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3 octobre 2018 3 03 /10 /octobre /2018 14:40

Mardi 3 octobre 2018

Fédé du Commerce : CGT contre CGT

 

Demain, jeudi 4 octobre, un procès atypique va avoir lieu au Tribunal de Grande Instance de Bobigny (à 11h, invitation à tous nos lecteurs à y participer).

5 syndicats attaquent la Fédération du Commerce pour remettre en cause les conditions de tenue du 15° Congrès fédéral à Reims en mars dernier et donc annuler toutes ses décisions. Et ensuite pour exiger la tenue d’un congrès qui respecte les règles statutaires de toute la CGT, à savoir qu’un congrès est celui des syndicats organisés, et pas des syndiqués isolés pris un par un.

L’air de rien, derrière ce respect des statuts, un enjeu de taille : la FD regroupe 42 000 syndiqués, dont seulement 12 000 organisés en syndicats. Soit 71% de syndiqués isolés dont la direction fédérale s’est approprié tous les mandats… De plus, le plus gros syndicat (l’US Commerce Paris, 2900 syndiqués) a été exclu du congrès par une manœuvre de dernière minute digne des plus « belles » traditions bureaucratiques… Voir leur communiqué ICI.

 

Une fédération « en mouvement » c’est-à-dire en guerre civile depuis plus de dix ans

Nous n’allons pas revenir sur la tenue du Congrès de Reims, dont on trouvera un petit compte rendu factuel sur le site de la CGT Ansamble (un des syndicats critiques).

Pour notre part, nous avions fait le point à la veille du Congrès (voir « La démocratie dans la CGT et le Congrès du Commerce, quelques leçons »), et malheureusement son déroulement n’a fait qu'entériner sa préparation : une catastrophe !

On retiendra donc en vrac : l’appropriation des syndiqués isolés par la Fédé, l’exclusion du plus gros syndicat, les intimidations contre les délégués oppositionnels, l’exclusion des contestataires, les gros bras présents partout dans la salle, des motions sorties du chapeau à la dernière minute et votées dans la foulée, aucun débat sur les ordres du jour, la composition des commissions tout était verrouillé, le silence du référent de la Confédération Fabrice Angei, et des votes avec des scores à la Brejnev, plus de 95% de pour à tous les votes. Bref, un congrès monolithique et totalement bureaucratique, unanimiste et où toutes les contradictions sont évacuées manu militari.

 

La Fédé du Commerce est habituée de ce style de fonctionnement. Si nous avons été amenés à constituer une section spéciale de ce blog sur cette fédération (voir ICI), ce n’est pas un hasard.

On rappellera donc vite fait les licenciements des permanents Serge Crimet, Yusuf Barsalan, Olivier Biraud en 2012/2013 sur des bases tout sauf politique. Un 12° congrès formaté en 2008.  Le gazage des opposants au 13 °congrès de Poitiers en 2011. Les menaces de désaffiliation de l’US commerce Paris en 2014. Le soutien permanent au corrompu Amadou N’Diaye qui a détourné 413 000 € au CE d’Eurodisney (voir l’article du Parisien ICI) et a été élu à la CEF au 14° Congrès de Vichy malgré la dénonciation publique en séance de la CGT-HPE.

 

L’élection d’Amar Lagha a pu laisser croire que les turpitudes de l’époque Michèle Chay allaient être du passé. Ce n’était en fait que la conclusion de la prise de pouvoir d’un dirigeant particulièrement ronflant et habile, mais qui avait malheureusement déjà fait ses preuves à l’US Commerce de Lyon (voir ICI la dénonciation des agissements d’Amar Lagha, ainsi que l’expertise qui refuse de valider les comptes de l’US en 2012 – le tout dans un contexte qui rappelle furieusement celui qui existe aujourd’hui dans la Fédé du commerce, c’était donc un bel entraînement…). Et dont les liens avec son employeur (Sodexo) paraissent assez sulfureux vu son silence lors des restructurations à Sodexo Dreux fin 2017, dont la fédération n’a pas dit un mot… (voir le communiqué de l’US Commerce Paris).

