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29 mai 2006 1 29 /05 /mai /2006 16:01
Lundi 29 Mai 2006
L'anarcho-syndicalisme du début du XXème siècle

Nous republions ci-dessous un texte de 1926 pour continuer à alimenter le débat sur l'anarcho-syndicalisme et le sens général à donner à l'activité syndicale.
Ce document a été publié par Alexandre Losovsky, dirigeant de l'Internationale Syndicale Rouge, au début de son livre "Le Mouvement syndical avant, pendant et après la guerre". Il est certes daté, mais encore riche d'enseignements et on remarquera que l'on retrouve quelques caractéristiques portées aujourd'hui, non seulement par celles et ceux qui se revendiquent explicitement de l'anarcho-syndicalisme, mais aussi par d'autres
camarades dans la CGT, SUD ou ailleurs !



La deuxième tendance, qui est l'antipode du trade-unionisme est connue sous le nom d'anarcho-syndicalisme. Si le trade-unionisme est lié aux pays anglo-saxons, l'anarcho-syndicalisme l'est aux pays latins. En France, patrie de l'anarcho-syndicalisme, il a pris son développement maximum et c'est là qu'a surgi sa théorie, qui a rallié dans les pays latins les sympathies d'un nombre important d'ouvriers.

Quels sont les traits essentiels de l'anarcho-syndicalisme ? Les trade-unionistes, comme on l'a vu, se préoccupent exclusivement des intérêts étroitement corporatifs, des intérêts de telle ou telle catégorie du travail. L'anarcho-syndicalisme (et c'est ce qui représente, certainement, le progrès qu'il a réalisé), envisage des intérêts généraux de la classe ouvrière. Ce fut jadis une réaction très saine d'une certaine partie du prolétariat contre l'opportunisme et le réformisme régnant dans- les organisations syndicales et politiques. Ainsi, le premier trait distinctif de l'anarcho-syndicalisme, c'est qu'il a posé des problèmes concernant l'ensemble de la classe ouvrière et la lutte, non pour l'amélioration du système capitaliste, mais pour la destruction de ce système.

Un second trait qui caractérise les tendances anarcho-syndicalistes dans le mouvement ouvrier international, c'est son caractère antipolitique Les anarcho-syndicalistes mettent au premier plan, dans la lutte sociale, les syndicats. Sauf les syndicats, il n'y a, selon eux, aucune organisation capable de vaincre le capitalisme. Tous les partis politiques, affirment les anarcho-syndicalistes, des partis bourgeois jusqu'aux socialistes, ou même communistes, sont au point de vue social, des organisations mixtes, cependant que les syndicats sont des organisations purement ouvrières. Le parti est une union de citoyens, le syndicat est une union de producteurs. Le parti peut grouper aussi bien des ouvriers et des individus issus d'autres classes; le syndicat, lui, n'englobe que des ouvriers. Les anarcho-syndicalistes en tirent ce principe que le syndicat doit avoir la priorité sur le parti.

Le syndicat devient ainsi l'instrument principal de la révolution sociale. D'autre part, selon les théoriciens et les praticiens de l’anarcho-syndicalisme, tels que Sorel, Lagardelle, Griffuelhes, les syndicats sont pour la classe ouvrière, non seulement un point d'appui dans la lutte pour la destruction de la société capitaliste, mais aussi la cellule d'où sortira la société future.

Selon les anarcho-syndicalistes, non seulement le syndicat fera la révolution, mais encore il réalisera l'édification de la société nouvelle, il se chargera d'organiser la production, il la réglera dans toutes les branches d'industrie, il administrera toutes les branches de l'économie nationale. Telle est la philosophie sociale de l'anarcho-syndicalisme. Mais ce n'est pas tout.

Une autre particularité de l’anarcho-syndicalisme, c'est qu'il a intégralement hérité de l'anarchisme sa théorie de l'Etat : l'Etat, quel que soit sa forme et son contenu, est un mal. La structure organique de l’Etat, par elle-même, est un instrument d'exploitation de l'homme par l'homme, et cette exploitation a toujours pour victime les travailleurs.

