets d’application, on a eu le droit à une déclaration juste scandaleuse (voir ci-contre). Déjà le titre : « un immense espoir déçu »… Ah, oui, ça pète bien ! Mais de quel espoir parle-t-on, selon la CGT ? De quelles avancées ? De quelles revendications ? Quand on ne propose rien, on ne peut pas être déçu si on n’obtient rien, logique, non ? Plus loin : « Le dispositif ne pourra pas répondre aux attentes de la grande majorité des salariés concernés par la pénibilité et que les propositions que nous avons formulées n’ont pas été entendues ». OK, et la CGT aurait-elle le courage de dire quelles sont les attentes des salariés ? Par exemple concernant le travail de nuit, le travail posté, le travail à la chaîne ou sur machine, etc. ? Oserait-elle lancer une enquête pour connaître l’avis des masses ? Aurait-elle l’audace de nous rappeler les propositions qu’elle a formulées et qui n’ont pas été entendues ? Parce que nous non plus, on n’a rien entendu, rien du tout, silence radio !
On voit qu’il y a une annexe à la déclaration, on ouvre avec impatience pour voir les détails – et là on se demande si on s’est pas trompé de document tellement c’est minable (voir le texte ICI) : quelques constatations justes, des regrets, mais toujours rien de précis, aucune proposition, aucun axe de lutte, aucune revendication....
Simplement la confédération est parfaitement rentrée dans la logique du C3P et cherche seulement à grappiller quelques virgules. On est dans la pratique CFDT, en pire : elle au moins elle parle sur la question…
4) Les structures professionnelles de la CGT (fédérations) se sont alignées, et on a vu disparaître toute référence précise à la pénibilité au fil des congrès, alors que c’est une réalité vécue dans leur chair par tous les prolétaires, hommes et femmes, petite ou grande entreprise, grand groupe ou PME…
Une réserve : c’est un sujet toujours bien vivant dans la fédération Construction-Bois (qui n’est pas vraiment réputée en matière de démocratie interne, mais c’est une autre histoire). Lors de la journée d’action du 26 juin c’est sur le thème de la pénibilité que la fédération a mobilisé.
Pour son Congrès qui vient de se dérouler au mois de juin, tout un forum préparatoire avait eu lieu sur la question, du matériel est diffusé, la mobilisation se maintient. Il est vrai que c’est une fédération durement concernée (BTP), assez ouvrière et pour qui il est impensable d’oublier la dureté du travail…
Mais le travail à la chaîne dans la métallurgie ou l’agro-alimentaire ? Le travail posté ou de nuit dans la chimie, la logistique ou la santé ?
L’impression que donne la CGT à tous les niveaux, c’est qu’on est passé à autre chose. Que ça n’a pas bougé sur la pénibilité, alors que tant pis, quelque part c’est le triste lot du travail ouvrier et que si on n’a pas réussi à gagner quelques contreparties, et bien il faut se satisfaire de son sort en attendant des jours meilleurs… Et tant pis si les prolétaires sont cassé(e)s par milliers, broyé(e)s par l’intensification de l’exploitation…
5) Alors c’est à nous syndicalistes de classe de relever le défi. A nous d’empêcher qu’on referme la trappe du silence sur la vie des ouvriers et travailleurs exploités.
Nous devons élaborer des grandes revendications, déduites en négatif de ce qu’on nous propose. Voilà quelques propositions pour aujourd’hui.
- Collectiviser la pénibilité, et se battre pour la reconnaissance de la pénibilité au niveau d’une entreprise dans son ensemble, d’un atelier, sans distinctions. De la même manière qu’on s’est battus pour le classement des usines en site amiante. Revendiquons la notion « d’entreprise pénible » !!
- Se battre pour que la déclaration de pénibilité ne soit pas du ressort de l’employeur, mais de recours extérieurs (comme les sites amiante, une fois de plus), le tribunal administratif, les CARSAT ou la CNAV.
- Exiger des vraies réparations, et se battre pour la généralisation du « tiers temps », encore une fois comme l’amiante : trois ans de travail pénible = un an de pré-retraite. Imposer le cumul des facteurs de pénibilité.
Reprendre des vieilles revendications aujourd’hui oubliées, par exemple la retraite à 55 ans pour les travaux pénibles (voir photo), voire moins comme pour les égoutiers qui peuvent partir à 52 ans (50 ans avant la réforme). Et sans conditions de trimestres !
- Faire vivre des revendications essentielles comme l’interdiction du travail à la chaîne, du travail de nuit (sauf métiers d’urgence sociale), la baisse drastique des cadences et le partage du travail, la suppression du travail posté.
- Mettre au premier plan la prévention collective, supprimer les causes de pénibilité à la source (bruit, toxiques, chaleur, manutentions, vibrations…), contre la généralisation des EPI (Equipements de Protection Individuels) qui ne changent rien et nous
transforment en extra-terrestres insupportables : combinaison + masque + lunettes + casque + bouchons d’oreille et casque anti bruit + chaussures sécurité + gants et surgants, vous avez déjà pratiqué ???
Nous avons du grain à moudre, mais aussi de la matière. Nous savons que nous ne pouvons compter que sur nos propres forces, mais nous avons avec nous la « rage du peuple » et la colère contre cette lente destruction physique et mentale qu’on nous impose.
Notre confédération est clairement rangée du côté du gouvernement, et ne veut pas engager le fer contre le patronat – au moins c’est clair. C’est bien cela reconstruire le syndicalisme de classe, ce n’est pas dans les manœuvres d’appareil au sommet, c’est la reprise au premier plan des revendications ouvrières, celles qui mettent directement en cause le capitalisme et l’exploitation barbare que nous subissons !