Jeudi 5 décembre 2013
Université Populaire à Toulouse : la souffrance au travail
Jeudi 21 novembre, l’Université Populaire de Toulouse organisait une réunion publique sur « Capitalisme, souffrance et harcèlement au travail », qu’on peut d’ailleurs maintenant
réécouter sur le site de l’Université ( ICI).
Quatre animateurs à la tribune : Elisabeth Dès, auteure d’un livre « Le harcèlement au travail, mémoire d’un combat », Vincent Duse, militant CGT à PSA Mulhouse, Jacques Giron militant
syndical à l’hôpital de Toulouse et Emmanuel Barot, militant de SUD-Education et enseignant chercheur à l’université.
Une centaine de personnes dans la salle, beaucoup de syndicalistes de l’hôpital (CGT et SUD surtout), plus de nombreux anonymes venus parce que directement concernés. Deux heures et quart de discussion, et comme lors de l’atelier « Souffrance au travail » tenu dans le Forum « Des résistances à la révolution » (« la souffrance au travail, c’est pas une vie »), c’était bien court pour traiter un sujet aussi sensible.
Le « lean management » à l’hôpital de Toulouse
« lean », ça veut dire « maigre » – par opposition à « gras ». Le « lean management », c’est celui qui dégraisse. Donc, depuis Sarkozy, suivi par Hollande, on dégraisse, sous la pression d’un budget toujours plus « léger »…
A chaque déménagement, dans chaque nouveau bâtiment, c’est cinq ou six personnes de moins pour le même service ! On s‘attend on pire avec l’ouverture du nouveau bâtiment Pierre-Paul Riquet en mars prochain.
Ce qui trinque ? Le temps passé avec les malades, juste pour la chaleur humaine. Toujours plus de dossiers, toujours plus de
paperasses informatique, toujours moins de temps près du lit, la journée chronométrée d’une chambre à l’autre.
Souffrance pour le malade, qui est déshumanisé, juste un « objet » médical. Mais souffrance aussi pour l’aide-soignant,
l’infirmière, le médecin qui n’ont même plus une seconde pour s’occuper vraiment des gens…
Courte intervention de J. Giron qui présente le « lean management » à l’hôpital, et présente le livre de E. Dès qui a l’intérêt de montrer, à partir de témoignages comment organiser la lutte contre cette nouvelle stratégie de management capitaliste, la gestion par le stress pour gagner en productivité. V. Duse rapportait ensuite l’expérience de PSA (5 suicides depuis 2007 du fait du Toyotisme, plus de 25% des salariés sont sous antidépresseurs dans l’entreprise…).
Le débat est parti très vite dans la salle avec le témoignage, carrément poignant, d’une veuve d’un ingénieur de Thalès qui s’est suicidé pour ne pas aller à son "entretien annuel d’évaluation".
Ces entretiens, d’abord réservés aux cadres se sont ensuite élargis à la maîtrise, aux techniciens et même au niveau ouvrier avec pour seul objectif de mettre sous pression les salariés en les rendant responsables de leurs objectifs professionnels, de leurs insuffisances et erreurs. C’est une pression psychologique féroce à laquelle il est difficile de rester indifférent si on n’est pas très solide et très clair sur « Intérêts capitalistes et intérêts des travailleurs, tout les oppose, pas de compromis ! ». Cette femme a porté son témoignage, qui n’est pas celui d’une militante, seulement d’une femme qui a perdu son compagnon… Elle a également parlé de l’association qu’elle a créée depuis 2008, ASD pro, pour venir en aide aux victimes.
C’était tout saut une conférence soporifique, une vraie nécessité de parler, beaucoup d’émotion dans chaque intervention, un vrai échange. Les interventions se sont succédées, plus en mode « demande », ou « comment je fais ? », comprendre ce qu’est le harcèlement, le « burn out », y compris quand le syndicat reste indifférent… Une très bonne intervention d’une camarade de La Poste qui explique comment l’entreprise est en restructuration permanente, 80 000 emplois supprimés sur 300 000 quand même, c’est ça aussi la souffrance au travail, la précarité et les CDD, et que le seul moment où on ne souffre pas, c’est quand on lutte et que justement on n’est pas soumis !!! En particulier pour les embauches et la réduction du temps de travail…
C'est quoi le "comportementalisme" ?
Le stress et le harcèlement ont commencé à faire de gros dégâts, et le plus important c’est que ça se voit puisque ça touche les cadres… D’où la réponse des patrons : non pas diminuer le stress et les gains de productivité, mais tenter de justifier la pression et de la « mettre sous contrôle », en faisant croire qu’on peut la gérer en toute tranquillité en « améliorant les comportements » de chacun(e) dans l’entreprise. Etre moins agressif, dire bonjour, être aimable et franc, ouvert et joyeux, discuter tranquillement etc. Bref, faire croire que tout est affaire individuelle de bon ou de mauvais comportement.
