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20 mars 2006 1 20 /03 /mars /2006 10:59
Lundi 20 mars 2006
Réforme des cotisations : les ambiguités d'un débat
 
Ce document a été publié ici dans Le Peuple n°1626 du 15 mars 2006, et traite de la réforme du système des cotisations. C'est pour l'instant la contribution critique la plus claire à ce nouveau système et il mérite d'être connu et diffusé, ce que nous faisons.
Pourtant, il n'est pour nous pas satisfaisant, et nous ajoutons à la fin nos commentaires pour expliquer en quoi ce débat ne doit pas être le coeur de l'affrontement au 48° Congrès

Syndicat du personnel du Centre hospitalier spécialisé - Jacques Berthault, délégué au 46e congrès de la Santé - Franche-Comté - Dôle (Jura)


Un large débat a lieu dans la Cgt à propos de la réforme des cotisations qui est soumise au vote du 48econgrès confédéral. Je voudrais, par cette contribution, exposer quelques arguments contre cette réforme. (...)

Le premier aspect majeur concerne l’existence de chaque syndicat. Dans le numéro du Peuple du 26 octobre qui présente la réforme des cotisations, il est indiqué que « les problèmes et dysfonctionnements du système actuel » seraient notamment que « la part du syndicat est non définie (il conserve seulement la différence entre les cotisations qu’il perçoit et les reversements à effectuer) ».

Mais en fait, c’est l’inverse. Actuellement, chaque syndicat détermine souverainement le montant de la cotisation du syndiqué pour établir son budget de fonctionnement. Il établit ce budget en sachant ce qu’il doit reverser aux différentes structures de la Cgt (Ud, fédé, confédé, Ul, Usd). Et en fonction de cette somme, il fixe le montant de la cotisation qui déterminera son budget.
Or à l’inverse, la réforme proposée des cotisations interdit tout choix et toute décision par le syndicat puisque le montant de la cotisation qu’il percevra est fixé à 33% du montant global de celle-ci, plus ou moins une modulation définie à la fois dans la fédération et dans le département du syndicat. Ainsi, quelle que soit la modulation qui ne changerait qu’aux marges, ce ne serait plus chaque syndicat qui déciderait de son budget, mais celui-ci serait défini par la décision du congrès confédéral fixant le pourcentage gardé par le syndicat.

Cette disposition est totalement contraire aux statuts confédéraux de la Cgt. En effet, le titre II des statuts est intitulé : « Le syndicat, base de toute la Cgt » et l’article 7 stipule : « Les adhérents de la Cgt se regroupent dans des syndicats, organisations de base de la Cgt. Les syndicats définissent eux-mêmes leur mode de constitution et de fonctionnement. » Mais comment un syndicat pourrait-il désormais définir lui-même son mode de fonctionnement s’il ne peut plus déterminer son budget qui est à la base de tout fonctionnement ?

Il est nécessaire à mon avis de revenir sur le fond, sur ce qu’est le fédéralisme, base de la constitution de la Cgt depuis plus d’un siècle.

Rappelons qu’au point de départ, les syndicats se sont constitués pour défendre les intérêts matériels et moraux des syndiqués, distincts et antagoniques à ceux des patrons. Et pour rompre le morcellement et la division entre salariés, organisés par l’exploitation capitaliste, les syndicats, dans un acte volontaire, se sont ensuite reliés entre eux et se sont affiliés à des fédérations professionnelles et à des unions départementales. C’est par cette double affiliation que les syndicats dont devenus confédérés. Le regroupement en fédérations a correspondu et correspond à l’existence de droits communs, de conventions collectives et de statuts propres à une branche professionnelle. C’est ce mouvement historique qui a fondé la légitimité de la confédération Cgt en la faisant procéder des syndicats. Et c’est dans ce cadre du fédéralisme que le syndicat est souverain pour déterminer lui-même son budget, donc le taux de ses cotisations.
C’est tout le fédéralisme que la réforme des cotisations, si elle était adoptée, remettrait en cause.

Un deuxième problème de cette réforme des cotisations préoccupe à juste titre de nombreux syndicats.
Il est en effet prévu que « tous les syndiqués bénéficient d’une publication confédérale mensuelle ». Or actuellement, la confédération ne dispose pas du fichier des adhérents lequel est détenu par chaque syndicat. C’est ici qu’intervient le Cogitiel. Ce logiciel est un fichier commun aux syndicats, aux unions départementales, et aux fédérations professionnelles, qui peut contenir les coordonnées des seuls responsables, ou bien de l’ensemble des adhérents d’un syndicat. Dès lors qu’une quote-part de la cotisation du syndiqué serait destinée au financement de la presse confédérale, les syndicats ne seraient-ils pas conduits à utiliser le Cogitiel et à devoir le renseigner par les noms et adresses des syndiqués, ceux-ci ayant payé (3% de la cotisation) pour cette presse ?
Chacun peut imaginer qu’il serait alors possible pour Bernard Thibault ou le bureau confédéral de s’adresser directement aux syndiqués en passant par-dessus le Ccn, les fédés, les Ud, les syndicats, comme il aurait souhaité le faire lors du Ccn de février lorsque ce dernier a appelé à voter « non » à la Constitution européenne.

