La pénibilité du travail est au cœur du débat politique, et d’une certaine manière c’est une bonne chose. C’est la reconnaissance ouverte que dans cette société capitaliste, le travail détruit, le travail est une souffrance, le travail n’est qu’exploitation. Des suicides au boulot, jusqu’à la réduction de l’espérance de vie pour les ouvriers, en passant par les gamins livrés à eux-mêmes avec les horaires atypiques et les empoisonnés de l’amiante, c’est tout la vie ouvrière qui est sur le tapis.
La pénibilité, pour les ouvriers avant tout (mais aussi pour d’autres travailleurs) c’est quelque chose qui est vécu au fond des tripes, de proprement insupportable, une injustice fondamentale. Inconsciemment, c’est toute la société capitaliste qui est remise en cause, qu’il s’agisse de l’exploitation du travail elle-même ou de toutes les conséquences sur les divers aspects de la vie individuelle et collective.
« Socialisme ou barbarie », jamais slogan n’a été aussi vrai : nous vivons dans un monde destructeur et barbare, et la fin de ces souffrances ne pourra venir que de la fin de l’exploitation, un socialisme véritable au service des travailleurs et de toute la société.
La vision du patronat
Il y a un fait : la pénibilité ne peut plus être cachée, tellement l’exploitation s’est aggravée, tellement la destruction de la santé s’est intensifiée. Le Medef est obligé de se saisir du problème. Et il le fait d’une manière fort habile… D’une part, comme d’habitude en prétendant traiter des cas individuels et en refusant tout aspect collectif. Donc visite médicale et traitement au cas par cas… Ensuite en prétendant que le principal de la question doit porter sur la « prévention » et non pas sur la « réparation », discours hautement moraliste et humaniste à la clé. Voilà qui perturbe nombre de militants qui ne veulent surtout pas se retrouver (à juste titre !!) du même côté que le Medef.
Mais qu’entend le Medef par « prévention », voilà la question à poser. Car nous connaissons la politique actuelle en matière de sécurité dans les entreprises :
- Refus absolu de supprimer les risques en tant que tels, au nom des exigences de la production
- Aucun débat sur la question des horaires et du travail posté.
- Par contre multiplication des systèmes de protection, pour éviter les accidents, les fameux EPI : gants divers, lunettes, chaussures, masques, combinaisons, protections auditives, bientôt ce sera en armure qu’il faudra travailler ! Plutôt que de s’attaquer à la racine des causes (suppression du bruit, des risques divers)… on tente de limiter les dégâts par l’extérieur.
- Chasse aux accidents du travail (comme on vient de le voir à Cléon), culpabilisation des salariés, mise en responsabilité et en faute des travailleurs en cas d’accident. Objectif, non pas les accidents, la pénibilité et améliorer la santé et les conditions de travail, mais diminuer les chiffres, traficoter l’opinion tout en faisant de substantielles économies du côté des pénalités dues à la Sécurité Sociale.
Voilà la réalité de la « prévention » selon le Medef, voilà ce qu’il faut dénoncer, en montrant ce qu’il y a derrière : on ne touche pas à l’exploitation, au capitalisme, on ne touche pas au « centre de profit », la « ressource humaine » qu’est l’ouvrier
La réponse du syndicalisme de classe
Nous syndicalistes de classe, partons d’une certaine manière de la même analyse, mais pas du même côté. Oui, nous vivons dans un monde capitaliste, et ce que nous défendons, c’est notre camp, le camp ouvrier et populaire. Nous n’acceptons pas de mourir à petit feu. Nous n’acceptons pas les règles du jeu de nos exploiteurs, la recherche de la compétitivité, d’une meilleure productivité, de la guerre économique mondiale, nous voulons défendre nos intérêts, et rien d’autre, pour préparer un futur meilleur. Nous le refusons absolument et nous savons que c’est un sujet hyper sensible et « chaud » parmi les ouvriers et les travailleurs, comme l’ont montré le meeting de Dunkerque sur la pénibilité, les diverses mobilisations précédentes sur l’amiante, et toutes les initiatives prises ici ou là sur la question.
