"On va où ?" C'est la question partout dans le mouvement de grève. C'était déjà le titre d'un article du blog en novembre, et bien rien n'a vraiment changé...
Pour illustrer les problèmes actuels, nous faisons le point ci-dessous après enquête et discussion avec des délégués de plusieurs piquets.
En annexe à cet article, nous publions dans deux autres articles, des réactions extérieures : un compte rendu d'une militante de RESF sur la réunion du 27 janvier. Et un compte rendu interne de la commission immigration du NPA.
sur la lutte des sans-papiers
ICI
Il est temps de s'en rendre compte...
A écouter les responsables de la CGT qui dirigent le mouvement, et le communiqué du 27 janvier des 11 organisations (sauvegardé ICI en version imprimable) qui s’alignent honteusement il faut :
- consolider le mouvement et l’élargir, peu de sans papiers ayant repris le travail. Aucun gréviste n’ayant été régularisé à ce jour ;
- exiger des employeurs l’établissement des Cerfa(s) ;
- développer le soutien financier ;
- ne pas déposer de dossiers avant d’avoir obtenu une nouvelle circulaire.
Selon la CGT, ce sont les délégués qui décident de la conduite du mouvement et la stratégie du gouvernement va se retourner contre lui. C’est répété et répété dans la déclaration.
Malheureusement, tout ceci est largement du baratin.
Non, ce n’est pas vrai, le mouvement ne se renforce pas. Cela ne tient pas à l’absence de détermination des grévistes, mais à la direction donnée au mouvement par la CGT. Elle fait tout pour masquer l’impasse à laquelle ses positions ont conduit le mouvement. Les grévistes (pas les soutiens – les grévistes !) sont de plus en plus nombreux à nous dire (oui, à nous !) ne pas savoir « où on va » et bien des soutiens les plus carpettes envers la CGT commencent à l'admettre. Cela est manifeste dans les réunions de délégués, mais aussi dans la réunion des soutiens (voir compte rendu de la réunion du 25 janvier) qui disent souffrir d’un défaut d’information de la CGT.
Quant au nombre de 6000 grévistes, c’est uniquement le nombre de cartes de grévistes placées. Il ne correspond plus du tout à la réalité de la mobilisation et du mouvement.
L’attitude des responsables CGT traduit bien cette impasse qu’ils refusent d’avouer :
1) Au début du mouvement Chauveau expliquait aux grévistes sans-papiers, pour les détourner des collectifs de sans-papiers, que les manifestations (celles de la CSP 75 par exemple) ne servaient à rien et ne créaient aucun rapport de force. Il fallait seulement occuper les entreprises. Aujourd’hui alors que tous les piquets sont évacués, pratiquement sans aucune objection ni résistance, mobilisée ou juridique, la CGT fait manifestations sur manifestations.
2) L’appel à constituer de nouveau piquets n’est pas crédible pour les grévistes, car tous ceux mis en place dernièrement ont été évacués immédiatement. On peut s'attendre à ce qu'il en soit ainsi très vite avec le nouveau piquet du nettoyage ouvert hier à la société ESSI. En faire en province serait utile, mais cela suppose un travail des militants CGT des régions, travail qui n’est pas fait. Il y a eu à Orléans une occupation organisée par le CGT locale… avec des sans papiers… du Val de Marne.
3) Jusqu’à présent la CGT qui jouait l’unité au sommet (avec des organisations totalement absentes du mouvement comme la CFDT, l’UNSA…), s’employait à marginaliser les soutiens à la base. Elle voulait à tout prix que personne ne vienne « influencer les grévistes ». Les militants et militantes de RESF, très présent(e)s dans les soutiens locaux ressentaient ce blocage. Maintenant que la grève s’effrite, la CGT réunit les soutiens… Mais les Sans papiers sont tenus à l’écart de ces réunions. Ils n’étaient même pas informés de la réunion de lundi soir à la bourse du travail [nous l’affirmons de plusieurs sources très différentes]. La CGT pense sans doute que cela ne les concernait pas, ou plutôt que les quelques présents étaient soigneusement sélectionnés, très confidentiellement.
4) Le CGT dit que les décisions sont prises par les délégués. C’est faux. En fait, il n’y a pas de vote dans les réunions. Les délégués qui ouvrent leur gueule ne sont pas écoutés ou alors vivement critiqués comme voulant diviser le mouvement. Les décisions du professeur Chauveau sont donc toujours retenues par défaut… mais jamais au terme d’un débat et d’une délibération démocratique.
