Samedi 1er Décembre 2012
Statu quo délétère chez Goodyear
Dans un article précédent
("Que se passe-t-il à Goodyear ?"), nous revenions sur le coup de tonnerre de
l’abandon du plan de départs volontaires (PDV) sur le point d’être signé entre la CGT et la direction.
Depuis, peu de choses ont changé, c’est le statu quo (c’est d’ailleurs le titre d’un tract du syndicat) mais dans une ambiance pourrie, tendue et désabusée. Revenons sur ces
deux derniers mois.
Les manœuvres de la direction
L’abandon surprise et au dernier moment du PDV a amorcé une nouvelle étape, extrêmement incertaine et tendue, où chacun sait
que la direction prépare quelque chose, mais sans aucune information.
A peine le plan enterré, la direction annonçait début octobre une nouvelle réduction du « ticket », c'est-à-dire des quotas de
production, bien entendu liée à la crise mondiale de l’automobile, aux évolutions du capitalisme mondialisé, quoi. D’ailleurs, dans les autres usines du groupe, des baisses similaires ont lieu,
souvent associées à du chômage partiel. Il faut savoir que l’usine tournait déjà au ralenti, et que la plupart des ouvriers ne travaillaient que la moitié du temps, le reste à glander, discuter,
jouer aux cartes… Une situation difficile à vivre pour chacun, dans l’incertitude, et c’est aggravé avec la nouvelle baisse de production (même si on ne va pas se plaindre d’être payé à ne rien
faire !)
Comme si cela ne suffisait pas, cette baisse de production est appliquée de manière différenciée, renforçant les divisions.
Certains n’ont plus rien à faire de la journée (et même quasiment interdits de travailler !), d’autres voient leur charge de travail maintenue… (voir l'article du syndicat ICI). En parallèle, la direction serre les
boulons partout : on parle de fermer la cantine, de "sécuriser" les vestiaires hors des heures d’usage, les convocations pour entretien se multiplient sous tous les prétextes. Que cherche la
direction ? A pourrir encore plus l’ambiance déjà pas tip top ? Face à ces manœuvres, la CGT avait envisagé une procédure judiciaire en harcèlement, en collectivisant les plaintes individuelles.
Pour le coup, le juridique aurait pu servir. Mais la proposition n’a pas dépassé le stade de l’effet d’annonce.
L’arrêt brutal du PDV provoquait évidemment la frustration, voire la colère des anciens qui se voyaient déjà partis avec le pactole, comme CGT et direction l’avaient annoncé fin juin.
Septembre, fini, plus rien : les boules quoi… Dans cette ambiance particulière, le mécontentement des anciens s’est exprimé par une pétition qui a regroupé une centaine de signatures (ce n’est
quand même pas rien…) demandant à tous de partir et donc de signer le PDV, sous entendu sans conditions. Précisons que cette pétition n’est pas directement à l’initiative de la direction
(et pas non plus de SUD d’ailleurs), mais qu’on peut sans difficulté imaginer qu’elle a été encouragée par elle pour ses objectifs propres. Comment comprendre qu’elle ait jugé bon de faire un
courrier de réponse nominatif à chaque signataire pour enfoncer le clou (voir le courrier ci-contre) ?
Que cherche donc vraiment la direction ? Deux mois après l’abandon du PDV, toujours rien. Avec la réduction de la production,
des ouvriers sont payés à ne rien faire. Mais il n’y a même pas de chômage partiel… Tiens donc ? Comment ne pas faire le lien avec le fait que l’APLD interdit tout plan social pendant un certain
temps ? Il y aurait donc peut-être un nouveau futur PSE à venir, dans la mesure où contrairement à ce que claironne la CGT rien n’est verrouillé au plan juridique, d’ailleurs ça se saurait si un
procès pouvait en empêcher une restructuration ! Au contraire, la jurisprudence récente de la Cour de Cassation (lire « Licenciements économiques : les enjeux d’un arrêt
de la Cour de Cassation ») permet désormais aux entreprises de faire un PSE sans avoir à se justifier au plan économique. La seule obligation dans ce cadre pour l’employeur est à ce moment
celle de propositions sérieuses (?!) de reclassement et de contreparties, on peut alors tout imaginer… Part exemple un futur plan social « groupe », lié à l’autre usine voisine de Dunlop quand
les échéances de l’APLD seront passées sur cette usine ?
Contrairement à ce qu’a toujours dit la CGT, la direction de Goodyear a peut être fait des erreurs, mais elle a manœuvré
habilement, en manipulant tout le monde, la CGT, SUD, les anciens… La direction locale n’y connaît peut-être rien, mais à Nanterre ou aux Etats-Unis, il y a évidemment un projet sur le feu, et il
est plus que temps de préparer la riposte, en refusant déjà ces manœuvres délétères de division et opposition…
L’impasse de la CGT et l'AG du 22 octobre
Après l’abandon surprise du PDV, la CGT a convoqué une assemblée générale le lundi 22 octobre, à l’extérieur de l’usine, à
laquelle ont participé entre 180 et 200 personnes. Une participation certes pas massive, mais quand même significative.
