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24 février 2006 5 24 /02 /février /2006 18:40
Autour du débat pour préparer le 48ème Congrès de la CGT est sortie la référence à la Chartre d'Amiens et à l'anarcho-syndicalisme. Cette référence appliquée à JC Le Duigou paraissait assez surprenante à quelques lecteurs.
Il nous a semblé utile de reproduire ci-dessous un article de notre journal Partisan, qui date de 1999, et qui montre à la fois les aspects positifs et les limites de cette référence. A la suite de l'article, nous ajoutons quelques commentaires rapides écrits au jour d'aujourd'hui...



La Charte d'Amiens de 1906 : pour ou contre ?


Un jour d'octobre 1906, au buffet de la gare d'Amiens, un certain Griffuelhes griffonnait sur le coin d'une table, tiraillé entre son effort de concentration et les remarques des quelques amis qui l'entouraient. Ainsi est née, pour la petite histoire, la fameuse « Charte  d'Amiens ». Griffuelhes est le secrétaire général de la CGT, et nous sommes en plein congrès...

Ce qu'il faut savoir, c'est qu'un peu plus d'un an auparavant, en avril 1905, les trois partis socialistes existants, ceux de Jean Jaurès, Jules Guesdes et Jean Allemane, s'étaient unifiés (au sein d'une SFIO, section française de l'Internationale ouvrière), enlevant du même coup aux syndicalistes un de leurs arguments forts pour refuser tout lien avec les partis politiques : leur division, que nos cégétistes opposaient à la vocation, pour le syndicat, d'unification de tous les travailleurs.

Au débat qui s'engage Griffuelhes semble apporter une conclusion claire et définitive lorsqu'il fait voter sous forme d'une résolution ses fameuses notes : 834 voix pour, 8 contre, et un bulletin blanc. Il faut relire ce texte attentivement (C'est nous qui avons souligné les phrases qui nous paraissent essentielles).

La Charte

« Le congrès   confédéral d'Amiens   confirme l'article 2, constitutif de la CGT.
La CGT groupe, en dehors de toute école politique, tous les travailleurs conscients de la lutte à mener pour la disparition du salariat et du patronat.
Le congrès considère que cette déclaration est une reconnaissance de la lutte des classes qui oppose, sur le terrain économique, les travailleurs en révolte contre toutes les formes d'exploitation et d'oppression, tant matérielles que morales, mises en oeuvre par la classe capitaliste contre la classe ouvrière. Le congrès précise sur les points suivants cette affirmation théorique :
Dans l'oeuvre revendicatrice quotidienne, le syndicalisme poursuit la coordination des efforts ouvriers, l'accroissement du mieux-être des travailleurs par la réalisation d'améliorations immédiates, telles que la diminution des heures de travail, l'augmentation des salaires, etc.
Mais cette besogne n'est qu'un côté de l'oeuvre du syndicalisme; il prépare l'émancipation intégrale, qui ne peut se réaliser que par l'expropriation capitaliste; il préconise comme moyen d'action la grève générale et il considère que le syndicat, aujourd'hui groupement de résistance, sera, dans l'avenir, le groupement de production et de répartition, base de réorganisation sociale.
Le congrès déclare que cette double besogne, quotidienne et d'avenir, découle de la situation des salariés qui pèse sur la classe ouvrière et qui fait à tous les travailleurs, quelles que soient leurs opinions ou leurs tendances politiques ou philosophiques, un devoir d'appartenir au groupement essentiel qu'est le syndicat.
Comme conséquence, en ce qui concerne les individus, le Congrès affirme l'entière liberté, pour le syndiqué, de participer, en dehors du groupement corporatif, à toutes formes de lutte correspondant à sa conception philosophique ou politique, se bornant à lui demander, en réciprocité, de ne pas introduire dans le Syndicat les opinions qu'il professe au dehors.
En ce qui concerne les organisations, le Congrès décide qu'afin que le syndicalisme obtienne son maximum d'effet, l'action économique doit s'exercer directement contre le patronat, les organisations confédérées m'ayant pas, en tant que groupements syndicaux, à se préoccuper des partis et des sectes qui, en dehors et à côté, peuvent poursuivre, en toute liberté, la transformation sociale. »

Du syndicalisme révolutionnaire

On voit que, loin d'être un refus de la politique, cette position semble bien mettre la lutte "d'avenir" pour "l'émancipation intégrale" au-dessus des luttes pour les "améliorations immédiates". C'est plutôt une volonté de confier toute la politique au syndicat.
Et pas n'importe quelle politique : la "disparition du salariat et du patronat", "l'expropriation capitaliste" et la "réorganisation sociale" ! Une politique révolutionnaire. Cette charte d'Amiens, dont tout le monde se réclame plus ou moins, est en fait un petit caillou dans le soulier de tout le monde.

