Mardi 3 juillet 2012
Sans-papiers : la CGT veut négocier les virgules avec Valls
Valls annonce (interview ci-contre à gauche) 30 000 régularisations de Sans-papiers sur critères, la même chose que sous Sarko. La confédération CGT répond le lendemain par la demande d’ouverture de négociations sereines sur la base de la déclaration commune des 11 du 19 avril 2012, sans aucune critique des annonces de Valls la veille !
Voici donc les deux documents en question :
Cela avait commencé avant l'élection présidentielle (voir "Les sans-papiers, les élections et la CGT").
Et cela continue aujourd'hui.
Un feu roulant de lettres et de déclarations s'adressant à Hollande et son gouvernement, et notamment de la part de CGT. (Par exemple, la "lettre au premier ministre Mr Jean-Marc Ayrault" du 23 mai, remise par Bernard Thibault lors de son entrevue).
Toutes avaient en commun de rentrer dans le cas par cas. Toutes avaient en commun de faire des propositions soi-disant en faveur des migrants pour un gouvernement « vraiment de gauche ». Tous les signataires avaient en commun de prendre leurs rêves pour la réalité et de faire croire que Hollande et le PS avaient pris des engagements, alors qu'ils n’avaient pratiquement rien promis ou que ce qu’ils avaient déclaré était à double tranchant.
Proposition N°50
de François Hollande
"J’accorderai le droit de vote aux élections locales aux étrangers résidant légalement en France depuis cinq ans. Je conduirai une lutte implacable contre l’immigration illégale et les filières du travail clandestin. Je sécuriserai l’immigration légale. Les régularisations seront opérées au cas par cas sur la base de critères objectifs."
Pendant toute leur campagne, Hollande et tous les ténors du PS ont quand même bien affirmé qu'il n'y aurait pas de régularisation massive, qu'il y aurait au contraire des critères, du cas par cas et toujours des expulsions. Et si Hollande a bien écrit qu’il ne mettrait plus d’enfants en rétention, il ajoutait aussi sec qu’on trouverait un autre moyen d’expulser familles et enfants. Tout le monde pouvait comprendre que les assignations à résidence remplaceraient les mises en rétention, et que d’arrêt des expulsions, même pour les familles, il n’était nullement question !
Aujourd’hui, avec les déclarations de Manuel Valls c’est bien clair. Pas plus de 30 000 régularisations par an, comme avec
Sarkozy, et le thermomètre toujours là pour compter le nombre d’expulsions à réaliser. Tout ça justifié par la situation économique et sociale qui ne permettrait pas de régulariser, ni
d’accueillir les migrants ! Un discours que partagent donc Marine Le Pen, la droite, et le PS !
Après la plate-forme du 5 décembre 2011 (consultable ICI), la déclaration commune du 19 avril dernier (ci-dessus) officialisait déjà l’accord de la CGT et
des 11 avec cette politique de trahison des intérêts des sans-papiers et de tous les migrants. (On notera que les signataires ne sont pas exactement les mêmes qu'en 2009. Droits Devant,
Solidaires et CFDT ont disparu de la liste. MRAP, SOS Racisme, JOC et le Collectif du 31 mai l'ont intégré).
A la place de la revendication historique de régularisation de tous les sans-papiers, on y trouvait la fameuse revendication de
régularisation des travailleurs sans-papiers sur la base des critères nationaux...
Toujours les critères
C'est même le tout premier point de la déclaration du 19 avril 2012
« L'ouverture immédiate de négociations à partir des points définis par les signataires de la plate-forme et notamment
:
1. La régularisation des travailleurs-euses sans papiers sur la base des critères nationaux améliorés, simplifiés, sécurisés
par la loi et/ou la réglementation »
On a là le cœur de l'affaire. La direction de la CGT veut, à nouveau négocier des critères. Mais les critères, même améliorés,
définiront toujours deux catégories : les régularisables et les autres.
La CGT, qui a échoué avec cette orientation contre le gouvernement de droite, essaye avec le gouvernement de gauche.
On voit ce que cela a donné avec la droite : le gouvernement est resté dans le cadre de l'immigration choisie et n'a laissé
aucune ouverture pour les travailleurs illégaux.
Ceux qui avaient peu de présence, ceux qui ne pouvaient avoir de Cerfa ont été les dindons de la farce.
Tous les articles de ce blog sur la lutte des sans-papiers depuis 2008, ICI
La CGT a cru qu'en étant raisonnable, elle participait à la définition des futurs critères. Elle n'a fait qu'aider l'ancien
gouvernement à enterrer la carte Vie Privée Vie Familiale et à faire passer la plupart des Sans-papiers sous le joug du Cerfa, c'est-à-dire de l'employeur qui le délivre. Le gouvernement de
Hollande est sur le même registre de l'immigration choisie. Les mêmes causes produiront les mêmes effets.