La première chose notable des interventions, c’est le refus de rentrer dans les projets de la direction, la fermeture du
tourisme et les licenciements. La CGT refuse de signer le PDV assorti d’un PSE, refuse de ne regarder que par le petit bout de la lorgnette et de valider les départs des anciens sans garantie
pour ceux qui restent, et c’est à son honneur. Lors de l’assemblée, Mickaël Wamen insistera à plusieurs reprises sur le fait que la CGT a été élue avec 87% des voix pour la défense de l’emploi,
et pas pour sa liquidation. Et qu’on ne peut pas accepter de liquider la majorité pour le seul profit d’une minorité (les anciens), aussi légitimes soient leurs aspirations à partir. En ce sens,
on ne peut qu’approuver la position de la CGT qui est de refuser de mettre le PDV au vote, ce serait une liquidation pure et simple de la défense de l’emploi… D’autres syndicalistes pourraient
s’inspirer de cette position par exemple à PSA.
Le problème, c’est que la CGT elle-même a contribué à créer le climat pourri d’aujourd’hui, en annonçant au mois de juin
sur le mode de la victoire que c’était, fait, gagné et qu’il n’y aurait aucun licenciement.
La deuxième chose c’est qu’implicitement la CGT admet que c’est l’échec de la ligne juridique, et qu’il faut revenir à la lutte
au social. Cela reviendra plusieurs fois dans l’AG.
Retour à la lutte ? Mais l’ambiance a bien dégringolé, on n’est plus en 2009/2010, on a semé des illusions et démobilisé. Rappel
: la CGT annonçait en juin dernier qu’on était à quelques millimètres d’un accord en juin dernier (« Goodyear : prudence et attention aux effets d’annonce »).
Aujourd’hui c’est bien plus difficile, les manœuvres de la direction ont bien marché. On rêve sur la force passée, mais elle est perdue, il est frappant de voir que lorsque la CGT parle du
mondial de l’automobile, c’est toujours de 2010 et de la mobilisation déterminée, rarement de l’échec de 2012.
Ce qui est frappant, c’est l’incompréhension des militants de la CGT du monde dans lequel on vit. On parle bien du capitalisme,
mais comme d’une sorte de scène où se joue une partie de lutte, de rapports de force où c’est le meilleur, le plus fort, le plus habile, le plus malin qui gagne, comme dans une partie
d’échecs. Le monde extérieur est absent. La crise du capitalisme n’existe pas, ce qui se passe dans l’automobile en ce moment, le Monopoly mondial et les restructurations massives dans le secteur
? Inconnu au bataillon…
La CGT locale est dans une impasse. Lors de l’AG du 22 octobre, elle annonce des réunions à la cantine, mais elles n’ont
pas lieu, car « la CGT n’a pas de nouvelles à annoncer »… Mais n’y aurait-il pas opportunité de faire ces réunions pour relancer la mobilisation, pour déterminer, ensemble, comment reprendre la
lutte sociale et organiser le combat contre cette direction cynique et déterminée ? Mais en fait, prisonnière de la voie juridique dans laquelle elle s’est engouffrée, elle est désormais dans
l’incapacité de construire une plateforme de lutte solide pour l’emploi, et navigue à vue. Dans son dernier tract, elle en arrive à revendiquer un « vrai » PDV (on aimerait bien savoir ce que c’est…) et ne demande plus des garanties d’emploi que pour le Farm. Le
Tourisme, il est passé où ? Que vont devenir les ouvriers du tourisme qui ne partiront pas ?
La CGT tente de rassurer par des communiqués de triomphe, clame qu’elle a la situation bien en mains, qu’elle maîtrise tout,
mais la vérité c’est qu’elle est coincée, entre une incompréhension totale de la situation, le contexte des restructurations capitalistes dans la guerre économique mondialisée et les manœuvres de
la direction qui l’ont piégée à son propre jeu. Et cela alors que la direction prépare un nouveau coup de boutoir !
Il faut commencer par regarder les choses bien en face. Quelque part accepter de faire une autocritique, reconnaître qu’on s’est
fait rouler dans la farine, et que la voie juridique ne peut qu’être un appoint, jamais le cœur de la lutte.
Malheureusement, la CGT n’en prend pas le chemin, tente de s’adapter, mais sans admettre ses erreurs. Comment interpréter
autrement la fermeture de l’ancien site Internet, et le redépart à zéro avec un nouveau site sans aucune archive ??? (Voici d’ailleurs l’adresse de ce nouveau site : http://blog.cgt-goodyear-nord.com). La CGT imagine-t-elle qu'elle peut simplement effacer ses erreurs passées ? Ce n’est pas comme cela
qu’on avancera, cela trompe peut-être les lecteurs extérieurs, cela ne trompe pas les ouvriers de Goodyear.
Aujourd’hui, c’est le statu quo et l’impasse.
La CGT parle d’hypothétiques reprises de discussions, mais la question principale qui se pose aujourd’hui aux ouvriers les plus
lucides, c’est : « Quels sont les projets (sombres) de la direction dans le futur proche, et comment se préparer à y répondre ? »