Le conflit des régimes spéciaux a remis sur la table la question de la pénibilité, déjà largement abordée sur ce blog (par exemple voir l'article "Trois vues différentes sur la pénibilité").
Nous publions donc ci-dessous un article de fond, une analyse de la pénibilité dans l'exploitation capitaliste, paru dans le journal Partisan N°217 de janvier 2008.
A l’origine d’un régime spécial, que ce soit celui des travailleurs du rail, des marins ou des mineurs, il y a la pénibilité ou la dangerosité du travail. Or cette justification d’une durée d’activité inférieure pour accéder à la retraite, reconnue à des travailleurs aux conditions de travail difficiles, n’a pas été mise en avant pour tenter d’élargir le mouvement à toute la classe ouvrière. Pourquoi ?
C’est un fait, les conditions de travail se dégradent pour la très grande majorité des salariés. Les suicides de techniciens et de cadres au Technocentre de Renault à Guyancourt en sont le témoignage, comme ceux des ouvriers de Peugeot à Sochaux. Cette dégradation générale ne doit masquer qu’au sein de cette tendance persiste une grande inégalité face au travail et à sa pénibilité qui à un caractère de Classe.
Cette inégalité est évidente quand on compare les espérances de vie des différentes catégories de travailleurs. Les ouvriers vivent en moyenne de 7 à 8 ans de moins que les cadres ou les enseignants. Cette mortalité plus précoce est due à l’effort physique demandé, aux dérèglements physiologiques engendrés par le travail en équipes alternées auxquels seuls les ouvriers sont astreints, comme à l’exposition aux substances toxiques ou au bruit. En mars 2007, les travailleurs de PSA Aulnay exigeaient justement une retraite à 55 ans pour les ouvriers des chaînes.
Dénoncer la pénibilité du travail ouvrier, c’est mettre en question travail aliéné, celui sur lequel l’ouvrier n’a aucune prise. C’est mettre en question des activités qui le réduisent à n’être qu’une force productrice de profit. L’ouvrier s’appauvrit dans ce travail en capacités intellectuelles, en capacité maîtriser de sa vie. A l’opposé, les cadres, qui sont les forces intellectuelles de la production au service du capital, s’enrichissent par l’exercice de leur travail en capacité à diriger, quel que soit le stress que cette activité leur impose.
Combien d’ouvriers décèdent juste à la prise de leur retraite non seulement par suite des dégâts causés à leur santé par l’exploitation, mais aussi parce qu’ils ne se sentent “ plus rien ” arrivés à la retraite, vidés qu’ils ont été par le capital de toute capacité à diriger leur propre existence !
La concurrence effrénée, la guerre économique que se livrent les groupes impérialistes, pousse sans cesse les entreprises à plus de performance pour les hommes ou les femmes qu’elles exploitent. Il n’y a guère de possibilité de retour en arrière. Que ce soit par la délocalisation vers des pays où les travailleurs ne sont pas suffisamment organisés ou ici en jouant sur l’individualisation, le processus de dégradation des conditions de travail va se poursuivre. Il n’y a donc pas de place pour la réforme. Il y a seulement place pour un aménagement par la bourgeoisie.
Cet aménagement peut prendre des formes diverses. La plus ancienne est d’offrir aux travailleurs usés, qui ne peuvent plus tenir un poste pénible, des postes dit aménagés. Ainsi à Renault Billancourt, les travailleurs des forges et des fonderies les plus démolis finissaient gardiens. Alors, ces derniers mourraient, “ statistiquement ” plus tôt que les forgerons, ce qui permettait à la direction de prendre argument de cela pour minimiser la dangerosité du travail des forgerons ou des fondeurs. La guerre économique a fait disparaître ces postes “ allégés ” dans la plupart des usines. Il faudra donc organiser autrement ces reclassements vers des postes “ allégés ”. La “Sécurisation des parcours professionnels ” facilitera sur une vaste échelle la reconversion d’ouvriers usés vers des postes moins exposés à la concurrence internationale : nettoyage, services … Sans rien résoudre au fond.