Nous devons dénoncer les organisateurs du dumping social
« Dans leur très grande majorité, les migrants, qu'ils soient avec ou sans papiers, sont des travailleurs-euses. Ils n'ont
vocation, ni à être victimes de la déréglementation sociale, ni à en être les vecteurs. Ils ne prennent le travail de personne. Ils sont partie intégrante du salariat. »
Nous sommes d'accord avec la première et la dernière phrase. Mais l'affirmation que les « Sans-papiers » « ne prennent le
travail de personne » ne correspond pas à la réalité de l'exploitation. Louable intention de combattre les discours racistes de division. Mais c'est faux. Les Sans-papiers sont en concurrence
entre eux. En concurrence avec les titulaires d'une carte de un an, eux-mêmes en concurrence avec les titulaires de la carte de 10 ans et les Français. Les chômeurs sont en concurrence avec les
intérimaires qui sont en concurrence avec les salariés en fixe. La concurrence est un principe fondamental de la société capitaliste et, en même temps, un moyen de gouverner et d'obtenir des
coûts salariaux toujours plus bas. Alors les Sans-papiers sont bel et bien à la fois « des victimes de la déréglementation sociale » et des « vecteurs » de cette déréglementation.
On ne construira pas la solidarité avec les Sans-papiers sur des bons sentiments, mais sur la conscience que c'est l'intérêt de
tous les travailleurs que les Sans-papiers aient des papiers... Et sur la dénonciation de la complicité de tout le patronat et de tous les gouvernements avec ce dumping social.
L'histoire depuis 1996 passée à la trappe.
« Avec RESF et, dernièrement avec le mouvement de grève des travailleurs-euses sans papiers et le « groupe des 11 », ces
hommes et ces femmes, qui se sont levés pour faire valoir leurs droits, ont montré qu'ils sont totalement intégrés dans notre pays, que ce soit par leurs enfants, leurs études, ou leur travail.
»
Sur l'histoire, les signataires oublient 12 années de lutte acharnées, de manifestations, d'occupations, de grèves de la faim,
commencées avec l'occupation de l'église Saint-Ambroise.
Quant au passage sur « l'intégration » On retrouve le discours « ils servent l'économie française » etc... Le syndicat se plie
aux besoins de l'économie capitaliste et demande qu'ils continuent à faire les sales boulots mais en étant régularisés.
Pour notre part nous clamons que s'ils sont intégrés, c'est par la lutte, et ce n'est pas à « notre » pays, mais c'est une
intégration au camp des travailleurs contre les patrons et les gouvernements, de gauche comme de droite, bref contre le camp des exploiteurs.
La justification de l'orientation de 2010.
« Nous demandons :
La régularisation de tous les grévistes, qui, par leur détermination et leur engagement dans l'action, ont permis de faire
bouger les lignes dans la société et dont les dossiers n'ont pas encore été examinés ou rejetés, en totale contradiction avec les engagements pris par le gouvernement actuel. »
Il est vrai que le gouvernement n'a pas appliqué ce qu'il avait convenu, par exemple à l'égard des intérimaires. Mais il ne
s'est jamais engagé à donner un récépissé aux travailleurs au noir. La circulaire Besson, comme le texte des bonnes pratiques d'application, comme l'addendum sont sans ambiguités et nous n'avons
cessé de le répéter sur ce blog, voir "Sans-papiers : des "bonnes pratiques" pour faire cesser le mouvement". Même l'UD 75 a été contrainte d'en convenir sur cet aspect, voir "Sans-papiers : un bilan de l'UD CGT de Paris".
Le Cerfa était obligatoire. Cette « Déclaration commune » du 19 avril 2012 perpétue l'interprétation mensongère des textes qui a
pu faire dire à la direction de la CGT, à la Bastille, fin juin 2010, « On a gagné ». C'est là que les grévistes en travail non déclaré ont été abandonnés. Le mensonge continue
aujourd'hui.
« La mise en place d'un moratoire concernant les mesures d'expulsions ».
Mais pourquoi parler de « moratoire ». Pour faire raisonnable ? Auprès du gouvernement qui, on le sait, les poursuivra ? Parlons
d'arrêt. Parlons de fermeture des centres de rétention. Le Front de Gauche l'a mis dans son programme, Europe Ecologie- les Verts le réclame et c'est une constante du mouvement des Sans-papiers
depuis le début.
Faire valider cette orientation par les collectifs
Et la CGT démarche aujourd'hui les collectifs pour faire valider cette plate-forme. Si ça marche, elle aura réussi, pour le
compte de la bourgeoisie à faire abandonner par les collectifs la revendication de « Régularisation de tous les Sans-papiers ! ».
Cette revendication est pourtant la seule qui unifie toutes les situations. C'est aussi la seule qui soit juste et reconnaisse à
tout migrant le droit de quitter son pays ravagé par l'impérialisme et de rejoindre les pays où se concentrent les richesses issues du pillage du monde.