 

Malheureusement, cette ambiance délétère permanente a complètement pourri le débat politique au sein de la fédération, et les enjeux de structures, d’ambitions, de petits chefs, les menaces et coups fourrés ont produit des inimitiés et des contentieux tenaces – ainsi lorsque l’US Commerce Paris (elle-même opposante à la fédération) a tenté d’exclure la CGT-HPE sous des prétextes organisationnels (l’existence de syndicats nationaux, désormais non statutaires à la CGT), exactement les mêmes reprochés au syndicat Ansamble aujourd’hui par la Fédé… Et du coup, les manœuvres d’Amar Lagha qui sait très bien jouer de ces petites rivalités pour se maintenir en place.

 

Commerce : situation calamiteuse

Bref, la situation dans la Fédération est assez calamiteuse.

Une direction dictatoriale qui démandate à tour de bras (Auchan, Galeries Lafayettes, Ansamble), qui veut absolument tout contrôler (le meilleur étant que tous les protocoles électoraux pour l’élection des CSE à venir doivent être validés par la direction fédérale, voir le tract hallucinant ICI), des désignations hors de tout point de vue des syndiqués, un budget qui ne repose qu’à 19% sur les cotisations, mais à 53% sur le paritarisme, ce qui n’empêche pas la direction fédérale de dépenser sans compter dans un faste publicitaire particulièrement mal venu (dernière frasque en date, la location pour 60 000 € d’un stand à la fête de l’Huma a défrayé la chronique jusqu’au Canard Enchaîné, voir l’extrait ci-contre). Qui se permet d’intervenir directement auprès de Cogetise pour interdire la perception des cotisations, au mépris des règles confédérales.

Des syndicats profondément divisés, nombre de délégués réduits au silence et à la compromission pour conserver leurs mandats, beaucoup ne réfléchissent pas trop, bernés par les discours ronflants et les apparitions médiatiques…

Car la direction fédérale, Amar Lagha en tête, savent tenir un discours pseudo radical. Lors du Congrès, la motion sortie du chapeau, c’était pour s’ouvrir la possibilité de faire adhérer la Fédé du Commerce à la FSM. Les critiques à la Confédération pleuvent publiquement sur son absence de radicalité, mais sur le terrain, rien ne distingue le Commerce des autres fédérations. On prend des discours très « gauche », contre le travail le dimanche, contre la sous-traitance, pour les 32h, on invite les syndicats palestiniens, on parle de convergence des luttes. Mais dans la vraie vie, c’est comme partout, certains syndicats sont actifs et combatifs, d’autres endormis et conciliateurs.

 

Il y a des contradictions dans la Fédération – comme partout. Entre celles et ceux tentés d’accepter le « moins pire », et les plus déterminés et radicaux. Entre celles et ceux qui sont très liés aux syndiqués et aux salariés de leur entreprise, et ceux qui fonctionnent en collectif un peu coupé des masses. Entre des syndicalistes gestionnaires et des syndicalistes de classe. On peut même voir des positions très réactionnaires comme cette affiche CGT qui a fait bondir les associations LGBT car elle reprend les visuels de la Manif pour tous contre le travail du dimanche, (voir ci-contre, on n’a pas vu passer de réaction fédérale !). Et en plus les contradictions peuvent se mélanger de manière contradictoire… Mais ça ne se règle pas à coup de démandatement et de désaffiliation, hors de tout débat et toute consultation des syndiqués. Ça se règle par le débat démocratique, même tendu et conflictuel. Le problème actuel, c’est qu’il n’y a aucun vrai débat de fond. Il y a des rodomontades radicales, des textes parfois très gauche, mais pas de débat. Et du coup, le combat juridique, pour légitime qu’il soit, apparaît comme hors sol, comme un affrontement de clans ou d’intérêts personnels. C’est calamiteux.

 

Et un petit potentat syndical qui surfe sur cette ambiance délétère qu’il a construite pour maintenir ses positions…

 

Comment sortir de la crise ?

L’audience du 4 octobre au Tribunal donne lieu à une guerre médiatique sans précédent.

L’enjeu essentiel du respect des règles statutaires est escamoté pour faire planer menaces, manipulations, pressions et mensonges (le tract fédéral aux délégués est un pur bijou).

