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21 janvier 2008 1 21 /01 /janvier /2008 16:43
Lundi 21 janvier 2008
Accord sur le marché du travail : où est la réaction ?

undefinedL’accord sur la dite « modernisation » du marché du travail a été signé ce 21 janvier par quatre confédérations syndicales, CGC, CFTC, FO et CFDT.
Modernisation, vous avez dit modernisation ? Pas faux, du point de vue du capital. Modernisation, au sens de l’adaptation à l’air du temps, pour faciliter les restructurations, les évolutions et la mobilité du capital, au fil des épisodes de plus en plus accélérés de la compétition mondiale.
Accord qui provoque somme toute peu de vagues. Une sorte de consensus moderne, « équilibré », comme l’avance le MEDEF. D’ailleurs il n’est (comme toujours) pas sans intérêt d’aller voir ce qu’en pensent nos ennemis. Dans Challenges, la comparaison des points sur la « flexibilité » et la « sécurité » est sans appel. Sur la Tribune, la représentante du MEDEF parle d’accord « historique », de « lignes qui ont bougé »… Quand un patron parle de cette manière, on ne peut qu’être méfiant. Quand en face, dans le camp syndical, on n’entend pas le tocsin, c’est qu’il y a anguille sous roche !

Le contenu de l’accord

Nous ne reviendrons pas en détail sur le contenu de l’accord. De multiples analyses l’ont détaillé, de manière assez complète. Nous renverrons donc aux analyses de la CGT (plutôt pertinentes, sur le plan technique) :
-    l’examen de l’accord point par point
-    la déclaration du 11 janvier à la clôture des négociations
-    la déclaration du 15 janvier donnant un avis négatif sur le projet
Par ailleurs, on peut également se reporter avec intérêt à une analyse de ATTAC qui donne des éléments complémentaires de compréhension.

Que souligner ? Qu’il s’agit bien d’un accord « historique », au sens où le comprend le MEDEF parce qu’il insère dans le cadre juridique des notions tout à fait nouvelles de flexibilité. Mais pas un bouleversement, parce ce que ces insertions ne sont souvent que la validation légale et la généralisation de pratiques déjà existantes. On institutionnalise la flexibilité, on ouvre grand la porte déjà entre-ouverte.
Un accord moderne (du point de vue du capital), qui valide et élargit l’existant :
-    un marché du travail déjà bien flexible, comme le dit l’analyse de ATTAC, élargit maintenant aux cadres et en facilitant les licenciements
-    Un accord de rupture amiable dont nous sommes surpris que personne ne rappelle qu’il a déjà été validé par la Cour de Cassation en 2002.
-    Un allongement de la période d’essai (un doublement en fait) qui ne fait que poursuivre la pratique déjà bien ancrée de l’embauche par la voie intérim + CDD et enfin CDI, soit parfois plusieurs années avant une embauche en fixe.
-    La légalisation du contrat de chantier déjà existant dans le BTP, ainsi que du « portage salarial », c'est-à-dire la mise à disposition de main d’œuvre bien connue par les entreprises d’intérim ou de sous-traitance, procédure illégale, mais généralisée de manière occulte dans les grandes entreprises.
Entendons-nous bien. Quand nous disons que cet accord valide l’existant, nous ne réduisons pas son côté catastrophique. Nous soulignons que son caractère historique est plutôt dans la validation par les syndicats de mesures patronales attendues depuis des années !

« En face » (pour parler comme nos commentateurs bourgeois qui refusent absolument de prendre parti entre le capital et le travail), qu’y a-t-il ? Pas grand’chose, il suffit de reprendre la liste faite par Challenges. Tellement pas grand’chose que la confédération CGT est contrainte de souligner qu’il y a beaucoup de flexibilité pour le patronat, et bien peu de sécurité pour le travailleur…

Le sens de cet accord

En fait, cet accord est historique par ce qu’il prépare pour l’avenir.
Il n’est pas sans intérêt de s’attarder sur les articles de « bavardage », ceux qui n’apportent rien de précis, ceux qui sont plus en perspective. Il est facile de les critiquer en notant leurs lacunes. Mais il est plus intéressant de les analyser en positif.
Ainsi en est-il de l’article 9 sur la GPEC (Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences), nouvelle tarte à la crème des négociations dans les entreprises depuis 2005. Cathy Kopp note que c’est une question centrale, qui doit même être « strictement séparée » de la question des licenciements. En fait, la GPEC, c’est le nouveau moyen imaginé par le patronat pour jouer la transparence, et convaincre les syndicats et donc les salariés du bien-fondé de toutes les mesures de restructurations à venir, sans contester une seconde la logique économique du système capitaliste : "voilà les règles, voilà nos prévisions de productivité et de compétitivité sur le marché, et discutons  ensemble de comment nous devons nous y adapter". Hors de tout plan de licenciement, la restructuration, la mobilité, la flexibilité, la souplesse, la polyvalence, l’adaptabilité doivent devenir la règle, pour cause de guerre économique capitaliste.
Dans la loi Borloo de 2005, la GPEC était d’une manière ou d’une autre liée aux plans de licenciements, pour reclasser le personnel dans les fameux "plans sociaux". L’accord du 11 janvier fait un pas en avant, c’est toute l’économie capitaliste qui doit être considérée comme étant en état de restructuration permanente !