C'est pourquoi, dès la veille de la guerre, quand la question de la dictature du prolétariat était posée d'une façon abstraite et théorique, les anarcho-syndicalistes se prononçaient contre cette dictature qui, selon eux, devait perpétuer le régime de l'exploitation du travail. Les anarcho-syndicalistes sont anti étatistes; en revendiquant la destruction de l'Etat, ils se figurent la nouvelle société, après la révolution sociale comme un corps où les syndicats joueront un rôle directeur; cette société « anarchique » (c'est-à-dire sans Etat), sera réglée uniquement par les syndicats, elle ne se préoccupera que des problèmes concernant la production, la répartition, etc.

Mais allons plus loin. Tout ce qui a été dit concerne l'avenir. Mais, dans le présent, par quoi se distinguent les anarcho-syndicalistes des autres théoriciens et praticiens syndicaux, que proposent-ils ?

L'anarcho-syndicalisme a mis en avant, en cours de lutte, certaines méthodes qui l'ont distingué des autres tendances. Avant tout, il accorde une grande importance aux minorités agissantes et, au fond, selon les anarcho-syndicalistes, cette minorité agissante doit, dans beaucoup de cas, remplacer la masse. L'anarcho-syndicalisme, en somme, se défie des masses, autant que les anarchistes. C'est l'individu qui joue le rôle prépondérant; non seulement la minorité agissante assume l'initiative et entraîne à sa suite la masse, mais peut accomplir l'œuvre d'édification sans le concours des masses: ce remplacement de îa masse par une minorité agissante est l'une des particularités caractéristiques de la philosophie anarcho-syndicaliste.

C'est en partant de ce principe qu'il faisait figurer dans la lutte de tous les jours des éléments que nous ne rencontrons chez aucune autre tendance. Les anarcho-syndicalistes introduisent dans la lutte un élément d'aventurisme, ce qui apparaît surtout dans le rôle exagéré qu'ils attribuent aux grèves. Organisant des grèves le plus souvent possible, ils ont même formé ce terme spécial de « gymnastique révolutionnaire » ; ils estiment que la grève est toujours un « bien ». Ils affirment que la grève profite toujours à la classe ouvrière, car elle entraîne un certain nombre d'ouvriers dans le mouvement et exacerbe les relations sociales et la lutte entre les classes.

Les anarcho-syndicalistes ne connaissent ni les longs et minutieux travaux de préparation, ni l'étude des conditions objectives où doit se dérouler la grève, ni l'appréciation réaliste des forces en présence et du rôle de la masse, ainsi que des rapports entre la masse et la minorité agissante. Ils se figurent que la révolution sociale surgira soudainement en l'absence même des prémisses d'organisation politiques, ou autres.

C'est là l'origine de la théorie de la grève libératrice qui peut éclater à n'importe quel moment et pour n'importe quelle raison. Les théoriciens de l'anarcho-syndicalisme prêtaient une importance décisive à l'initiative de proclamer la grève générale. Le reste devait s'accomplir par le mouvement spontané des masses. L'expérience de plusieurs grèves organisées en France, d'après la recette anarcho-syndicaliste, conduisit à des défaites cuisantes et obligea les leaders à se préoccuper des nombreux et graves problèmes du mouvement ouvrier.

Enfin, ils mettent en avant l'idée du sabotage ou de ce que nous appelons la terreur économique en tant que moyen d'action sur les entrepreneurs. Ils se prononcent également contre les caisses syndicales fortes, en se plaçant à ce point de vue que les syndicats sont, sous ce rapport, semblables aux hommes : qui a beaucoup d'argent n'est guère disposé à la lutte. Si le syndicat a beaucoup d'argent dans sa caisse, il aura peur de le perdre et cessera d'être combatif, cessera d'être prêt aux grèves.

Tels sont les traits sommaires de ce qu'on peut appeler la tendance anarcho-syndicaliste du mouvement syndical mondial, tendance qui caractérise les pays latins et surtout la France, l'Espagne, le Portugal, l'Argentine, le Mexique, etc.

En Italie, cet autre pays latin, le mouvement syndical a évolué selon un type différent.

Nous avons présenté plus haut le mouvement anarcho-syndical pur. Mais, en réalité, des tendances différentes se heurtaient dans son sein. Une partie se rapprochait des théories de Marx; ses partisans n'acceptaient pas l'idéologie anarchiste et ils se nommaient syndicalistes-révolutionnaires. Elle se rapprochait par le fait, sinon théoriquement, à l'aile gauche du mouvement ouvrier. Le syndicalisme de ce type n'était pas homogène. Il avait plusieurs théories qui se rapprochaient plus ou moins de l'idéologie anarchiste.

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