Dossiers

14 février 2008 4 14 /02 /février /2008 16:24
Jeudi 14 février 2008
Meeting à Saint-Denis : les travailleurs sans-papiers et les syndicats


Un succès appuyé sur un long travail préalable

undefined Dimanche 10 février avait lieu à la Bourse du Travail de Saint-Denis une rencontre de lancement de la campagne « Sans-papiers et travailleurs », à l’appel de l’UL CGT de Massy, de la CNT, de la FSU, de Solidaire 93 et de Sud-Travail, du GISTI, du collectif des sans papiers du 19ème, des délégués CGT de Buffalo Grill et Paris Store, et du Collectif Uni contre l’immigration jetable, en gros les initiateurs du 4 pages de défense des droits des sans-papiers diffusé depuis début janvier.
Cela a été un gros succès, plus de 500 personnes se pressaient dans un grand amphi bondé de monde, aux ¾ sans-papiers ou d’origine étrangère. Une claque, une claque positive comme l’a écrit une participante :

« On a enfin posé la question de la syndicalisation des travailleurs immigrés, sans papiers ou non.
On a enfin posé la question de la division de la classe ouvrière et du chauvinisme.
On a enfin entendu le mot internationalisme et non humanisme, le mot lutte de classe et pas parrainage.
On a enfin critiqué ouvertement le colonialisme et les conséquences a la fois pour la classe ouvrière des pays colonisés (surexploitation, pillage des richesses...) et la classe ouvrière en France (division, racisme etc...).
On a enfin opposé à la régularisation au cas par cas, parfois même au mérite, une régularisation collective qui passe par la lutte des travailleurs et travailleuses sans papiers au sein de leurs boites, dans leurs quartiers, dans les écoles. »


Le réunion a mis l’accent sur la syndicalisation des travailleurs sans papiers dans les organisations syndicales en lui donnant un contenu de classe, en insistant sur le fait que l’immigration était une composante essentielle de la classe ouvrière de France. De ce point de vue les organisations syndicales doivent défendre les droits et les conditions de travail de tous les travailleurs, sans papiers ou pas.

Constat a été fait que la question des travailleurs sans papiers n’a pas été traitée par le mouvement de solidarité aux sans papiers et que la réponse à ce problème était du ressort des syndicats. L’exemple de RESF a été souvent évoqué, comme devant être reprise au niveau des organisations syndicales qui doivent lutter pour leur régularisation au motif qu’ils sont des travailleurs, et que le droit au travail est le point de départ de tous les autres droits. Avec la même ambiguité que pour RESF sur la régularisation collective ou au cas par cas...

Insistance aussi pour dire que la syndicalisation, ce n’est la régularisation, mais la condition pour ne plus être isolé face au patron, et engager des luttes collectives pour l’obtenir et pour imposer le respect des droits que tout travailleur doit avoir (salaire, durée du travail, conditions de travail). Les délégués sans-papiers ont beaucoup insisté sur le fait qu’il fallait sortir des foyers, pour sortir de l’isolement et du repli. D’autre part une fois la régularisation obtenue, il faut créer des liens durables avec le syndicat.
Les luttes de travailleurs sans-papiers se développent (aujourd’hui au restaurant « La Grande Armée » sur les Champs Elysées), à côté des actions de RESF et des révoltes dans les camps de rétention. undefinedC’est le signe d’une mobilisation, fondé à la fois sur l’espoir des régularisations gagnées ailleurs et une situation de dos au mur face aux rafles et aux pressions du gouvernement Sarkozy/Fillon/Hortefeux. D’où l’importance pour les syndicats de classe de prendre à bras le corps cette question de l’unité de la classe partout où ils interviennent. Et qu’on ne nous dise pas qu’on ne les rencontre pas ! Dans toutes les grandes entreprises, allez trouver le personnel de nettoyage, de gardiennage, de restauration… et on aura des surprises !

Des débats riches, mais inachevés.