Nous nous battons donc sur plusieurs terrains :
L’exigence de la réparation bien sûr, une réparation collective, à la charge du patronat bien sûr. Réparation par la
retraite anticipée, par la reconnaissance des sites amiantes, par la mise en cause de la responsabilité pénale des employeurs, par les indemnisations aux victimes etc.
Mais nous nous battons aussi, pour la disparition des risques : nous voulons la disparition du travail de nuit,
qui n’est véritablement indispensable que dans quelques métiers sociaux (santé par exemple), mais jamais dans les métiers techniques. Nous voulons la disparition du travail posté, qui est
une mutilation physique et intellectuelle de l’être humain. Nous nous battons contre tous les toxiques, ceux de hier (amiante) comme ceux d’aujourd’hui (fibres céramiques, esters de
glycol, nanoparticules…) pour l’interdiction de l’usage de ces saloperies. Nous nous battons pour supprimer les causes de bruit à la source, par utilisation de machines silencieuses, de
carters sonores efficaces pour rendre le port du casque inutile. Nous nous battons contre toutes les formes d’horaires atypiques, découpés, car la nuit c’est fait pour dormis, et nous
voulons pouvoir vivre sans nous détruire la santé, pas dans des armures, nous occuper de nos enfants (question clé autour des horaires), sans stress. Nous nous battons contre la précarité,
car nous voulons une vie sûre et pas incertaine.
Voilà de multiples terrains abandonnés par le syndicalisme officiel depuis bien longtemps, mais ils doivent être au cœur de l’activité du syndicalisme de classe !
Et le syndicalisme officiel ?
Et oui, justement, que disent-ils tous ? Que dit la direction de la CGT ? Nous avions déjà noté lors du meeting à Dunkerque que les conditions de travail étaient passées à la trappe.
Tout le discours confédéral (voir ici le compte rendu de la négociation du 26 septembre) porte désormais sur les «
réparations » à exiger du Medef, d’où l’enjeu de la retraite anticipée à 55 ans. Plus un mot sur les conditions de travail, qui sont pourtant à la racine de l’usure prématurée des
travailleurs.
Au prétexte que le Medef veut venir sur le terrain de la « prévention » (on a vu ce qu’il fallait en penser), on refuse d’en parler, d’analyser ses propositions, de répondre pied à pied pour
reprendre l’offensive. Le fond de l’affaire, c’est que le syndicalisme réformiste a intégré le monde actuel comme d’une certaine manière inéluctable (c’est tout le sens du livre de JC Le Duigou, par exemple). La lutte sur les conditions de travail est donc implicitement laissée de côté au prétexte
qu’elle est difficile (comme la lutte contre les licenciements) et qu’il vaut mieux se battre sur un terrain plus « réaliste », celui de la réparation. Bien sûr, on vous affirmera la main sur le
cœur que c’est archi-faux, que la CGT est à la pointe du combat sur les conditions de travail etc. Dans les entreprises, c’est souvent vrai. Mais à la direction confédérale, vous avez vu jouer çà
où ? Où sont les revendications, les « fiches revendicatives » sur le travail de nuit, le travail posté ?
Enfin, semble se préparer un terrible coup fourré. Sur ce blog, nous avons mauvais esprit, c’est vrai. Mais quand on voit le manque
de réaction à la remise en cause des régimes spéciaux et l’accent porté au contraire à la pénibilité, on est obligés de se poser une question : la confédération n’est-elle pas déjà en train
d’abandonner les régimes spéciaux en échange d’une petite retraite anticipée pour cause de pénibilité ? Une sorte de donnant/donnant, dont nous, les travailleurs, savons déjà qui seront les
dindons de la farce : nous-mêmes.
L’avenir nous dira si nous nous trompons, à force d’être mauvais esprit.
Mais quand on voit la manière dont la direction confédérale mobilise peu sur les régimes spéciaux et prépare au contraire la manifestation du 13 octobre sur l’amiante, ces interrogations sont tout à fait légitimes !
Quoiqu’il en soit, il est de notre responsabilité de ne pas abandonner ce terrain aux bureaucrates confédéraux. La pénibilité met l’exploitation au cœur de la vie sociale, pose ouvertement la question de la société capitaliste. A nous de faire nos preuves, de travailler, de construire, de mobiliser pour construire une alternative à l’impasse de collaboration des directions syndicales réformistes !