Troisième grande crainte, c’est la constitution d’un circuit national centralisé de reversement des cotisations. Jusqu’à présent, les syndicats versent eux-mêmes aux Ud, aux fédés, et par-là même à la confédération, ainsi qu’aux Ul et pour ce qui nous concerne dans la Santé, à l’Usd, la part des cotisations qui leur revient. A ce système fondé sur le fédéralisme et fonctionnant du bas vers le haut serait substitué un système centralisé, comme cela a été imposé il y a dix ans dans la Cfdt, où c’est un organisme national, avec un seul compte, qui redistribuerait tout.

Avec des budgets déterminés à l’avance par décision du congrès confédéral, avec une uniformisation forcée des organisations de même type, quelle que soit leur situation, avec la constitution d’un fichier national des syndiqués, que resterait-il du fédéralisme ?
Le risque n’est-il pas grand de voir la Cgt être profondément transformée, en organisation « centralisée » (« confédéralisée » pour reprendre l’expression consacrée), où les orientations seraient prises par la confédération et où les organisations constituant la Cgt (les syndicats, les fédérations et les unions départementales) verraient leur rôle ramené à celui de simple exécutant ? (...)

C’est pour toutes ces raisons que l’union syndicale départementale (Usd) Santé du Jura s’est prononcée dans une délibération adoptée le 17 novembre dernier contre la réforme des cotisations proposée au 48e congrès. Dans cette déclaration, il est notamment dit : « Si le syndicat de base est maître de son orientation, il doit rester maître de sa politique financière. (...) L ’Usd se prononce contre toute perception des cotisations par un organisme, confédéral ou non. L ’Usd rejette donc le projet de généralisation du Cogitiel. L’Usd demande le maintien du système de cotisation actuel fondé sur le fait que chaque structure décide du montant de sa cotisation.


Cette contribution relève au moins deux volets très importants d'actualité dans la Confédération :

  • L'autonomie et la souveraineté des syndicats, battus en brèche par les déclarations confédérales.
  • La démocratie interne à la CGT et le renforcement du contrôle bureaucratique que tout le monde constate en ces temps troublés..., déjà abordé dans le document de la Fédération de la Chimie.

Nous partageons complètement ces critiques et en ce sens nous ne pouvons pas être indifférents au débat autour des structures et de la réforme du système des cotisations.
Pourtant, l'argumentation nous laisse sur notre faim, parce qu'elle néglige des points très importants, qui sont étroitement liés à la conception du syndicalisme de classe que nous voulons porter.

La première remarque relève d'un point soulevé par la direction confédérale, comme par d'autres d'ailleurs, qui est le fait qu'il y a dans la CGT des syndicats qui ne sont pas confédérés. C'est à dire qui cotisent au champ professionnel (Fédé) mais pas au champ territorial (UD, UL) ou l'inverse.
Il y a là un véritable débat de fond, qui ne peut pas relever de l'autonomie d'un syndicat ou d'un autre. Comment peut-on imaginer construire un syndicalisme de classe en marchant sur une seule jambe ? Comment peut-on accepter que des syndicats refusent de construire l'unité interprofessionnelle sur la localité ou le département, à l'heure justement de la généralisation des luttes interprofessionnelles, de l'unité privé/public/privés d'emplois ?
Que la direction confédérale se saisisse de ces lacunes pour renforcer son contrôle bureaucratique est évident. Il n'empêche que nous devons défendre absolument un syndicalisme de classe, tant professionnel que territorial. La mise au clair du système de cotisations s'impose donc de toutes les façons, au moins de ce point de vue là.

La deuxième remarque relève plus de la situation actuelle. Dans de nombreux syndicats, il y a une forte tendance au repli localiste, sur l'activité de boîte, les DP, le CE, le train-train institutionnel, sans se préoccuper de ce qui se passe dehors. C'est par exemple un des gros problèmes des Unions locales qui ont du mal à exister.
La question de la centralisation de l'activité syndicale, de la lutte commune, de sortir de la boîte est un point essentiel, à l'heure où les attaques se généralisent de la part du gouvernement et du MEDEF, où elles deviennent à chaque fois plus globales. Il est absolument impossible d'en rester à la défense de l'autonomie et de la souveraineté du syndicat, sans en parallèle défendre la nécessaire centralisation de la riposte syndicale à tous les mauvais coups que nous prenons.

Enfin, la dernière remarque est sur la cohérence de ce que nous défendons. Comment peut-on en même temps reprocher à la Direction Confédérale de ne pas appeler à la grève générale interprofessionnelle (cf actuellement sur le CPE, voir ici), c'est à dire demander une impulsion par en haut, et d'un autre côté demander plus d'autonomie, plus d"autogestion" par la base. On notera que c'était très exactement l'argument de Maryse Dumas et de la Direction Confédérale pour ne pas appeler à la grève générale le 7 mars ! Nous avons besoin de centralisation, sur une base syndicale de classe, c'est là le fond du débat.

Nous ne voulons pas négliger les points abordés par les critiques au nouveau projet de cotisations. Elles soulèvent nombre de questions pertinentes.
Nous estimons cependant qu'elles sont incomplètes, qu'elles laissent de côté de véritables questions de fond pour le syndicalisme de classe. Nous avons parfois le sentiment que certains utilisent discrètement ces contradictions en coulisse pour défendre des positions inavouables, voire conserver des sortes de petites féodalités au sein de la Confédé.
Disons-le nettement : nous craignons fortement la polarisation des contradictions sur ce terrain lors du Congrès de Lille. Cela a déjà été le cas au 47°Congrès, et ce serait propice à l'évacuation de tout le débat de fond sur la dérive réformiste de la direction confédérale, comme à tous les petits arrangements de couloir pour satisfaire tout le monde sans rien régler...

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