Premier point de débat : la circulaire du 7 janvier, point d’appui ou pas ?

La circulaire du 20 décembre est caractérisée par beaucoup comme raciste (150 métiers fermés au africains et asiatiques et ouverts aux européens de l’Est et 30 ouverts aux autres mais à bac + 5). La deuxième circulaire du 7 janvier a le même contenu, plus 5 lignes qui évoquent à titre dérogatoire et exceptionnel, la régularisation que le préfet pourra accorder sur la base d’une promesse d’embauche du patron.

Ces 5 lignes ont été analysées par R Chauveau (UL CGT Massy) comme l’expression des contradictions de la bourgeoisie, du fait qu’elle ne peut pas se passer du travail des sans-papiers (un recul en quelque sorte). L’objectif serait alors de s’immiscer dans cette petite brèche pour obtenir que l’exception devienne la règle. De fait, en cohérence avec cette analyse l’UL de Massy et Droit Devant ont été reçus par la CGPME, « parce qu’ils sont incontournables » dans la perspective du développement des actions en s’appuyant sur les 5 lignes de la circulaire du 7 janvier (« car les patrons sont dans la merde »).

Les seules critiques faites à cette « orientation » ont été éparses, quelques intervenants de la salle expliquant que cette circulaire de 7 janvier était un piège (CIMADE), et que donc il fallait agir collectivement. Il n’y pas eu de critique systématique de cette politique au rabais qui semble ne pas avoir été comprise (entendue), car cette orientation s’est exprimée dans les réponses aux interventions de la salle et pas dans les introductions. Alors que si on relit correctement la circulaire (voir le lien sur le site du GISTI), il apparaît que ces éventuelles dérogations sont extrêmement encadrées…

Deuxième point de débat : régularisation « de ceux qui travaillent » ou de tous ?

undefined Pour le représentant du collectif du 19ème, il s’agit de régulariser tous les sans-papiers, quels qu’ils soient et pas seulement ceux qui ont un travail, car tous en cherchent. Argument un peu repris dans la salle, mais pas systématiquement. Cet aspect est par exemple absent du 4 pages. Et la tribune s’en est sortie par une pirouette en disant que les syndicats pouvaient syndiquer des chômeurs...
Il faut mettre cette hésitation en rapport avec l’orientation de la campagne qui est de jouer sur les contradictions des employeurs qui ont besoin de leurs ouvriers : cela laisse en suspens la question de la régularisation de ceux qui n’ont pas encore de travail. Et plus largement, la question de la libre circulation.

Troisième point  de débat : les orientations confédérales  :

L’idée que les travailleurs sans-papiers doivent se syndiquer semble être bien passée dans la salle. Le problème est que la question de l’orientation des confédérations syndicales n’a pas été abordée de front. R. Chauveau n’a jamais évoqué les contradictions pouvant exister dans la confédération sur cette question. Pourtant, en dehors de l’UL CGT Massy, il n’y avait pas d’autre structure syndicale CGT représentée (la CGT 93 était absente, et n’avait même pas popularisé l’initiative dans le département !). Pas de table de la CGT (pas même de l’UL Massy) si bien que les sans-papiers qui voulaient en savoir plus se sont précipités sur la table de la CNT.

L’attitude réelle des syndicats quant à leur volonté d’organiser les immigrés et particulièrement les sans-papiers n’a été abordée que par les intervenants de la salle, si bien que les illusions peuvent exister sur l'attitude véritable des confédérations. Les mises en garde ou les réserves sont venues de la salle. Notamment un camarade turc qui avait eu du mal à se syndiquer à la CGT et qui a développé une vive critique politique, a dénoncé la bureaucratisation des syndicats, leur chauvinisme, en affirmant que tant que les syndicats ne syndiqueront pas les travailleurs immigrés, il n’y aura pas de syndicat de masse et de classe en France. C’est ce qui est par ailleurs développé dans un article du bulletin N° 2 du Forum pour un syndicalisme de classe et de masse.