La pénibilité et des conditions aliénantes du travail ouvrier conduit à poser la question de son abolition. Seule la transition vers le communisme peut la résoudre, d’abord en réduisant fortement ce temps de travail pour ces travaux, et en éliminant progressivement la division sociale du travail entre travail d’exécution et de direction. Eliminer le travail salarié, c’est rendre les travailleurs maîtres et dirigeants de la production, de son organisation, comme de la répartition du fruit de celle-ci. La condition de cela est évidemment qu’ils conquièrent le pouvoir politique.
Poser ce problème divise en quelque sorte les salariés puisqu’elle pose qu’ils n’appartiennent pas aux mêmes classes. Un des arguments avancés pour ne pas aborder cette question est le fait que la bourgeoisie va s’en emparer pour diviser. Il est un fait que la bourgeoisie va proposer, comme compromis, la prise en compte au cas par cas de la pénibilité en fonction des caractéristiques de chaque poste de travail. La chose n’est pas nouvelle.
Dans les années 50, les entreprises avaient introduit la “ cotation des postes ” pour justifier que dans un même atelier ou sur une même ligne de fabrication les ouvriers ne soient pas payés au même salaire. Elle justifiait cette inégalité par l’analyse “ scientifique ” des qualités requises par les différents postes. Contre cette division, la réponse ouvrière a été “ à travail égal, salaire égal ”. Cette égalité de travail était bien plus une affirmation d’une même situation de classe (tous ouvriers) que la reconnaissance d’une égalité effective de travail.
Sur cette question de la pénibilité et de l’âge du départ à la retraite, nous devons nous positionner de même : “ A travail égal, même condition de départ à la retraite ”, mais égal au sens de “ Tous ouvriers ”.
Il y a donc deux lignes sur la question de la pénibilité. Celle de la bourgeoise qui est d’individualiser et de traiter au cas par cas la question de la pénibilité (ligne sur laquelle sont aussi les directions confédérales) et celle de classe qui est d’exiger pour tous les ouvriers, indépendamment des spécificités particulières, les mêmes conditions de départ à la retraite.
Agir “ tous ensemble ” est une nécessité. Il faut pour cela que les luttes “ convergent ”. La convergence revient dans tous les débats. Mais sur quoi converger en terme de contenu et de plate-forme ? De fait, bien que fort inconsciemment, tous les arguments de convergence “ oublient ” la classe ouvrière. Elle est passée au compte des pertes et profits en tant que “ perte ”. La convergence se fait donc principalement sur la défense “ du service public ”. Beaucoup de ceux qui déplorent l’absence de la classe ouvrière dans les mobilisations récentes ne voient pas que, sur une telle orientation, il y a peu de chance de rallier la classe ouvrière, au-delà de l’opposition générale à Sarkozy.
Il ne suffira pas d’une plate-forme et d’un mot d’ordre pour reconstruire les conditions d’une reprise d’initiative ouvrière. Cela est évident. Mais, il faut au moins que les objectifs de convergence se fassent sur les intérêts de la classe ouvrière. Le succès de la mobilisation ouvrière du 13 octobre, sur l’amiante et des conditions de travail, témoigne d’une conscience et d’une volonté de lutte qui se développent. Le syndicat CGT de PSA Mulhouse a organisé un séminaire au quel ont participé des syndicalistes de classe de l’automobile. La question du travail de sa pénibilité devient une question politique explosive.
Dans notre propagande nous devons aller au-delà de la critique de l’exploitation en tant que répartition de la richesse crée par le travail ouvrier, pour poser celle des conditions dans lesquelles elle est crée. La critique du travail mène à la remise en cause des fondements même de cette société capitaliste.
Aujourd’hui, la meilleure façon de faire face au stress et à la dégradation des conditions de travail, c’est la lutte collective comme le rappelle le syndicat CGT de Sochaux. Mais au-delà de cela, dans cette société, la seule façon de ne pas être seulement une force à produire du profit est de s’organiser politiquement pour aller vers une autre société. C’est comme cela que les travailleurs, les ouvriers, peuvent reconquérir leur liberté face à l’abêtissement du travail exploité.