Mais ce procès est compréhensible et indispensable. On ne peut pas faire ce qu’on veut des règles statutaires. Même s’il se mène sur le terrain juridique et statutaire, difficilement compréhensible par la base des syndiqués, alors qu’il apparaît comme une querelle de clans et contribue, aussi, à la décomposition de la fédération. Mais la responsabilité principale revient à la direction fédérale actuelle, Amar Lagha en tête, qui a pris la digne succession des directions précédentes. Rester silencieux, ne rien faire, ce n’est plus possible.

 

La Confédération est pour l’instant restée bien silencieuse. Pas un mot de Fabrice Angei lors du congrès de Reims, alors qu’il a tout vu, tout entendu. Mais petit à petit, les brèches s’ouvrent, tant Amar Lagha pousse le bouchon loin, veut s’imposer à toute la confédération, CEC, CCN, Cogetise et même proposer de modifier les règles statutaires pour le futur congrès confédéral de 2019 – sur le vote des isolés, bien sûr.

C’est autour du syndicat CGT-Ansamble que le conflit s’est cristallisé. Un des syndicats oppositionnels, dont la structuration nationale pose effectivement des problèmes statutaires – liés au périmètre de l’entreprise. Problèmes donc, mais pas insolubles, il suffirait d’un peu de travail et de bonne volonté. Mais le prétexte est tellement bon que la direction fédérale n’a qu’un objectif, désaffilier le syndicat (votée le 17 septembre dernier avec une seule abstention, celle de la CGT-HPE). Condamnée plusieurs fois en justice, la Fédé en est arrivée à exiger l’arrêt du prélèvement des cotisations à Cogetise, à vouloir forcer la main à Martinez, menaces à l’appui, comme dans un courrier du 17 septembre dernier. Et c’est remonté jusqu’à la CEC de mardi 2 octobre, où selon nos informations Amar Lagha a été proprement humilié, seul à refuser les propositions de règlement proposées par le syndicat…
C’est-à-dire que les excès et colères du personnage commencent à importuner en haut lieu… Et c’est maintenant le Bureau Confédéral qui prend en charge le dossier. On croit rêver…

 

Bref, la situation est calamiteuse, et la Fédération est à reconstruire, de fond en comble, dans les règles d’organisation comme sur ses positions de fond.

Il faut 

  • Poursuivre le combat contre le travail de nuit, dont se gargarise la fédé, alors que c’est l’US Commerce Paris au sein du CLIC P qui vient de faire condamner Monoprix.
  • Mener sérieusement sur le terrain (et pas seulement dans un communiqué ronflant) le combat pour la régularisation sans-papiers comme le fait la CGT-HPE.
  • Poursuivre tous les combats contre les restructurations, les licenciements, contre le travail le dimanche, comme le font tous les syndicats du Commerce, avec la direction fédérale ou les opposants.
  • Ouvrir de nouveaux fronts, comme précarité et flexibilité (avec le temps partiel) et pénibilité (cf Cash Investigation sur Lidl
  • Réorganiser la FD sur la base de syndicats, en excluant le principe des isolés. Mettre en place des syndicats départementaux vivants regroupant les isolés (ce qu’aurait d’ailleurs dû faire la fédé depuis belle lurette), puisque le commerce est effectivement un secteur où les isolés sont nombreux. Faire respecter, à tous les échelons, à tous les niveaux, les règles statutaires.
  • Remettre démocratie syndicale au premier plan et combattre frontalement la bureaucratie. Organiser des débats contradictoires et de fond, préparés à l’avance, qui débouchent sur l’activité de terrain effective et efficace. Remettre les syndiqués comme acteurs de la désignation de leurs représentants, délégués syndicaux, locaux ou centraux.

Après, la question c’est de comment sortir du bourbier actuel – et ce n’est pas gagné. Si la confédération avait été une vraie confédération démocratique, l’option aurait été de mettre la fédé sous tutelle, le temps de se redresser. Malheureusement, on ne peut pas plus faire confiance aux dirigeants confédéraux qu’aux dirigeants fédéraux…

 

Parions sur l’énergie et l’initiative des militants de base, et sur l’apparition d’une nouvelle génération de syndicalistes capables d’entraîner derrière eux les « vieux crabes » dont on aurait ligoté les pinces… On peut rêver !
 

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