Ajoutons qu’avec la libre circulation des travailleurs, c’est autour de cette revendication là que s’est organisée la marche
européenne des sans-papiers qui arrive le 2 juillet à Strasbourg.
La déclaration du 19 avril apparaît comme à prendre ou à laisser. Nous en avons traité le cœur (les critères). Mais il y manque
aussi la dénonciation du racket. Les montants insupportables en cas de délivrance du titre de un an. La toute nouvelle taxe de 110euros pour première délivrance, somme perdue en cas de refus. Et
puis les 900 à 1500 euros payés par le patron en cas de délivrance de titre salarié, argent récupéré systématiquement auprès du salarié (voir la video de l'occupation de l'Inspection du Travail
le 15 juin 2011 ICI)
Enfin il y a le flou autour de la carte pérenne (renouvelable automatiquement). Le point 4 demande « La délivrance de plein
droit de titres de séjour pérennes aux travailleurs ainsi qu'à leurs familles sur la base des critères définis nationalement. » On retrouve les critères critiqués plus haut. Mais pourquoi ne
pas réclamer la carte de 10 ans ?
Là pour le coup, c'est nous qui sommes « raisonnables » et qui nous adossons à un dispositif existant. Le titre de séjour renouvelable de plein droit existe. C'est cette carte de 10 ans, l'une des seules réformes positive de l'ère Mitterrand qui demeure encore. Elle est le résultat de la lutte des organisations de l'immigration des années 70. Elle est en train d'être remise en cause. Les exemples de non renouvellement se sont multipliés sous Sarkozy. Dans sa 50e « proposition », Hollande disait « Je sécuriserai l'immigration légale ». A-t-il l'intention de faire un moyen terme entre le titre d'un an et celui de 10 ans ? Le risque existe d’autant plus que Valls vient d’annoncer la création de cartes de 3 ans. La CGT accompagnera-t-elle cette remise en cause ? En tout cas, elle mime le discours.
Quelle unité ?
La CGT cherche à élargir son influence aux collectifs. Nous avons quand même quelques mauvais souvenirs. D'abord le tract commun
de fin 2007 qui semblait annoncer une unification de tout le mouvement. Fausse promesse. Les membres des collectifs affluent dans les UL, mais le lancement des occupations du 15 avril 2008
s'accompagne, dans le rapport avec le gouvernement et les préfectures, du lâchage des collectifs (« Nous on est des syndicalistes. On ne s'occupe que des luttes d'entreprise »). Ce qui va
occasionner l'occupation de la bourse du travail de République par la CSP75.
Puis en 2009, le rejet et la stigmatisation de ces collectifs. « La lutte c'est la grève ». Sous-entendu, ceux qui
manifestaient, occupaient un centre des Impôts ou un trottoir, ne luttaient pas. C'étaient même des jaunes puisqu'ils ne faisaient pas grève. Puis la CGT va participer à des manifestations,
occuper les marches de la Bastille, occuper le centre national de l'histoire de l'immigration de la Porte Dorée. Toutes formes de lutte qu'elle avait récusé quelques mois avant. Enfin elle va
faire son possible pour qu'il n'y ait pas de contacts entre grévistes et collectifs, même si certains Sans-papiers, individuellement, passaient, sans le dire, d'un groupe à l'autre. C'est la sono
couvrant la déclaration des marcheurs de Paris-Nice passant par la Bastille occupée. C'est l'expulsion manu militari du Collectif de Vitry venu en renfort, le jour de l'occupation des marches de
l'Opéra.
Quant à l'union élargie que propose la CGT, est-ce qu'elle se passera différemment qu'en 2009 et 2010 ? Y aura-t-il, dans les
délégations avec les ministères, des Sans-papiers (grévistes ou de collectifs) ? Y aura-t-il une démocratie qui n'a existé ni entre les 11, ni avec les grévistes, ni au sein de la CGT ? Rien ne
l'annonce. La seule chose qu'on a, c'est une plate-forme qui réclame des critères. Et si un mouvement se construit autour, il ne pourra que déboucher sur les mêmes désillusions pour les primo
arrivants, pour les travailleurs au noir et pour ceux qui ne peuvent avoir de Cerfa.
Négocier alors que les coups pleuvent ?
La fin de sa déclaration du 28 juin est limpide : la lutte est repoussée aux calendes grecques. Pour franchir « une étape
qualitativement nouvelle », nos dirigeants syndicaux annoncent : « Il est maintenant urgent d’ouvrir des négociations, que nous voulons saines et responsables….». Des négociations sereines ?
Pendant que les brigades de la PAF partiront à la chasse aux « clandestins » sur les chantiers ? Pendant que les refus d’asile et les OQTF continueront de pleuvoir ??? Il y a un enjeu vital à ce
que nos syndicats CGT, tout comme les collectifs de sans-papiers, rejettent ensemble le rouleau compresseur mis en place par le PS en accord avec nos directions syndicales pour nous faire avaler
la couleuvre du changement dans la continuité.