En ce sens, c’est un accord pour l’avenir. Déjà, il contient un certain nombre de points du rapport Cahuc Kramarz, comme la modification de l’indemnisation chômage (mieux, mais moins longtemps), la portabilité des droits formation (enfin… quelques dizaines d’heures !). Mais on peut être certain que dans les années à venir de nouvelles attaques vont venir en s’ancrant sur ce premier acquis du patronat… Quoi d’étonnant à ce que Ségolène Royal s’en félicite ? (Oui, bon, c’est un peu facile et on n’a pas pu résister à ce « coup de pied de l’âne », mais franchement, elle n’en rate pas une, non ?)

L’attitude de la CGT

La CGT a refusé de signer l’accord, ouf ! On pouvait s’attendre au pire…
Pour une fois un bon travail d’explication, assez honnête (pas comme pour les régimes spéciaux !). Des arguments valables. Une opposition positive, peut-être est-il urgent de redorer un blason bien terni, par la liquidation de la grève de l’automne ?
Mais (car il y a toujours un mais).
Une critique plus que mesurée, y compris ultra-conciliante vis-à-vis des signataires : « La CGT salue l’importance du travail réalisé entre les organisations syndicales. Quel que soit le positionnement final des uns et des autres quant à la signature de l’accord, la CGT mettra tout en œuvre pour que cette élaboration convergente porte ses fruits dans les rendez-vous futurs. » (déclaration du 11 janvier). Syndicalisme rassemblé, quand tu nous tiens…
Une critique, des arguments, mais quelle mobilisation ? Moi, je ne sais pas, un rassemblement devant les sièges régionaux du MEDEF, tiens ? Bon, ce n’est pas d’une originalité terrible, mais ça aurait au moins été ça ? Non, seulement une négo à froid, et après on vient nous affirmer que « les salariés doivent pouvoir juger sur pièces »… Mais c’est tout vu ! A froid, on est morts, forcément, directement, c’est la loi de l’exploitation ! L’ouvrier, le travailleur, l’exploité, il n’a qu’une arme, c’est la grève, la lutte des classes, la mobilisation, le rapport de force. Le reste, c’est du bavardage de réformiste enfoncé dans son fauteuil de négociateur…

Un accord seulement « déséquilibré » ? N’est-ce pas oublier un peu rapidement l’évolution de la société capitaliste actuelle, de la mondialisation et des dégâts qu’elles provoquent sur la vie du travailleur ? Ou le fond de l’affaire n’est-il pas plutôt que la confédération CGT partage en fait la démarche de la négociation, et regrette seulement qu’il n’y ait pas eu plus de miettes en échange des concessions sur la flexibilité ? Nous sommes vraiment des mauvais esprits, mais quand on a lu, depuis des années, les positions de la Confédération sur la Sécurité Sociale Professionnelle, on est amené (légitimement) à se poser des questions. Enfin, ce n’est plus vraiment des questions qu’on se pose…

En conclusion de cet article, il faut voir plus loin que le bout de son nez et de l’écran de fumée que l’on nous présente. Cet accord arrange tout le monde : Sarkozy parce qu’il montre qu’on peut faire coucher les syndicats (comme pour les régimes spéciaux). Le MEDEF parce qu’il a obtenu un premier panier de mesures en son sens. Les syndicats collabos parce qu’ils ont obtenu quelques miettes. La CGT parce qu’elle montre une opposition à bon compte dans une négociation à froid sans aucune mobilisation.

Mais pour nous, les exploités, c’est un nouveau mauvais coup, sans réaction de classe. Il nous faudra mener le combat avec les moyens que nous avons, la lutte de classe, dans les entreprises contre l’application de cet accord, dans les syndicats contre les collabos.
C’est dans l’air du temps, c’est comme ça. Mais il y a une chose pour nous : le capitalisme est pourri de contradictions, et le sens de l’histoire est pour nous ! Qu’on se le dise !

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