Une nouvelle fois, on renvoie sur l’individu les conséquences de choix économiques et sociaux capitalistes. On culpabilise les absents pour maladie (affichage sur tableau) pour empêcher les autres de prendre leurs congés, on met des boîtes à idées, on envahit les formations à tous les niveaux, on développe constamment la concurrence entre travailleurs, on multiplie les entretiens individuels, les évaluations de compétence sur tous les sujets… Bref, il faut qu’on « rentre dans le moule », et sous pression pas d’autre formule, on ne nous laisse pas le choix…
On « oublie » ainsi la hiérarchie (la dictature d’entreprise, pas d’autre mot), le fait que le capitalisme est centralisé et
pyramidal, s’appuie sur un contexte et des règles du jeu qui ne sont pas les nôtres : la guerre économique mondialisée, le profit, la concurrence etc.
C’est un enjeu actuel pour les syndicalistes de classe de pouvoir se démarquer sur le sujet. Aucune compromission n’est
possible, c’est feu contre le comportementalisme ! Dommage que la conférence n’ait pu aborder ce sujet que trop rapidement… le temps était trop court !
Les interventions ont souligné que le mouvement syndical s’est pour l’instant peu préoccupé de la question (juste récemment, Solidaires a mis en place une formation), que les CHSCT qui devraient être les instruments principaux de la résistance sont en fait englués dans les volets institutionnels, quand ils ne sont pas contrôlés par des réformistes qui ne parlent que « risques psycho-sociaux » et réponses comportementalistes, exactement comme les services RH et la Médecine du Travail (voir l'encadré ci-contre)
A PSA, le camarade a expliqué le travail qu’ils font à la CGT sur le sujet, contre le toyotisme et la chasse aux temps morts, les gens qui craquent et n’osent plus parler, pour aller voir les familles des suicidés, pour contrer les manœuvres de la direction qui tente d’étouffer les affaires avec de gros chèques, par peur, disent-ils, que les suicides fassent « boule de neige »… Et ça ne les dérange pas de mettre en place en parallèle toutes les mesures liées à l’ANI, le « nouveau contrat social » comme ils disent, qui va encore tout aggraver.
L’occasion de clarifier que le stress et le harcèlement on commence à en parler un peu largement parce que ça touche les cadres aujourd’hui, c’est vrai, mais la souffrance au travail pour les ouvriers c’est depuis l’origine du capitalisme. Le toyotisme et le lean management, c’est depuis les années 80 dans l’automobile, les années 2000 dans la santé (Plan Hopital 2007, puis 2012 dans le cadre de la RGPP…), ça arrive tout juste dans l’aéronautique… De clarifier aussi que tout le monde n’est pas logé à la même enseigne, et que les cadres, de par leur fonction d’encadrement justement, participent et organisent quelque part la souffrance des gens du dessous…
A l’hôpital, un autre camarade expliquait comment les restructurations amenaient des mobilisations à l’intérieur, des manifestations sur des mots d’ordre « Trop de boulot à l’intérieur, trop de chômeurs à l’extérieur, embauchez ! »
Un bon débat, important, qui touche les travailleurs, tout le monde se sent directement concerné.
Cette conférence était une très bonne initiative, il faut en faire d’autres, partout ! D’autant que rares sont les endroits où cela est abordé, rares sont les militants qui comprennent que c’est un des enjeux essentiels des restructurations capitalistes aujourd’hui, et que cela touche au cœur du monde de barbares dans lequel nous (sur)vivons.
Il est très important que tout cela sorte, qu’on élabore des tactiques de résistance, qu’on forme des syndicalistes, qu’on organise le combat – et c’était vraiment l’aspect positif de l’Université Populaire.
Mais il faut aussi comprendre que le combat cela aide, bien sûr, que c’est le socle de la résistance, mais que derrière, c’est vraiment directement et profondément à l’exploitation capitaliste que nous touchons. Le harcèlement et le stress, le lean management et le toyotisme, c’est la recherche de gains de productivité par ce biais, c’est une gestion du management par le stress, quels que soient les dégâts sur la santé physique ou mentale des travailleurs, dont les bourgeois n’ont rien à faire.
« C’est le capitalisme qui est
pénible », écrivons-nous sur ce blog. Et si nous avons jugé nécessaire d’avoir toute une section sur ce sujet, depuis des années, c’est que nous savons que ce combat est un
vrai révélateur du monde dans lequel nous vivons, et qu’il n’y a pas de voie moyenne !
Tous les articles de ce blog sur Pénibilité et Souffrance au travail, ICI
Bravo aux camarades de Toulouse ! Multiplions partout ce genre d’initiative !
(voir ICI leur compte rendu de cette même initiative).