Les militants CGT démissionnaires du Collectif confédéral immigration étaient à l’entrée de la salle, et ont diffusé leur lettre de démission, sans pour autant intervenir. De fait, il semble y avoir chez certains de ces camarades l’illusion qu’il s’agit d’un malentendu à l’intérieur de la Confédération, qu’il suffira d’une réunion de conciliation avec le bureau fédéral pour corriger le problème, après intervention dans la Conf’ : « Notre espoir est que la direction confédérale ne soit pas forcément en  accord avec Francine Blanche (responsable du dossier) et que tous nos courriers fassent  suffisamment pression pour que nous revenions à nos valeurs et nos  décisions de congrès, notamment, la régularisation de tous les  sans-papiers ». D’où l’attente des réunions du Bureau Confédéral ou de la CEC, en faisant circuler à en milieu restreint à l’intérieur de la confédération une pétition de soutien. Attentes pour l'instant sans lendemains...

Or, il faut comprendre cette attitude de la Confédération ne tombe pas du ciel. On a retrouvé la même à Lyon ou à Toulouse, et probablement souvent ailleurs.
C’est le reflet d’une attitude de fond, reflet de la position actuelle de la Confédération, et il faut élargir le point de vue. Cette position, c’est de faire le constat de la légitimité de l’élection de Sarkozy, de la nécessité donc d’en tenir compte dans les positions syndicales, de rabaisser le niveau de la lutte et des revendications à ce constat pour tenter de gratter quelques miettes dans ce contexte. Et donc de valoriser ce qui apparaît comme de petites brèches, alors qu’il ne s’agit que de bricoles lâchées par le patronat pour gagner le calme syndical. Responsable, réaliste, raisonnable, limiter les dégâts. Surtout ne pas être offensifs, pour ne pas perdre sa situation d'interlocuteur responsable...
  • C’est l’attitude qu’on a vue lors du conflit des régimes spéciaux.
  • C’est l’attitude qu’on a vue lors de la négociation de l’accord sur le marché du travail, où même si la CGT n’a pas signé, elle s’est gardée d’une quelconque opposition pour féliciter les autres syndicats, jusqu’au MEDEF qui a loué le caractère constructif de notre confédération.
  • C’est une attitude que l’on peut voir ailleurs dans les structures. Il y a quelques mois, un courrier transmis par des militants de Air France avait provoqué une polémique violente sur ce blog. Il est vrai que le titre était excessif (« Sarkozysme à la CGT Air France ? ») mais sur le fond, ce qui était rapporté par les camarades relevait de la même dérive.
  • C’est l’attitude que l’on voit dans toutes les « négociations » et « grenelle » qui se succèdent sans la moindre activité réelle appuyée sur les revendications des travailleurs.

Un manque de perspectives concrètes


Les sans papiers avaient envie de parler, et ceux qui intervenaient étaient très majoritairement dans un attitude militante, pas du tout là pour demander une aide individuelle. Mais la longueur des interventions de la tribune (souvent très techniques sur le droit et le rôle de syndicats) a réduit la possibilité d’interventions de la salle. Il y a eu pour cela une altercation entre un militant de l’APEIS (qui n’a pas pu intervenir à propos de Khadija) et la tribune. Par ailleurs, R Chauveau n’a pas toujours répondu concrètement aux questions et a souvent adopté un style incantatoire.

La réunion n’a donc pas débouché sur des perspectives concrètes de mise en place de la campagne (pas d’autre rendez-vous). La mise en œuvre se fera par chaque organisation signataire du 4 pages. Il y a donc un risque que les désillusions et les portes fermées par les syndicats renforcent la méfiance des sans-papiers et soit contre productive. Seule la CNT a paru conséquente dans cette réunion en ayant une position et des propositions en fin de réunion.

Encore du grain à moudre pour les syndicalistes de classe !
undefined

Partager cet article