Jeudi 24 mai 2012
La CGT en roue libre...
Depuis les élections on a l'impression que la CGT (la confédération, du moins !) est aux abonnés absents.
Thibault absent de la première rencontre avec le nouveau gouvernement, aucune déclaration d'importance, aucune initiative, aucun dossier en chantier.On a vraiment l'impression qu'il est urgent d'attendre, de laisser leur chance à Hollande and C°, de ne pas leur mettre la pression.
Dans l'Usine Nouvelle, Mohammed Oussedik se gargarise de la création du Ministère de l'Industrie, bien silencieux sur les plans sociaux passés et à venir, qu'il s'agisse des Fralib qui sont en lutte depuis 600 jours pour la défense de l'emploi, de PSA Aulnay qui lutte contre la fermeture et peut-être maintenant PSA Saint-Ouen en plus, de Arcelor Mittal, des Sodimédical non payées depuis des mois et sans nouvelle de leur patron, et des multiples plans sociaux qui commencent à s'annoncer dans les mois à venir. Oussedik ne saurait être plus conciliant.
De son côté, Eric Aubin joue la même partition dans le JDD à propos des retraites, "ça va dans le bon sens", puisqu'on vous le dit ! "La pression" sur le gouvernement nous semble bien "aimable", c'est le moins que l'on puisse dire.
Tous attendent les futures rencontres et négociations, dans les semaines à venir, pour évidemment y tenir leur rôle de partenaires responsables et réalistes.
Nous le disons depuis plusieurs mois, on est en train de nous rejouer le coup de 1981 (pour celles et ceux qui étaient là), de la confiance prudente mais sans vague face au nouveau gouvernement...
Les effets de la crise et des restructurations se chargeront de réactiver les travailleurs un peu dans l'attente, imaginant pour beaucoup que le PS ne fera pas comme Sarko et compagnie... Montebourg a déjà prévenu : "le gouvernement aura des échecs..."En attendant, c'est le calme plat.
D'autant que de son côté, la direction confédérale est en pleine bourrasque. "La guerre de succession" comme le titrent les médias est en pleine lumière, et vendredi 25, la CEC doit discuter d'une proposition (éventuelle) de Bernard Thibault pour lui succéder à la tête de la CGT.
Trois candidats pour une seule politique : Eric Aubin, Nadine Prigent, Agnès Naton, et on nous annonce un CCN divisé en trois tiers...
Mais très curieusement les médias traditionnels ne relèvent pas le plus important : ce sont trois candidats pour une MEME politique confédérale - pour l'essentiel.
Ca devrait poser question, non ? Car si l'essentiel est partagé, cela veut dire que les questions de personnes devraient être secondaires, et il est difficile de réduire la succession à une affaire d'ambitions individuelles.
Quelle est donc ce MEME projet confédéral ?
- La poursuite de la CFDTisation de notre syndicat, sur une orientation de collaboration plus ou moins conflictuelle avec les partenaires patronaux ou gouvernementaux, qui va évidemment s'accentuer avec le nouveau gouvernement social-démocrate. La lutte des classes, réapparue dans le discours du 49ème congrès face à l'opposition interne risque fort de redisparaître à nouveau du vocabulaire confédéral. Il est vrai qu'il ne s'agissait de toutes les façons que d'une formule, sans vraie conséquences en termes de projet et de tactique.
- La poursuite de la navigation à vue de la confédération face à l'actualité économique, politique et sociale. Nous l'avons souligné dans nos derniers articles ("Elections : Thibault vs Sarkozy ?"), la Confédération ne sait manifestement pas quel chemin prendre, qu'il s'agisse d'ailleurs de Sarkozy (collusion honteuse entre 2007 et 2009, conflit ouvert entre 2010 et 2012) ou aujourd'hui de Hollande. Les hésitations dans le choix du successeur sont à l'évidence la marque de cette navigation à vue : quand on ne sait pas trop ce qu'on veut, on ne sait pas quel capitaine mettre à la barre...
Pourtant, on peut établir des nuances pour ce qui est de la restructuration INTERNE de notre syndicat et de son évolution.
Eric Aubin, c'est le secrétaire de la Fédération Construction/Bois, qui a mené à bien la fusion de ces deux fédérations et
s'apprête à une nouvelle fusion avec le Verre Céramique. On va avoir droit à une nouvelle fédération hétéroclite, qui va aller des phares et pare-brise de voitures aux géomètres experts, en
passant par la sous-traitance électrique ou climatique, le BTP ou la vaisselle.
En ce sens, Eric Aubin est le fer de lance de la restructuration organisationnelle de la CGT, avec le regroupement des fédérations pour renforcer l'implantation territoriale et donc le lien aux précaires et TPE. Restructuration qui provoque de gros remous dans la CGT soit dans les gros secteurs industriels (métallurgie, chimie, cheminots) qui défendent avant tout le côté professionnel du syndicalisme, soit dans la défense de positions corporatistes et dépassées (pourquoi encore une fédération Tabac et Allumettes ? pourquoi le nettoyage rattaché aux Ports et docks ? pourquoi deux fédérations dans la navigation ? pourquoi une fédération des VRP et ainsi de suite...). Dans cette restructuration annoncée depuis des années, Eric Aubin a fait la preuve à la fois de son habileté, et de sa main de fer : les opposants de la fédération de la Construction en savent quelque chose, qu'il s'agisse de Dalkia, de Forclum ou de Cegelec !
Par ailleurs, Eric Aubin est tout sauf un militant. C'est un technocrate de dossiers (cf les retraites), un réformiste assumé, c'est l'homme de la situation sur le chemin de la CFDTisation avec un risque majeur : celui de cristalliser l'opposition contre cette orientation.
Nadine Prigent est la secrétaire de la Fédération Santé et Action Sociale, et s'est aussi taillé une solide réputation (pas vraiment positive !) parmi les secteurs combatifs, en particulier des CHU. Elle est plus traditionnaliste et plus prudente, et les médias n'ont là pas tort en expliquant que c'est la femme du statu quo et que la CGT ne risque pas de beaucoup changer sous sa direction...
Enfin Agnès Naton, plus jeune, réputée proche de Bernard Thibault, et directrice de la NVO, ce qui pour nous n'est franchement pas une référence, si on ne croit que seulement la moitié des révélations (censurées) à la commission de financement des syndicats (lire l'article de OWNI "Dévoiler l'argent des syndicats").
Nous l'avons dit à plusieurs reprises, quand les rumeurs sur le départ de Bernard Thibault ont commencé ("Rumeurs autour d'un départ de Bernard Thibault") : le choix de tel ou tel dirigeant nous laisse de marbre.
La seule question qui nous intéresse est celle de l'orientation de la CGT, de son projet dans la lutte des classes et de la manière dont elle s'organise pour y répondre. Voilà l'enjeu pour les syndicalistes combatifs et honnêtes, pour construire un syndicalisme de classe.
Le reste, aujourd'hui, n'est que du bavardage de journalistes en mal de scoops.
[Mise à jour 26 mai] Thibault a finalement
présenté hier la candidature de Nadine Prigent pour lui succéder, et il a été désavoué par la CE, 20 pour, 21 contre et 5 abstentions. Le CCN de la semaine prochaine va être un beau champ de
bataille... Et tout ça pour quoi ? Décidémment, cela confirme que la direction de la CGT est en plein désarroi, et si elle partage une vision stratégique (la CFDTisation), elle navigue à vue sur
la tactique et les moyens pour y parvenir. La gauche au pouvoir va évidemment accentuer ces contradictions... On aura bien entendu l'occasion d'y revenir.