Malgré leur détermination, les grévistes ne se voient pas tenir trois mois (dixit Chauveau en aparté, de manière complètement irresponsable), pour attendre une éventuelle circulaire… à la question « pourrez vous tenir ce temps là s’il le faut ? », ils répondent non. Beaucoup n’ont plus de quoi payer leur loyer. Les sommes de la solidarité versées par la CGT aux grévistes couvrent juste leurs frais de transport et les collectes locales des piquets les frais d’alimentation. La CGT dit avoir collecté 30.000 euros. Mais ce n’est rien du tout quand on voit ce qu’a collecté le comité de soutien aux Contis (plus de 60 000 euros) sans aucun soutien officiel, ou les 100 000 euros collectés en soutien à la grève de PSA en 2007. RESF à elle seule en a apporté cette semaine 10.000…
Les travailleurs sans papiers sont mobilisés dans la collecte des Cerfas. Mais en fait, l’objectif n’est pas de déposer des dossiers, de gagner la régularisation, mais de faire pression sur le gouvernement. En fait, il s’agit de démontrer en déposant beaucoup de Cerfas sur le bureau d’un ministre que c’est l’intérêt des patrons que les travailleurs soient régularisés. D’où le lobbying fait auprès de la CGPME. Francine Blanche a défendu un patron inculpé après avoir déposé des demandes de régularisation. (il reconnaissait ainsi qu’il employait des travailleurs sans papiers ). Ce n’était sans doute pas pour elle un patron « voyou »… bien qu’il ne payait ses ouvriers que 700 euros par mois. Rien de choquant ? Voilà où mène l'intégration à l'économie capitaliste...
Le communiqué des Onze du 27 janvier, manifestement validé sur ordre de la CGT, est particulièrement agressif contre la dépose des dossiers en préfecture. Ce dépôt est dénoncé à plusieurs reprises, et de manière étonnamment virulente. C’est la marque de la contradiction qui existe dans le mouvement à ce propos, et le fait que sur plusieurs piquets les dossiers ont bien été déposés contre l’avis des dirigeants CGT, y compris par des militants CGT !. L’objectif fondamental n’est au fond pas de gagner des régularisations, c’est d’imaginer faire le plier le gouvernement, alors que le mouvement est en recul. C’est manipuler les grévistes, les utiliser comme chair à canon d’une politique illusoire. Depuis le début, la CGT ne veut pas de mouvement d’ensemble, seulement faire pression sur le gouvernement. Où sont donc les occupations en province ? Après s’être fait roulée dans la farine par Besson et sa circulaire, elle tente désespérément de sauver la face avec cette affaire de Cerfas.
La lutte glisse, encore plus nettement, de la défense des travailleurs à celle de la défense des petits patrons (ou des plus gros comme Véolia - les camarades du CGT-E Dalkia apprécieront...) et à la défense de l’économie nationale (c’était tout le sens de l’intervention de Francine Blanche jeudi à la fin de la réunion des femmes sans papiers). Et quand la CGT dit que si le conflit dure ça va se retourner contre le gouvernement, elle sous entend que les patrons ou l’industrie nationale vont en pâtir. C’est depuis toujours l’orientation de la CGT par rapport aux grévistes sans-papiers. Dès le 15 avril 2008, et bien avant.
L’initiative de lancer un mouvement de travailleurs a été positive, mais dès le début le ver était dans le fruit.
1) L’argumentation qui justifiait la régularisation par le travail par les besoins de l’économie française, qui se traduit maintenant l’orientation de la lutte principalement vers la collecte des Cerfas. Cerfas que de plus en plus de travailleurs rejettent comme un piège, car ils savent que beaucoup de travailleurs en lutte ne pourront pas les obtenir.
2) Le ver c’est l’absence de démocratie dans le mouvement, c’est la volonté très nette d’empêcher que se constitue une direction de la lutte par les travailleurs eux-mêmes. C’est l’absence d’information donnée aux travailleurs sur leur lutte elle-même.
3) Le ver c’est le refus de construire un mouvement de solidarité à la base, sur les bases progressistes et de classe (en direction d’autres travailleurs).
La direction imposée par l’appareil CGT au mouvement, montre que pour elle le syndicat, n’est pas un des outils d’émancipation des travailleurs. Il ne s’agit pas de faire de travailleurs sans papiers des acteurs politiques de leur lutte. Il s’agit simplement d’en faire des instruments au service de la l’affirmation de la CGT comme interlocuteur indispensable et raisonnable face au gouvernement.
Le lutte des sans papiers pour la régularisation de tous et de toutes ne se terminera pas avec le fiasco de la direction CGT. Par contre celui-ci montre que ce sont les sans papiers qui doivent en avoir la direction politique de bout en bout. Qu’ils doivent être maîtres de l’information. Il y des batailles à mener dans nos syndicats pour qu’il en soit ainsi.