Pour la CGT "de lutte", pour la CFDT "autogestionnaire", pour FO "indépendante de tout parti politique", la charte d'Amiens a une saveur révolutionnaire relativement indigeste, escamotée discrètement sous couvert d'erreurs de jeunesse pour ne garder que le radicalisme... de l'indépendance du syndicat vis-à-vis des organisations politiques.
Par exemple, on sent clairement cette gêne dans le dossier consacré à notre fameuse charte dans l'Hebdo-V.O. n°2721 :
« Ce qui deviendra plus tard la charte d'Amiens, non exempte de flous ou d'imprécisions, était un compromis de blocage adopté pour faire échec au projet guesdiste. Il résume mal, malgré son importance, le sens du débat qui a agité le congrès. Car, le véritable problème mis en discussion est celui de la reconnaissance ou non de la lutte des classes et de la conception qu'on en a. C'est pourquoi la charte d'Amiens garde toute son actualité aujourd'hui... »
Il suffit donc de reconnaître la lutte des classes pour être fidèle au congrès de 1906 ; c'est l'essentiel, car le reste n'était que nécessité de compromis liés à la situation de l'époque... !

Des révolutionnaires syndicalistes

Certains révolutionnaires se réclament aujourd'hui consciemment et fondamentalement de la charte d'Amiens, comme le Comité Syndicaliste Révolutionnaire, de la revue Syndicaliste. Plus nombreux sont ceux qui y sont fidèles de fait, sans parfois bien en connaître le contenu réel. Ils peuvent ressentir eux aussi la gêne d'un petit caillou : quelques années après ce mémorable congrès d'Amiens très syndicaliste-révolutionnaire, en 1914, la plupart des dirigeants de la CGT soutenaient la guerre impérialiste et la défense de la patrie. Proclamations radicales vagues et appels à la grève générale ne font ni une stratégie ni une tactique politiques révolutionnaires. Pourtant ces conceptions sont communes à un courant d'idées bien enracinées dans le mouvement ouvrier français (et européen en général, surtout sud-européen) : c'est l'anarcho-syndicalisme.

Il influence plus ou moins ceux qui sont déçus par les partis réformistes dits de Gauche, ou qui sont simplement sans organisation politique et reportent toute leur activité militante et leurs espoirs sur une structure syndicale, un comité de lutte, un mouvement, une association. Son influence s'étend même à des organisations politiques comme LO et la LCR qui ont comme stratégie la « lutte d'ensemble de tous les travailleurs », et, comme moyen d'action, la grève générale.

D'autres principes

En rupture avec ce courant politique, VP-Partisan est fidèle à un certain nombre de principes :
«Seule la révolte, éventuellement radicale et généralisée, peut voir le jour de façon spontanée, pas la révolution » (Plate-forme politique, n° 522, cahier n°3).
«Dans la période actuelle, l'heure n'est pas à rallier les larges masses à la perspective de la révolution, mais à construire le parti nécessaire à cet objectif. Cela implique de regrouper l'avant-garde ouvrière et militante » (n° 722, cahier n°4).
«La priorité aujourd'hui, c'est de construire un parti communiste » (n° 700, cahier N°4).

Le terme " avant-garde " n'a aucun sens élitiste. Il n'établit pas une distinction entre bons et mauvais militants. Il reflète simplement le fait que, dans la société capitaliste, vue l'influence du réformisme spontané et organisé, seule une minorité peut percevoir les enjeux historiques du combat contre l'exploitation. Ces militants constituent l'avant-garde des masses, précisément dans la mesure où ils n'en sont pas coupés, mais où ils en représentent la fraction la plus lucide. C'est par le regroupement de ces éléments qu'il faut commencer la construction du parti.
On touche le fond du problème en constatant que cette avant-garde est, actuellement, souvent très anarcho-syndicaliste !

Nous avons l'intention de revenir sur cette question du " spontanéisme ", du " mouvementisme " et de l'anarcho-syndicalisme. Mais dès maintenant, écrivez-nous quelques lignes sur le sujet. Chacun a son petit caillou : chacun peut aussi apporter sa pierre !

Quelques commentaires pour aujourd'hui :

  • La CGT de 2006 ne revendique même plus la lutte des classes comme ligne de démarcation, puisque la formule a bien disparu du document d'orientation...
  • Et on comprends aussi que les militants CGT qui animent ce blog ne respectent de fait pas la Chartre d'Amiens, puisqu'en toute démocratie, et en toute clarté, "ils introduisent dans le Syndicat les opinions qu'ils professent au dehors..."

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