Jeudi 17 janvier 2013
L'emploi à flux tendus : un accord pour la guerre économique
Dans un autre
article (« Emploi : un accord dans la droite (!) ligne des
précédents »), nous montrons comment l’accord du 11 janvier n’est que la continuité de toutes les attaques patronales de ces dernières années dans la crise économique.
Cet accord (en intégral ci-contre) a été analysé un peu partout, mais une lecture attentive conforte le sens général que
nous lui donnons : adapter le marché du travail aux conditions évolutives de la guerre économique, en rajoutant un cran dans la gestion « à
flux tendu » de la main d’œuvre.
Nous allons reprendre le découpage du texte, et les références renvoient aux articles considérés.
I Créer de nouveaux droits pour les salariés pour sécuriser les
parcours professionnels.
On trouve dans cette partie l’extension de la couverture « complémentaire santé » à l’horizon 2017, à échéance d’une succession
de « négociations » dans les branches, puis les entreprises, puis par défaut.
Au final c’est un petit progrès dans les petites entreprises (celles qui n’avaient pas encore de mutuelle), mais qui va se
traduire très probablement par un alignement par en bas (un régime « minimum » obligatoire est défini dans l’accord Ar. 1-b). On
notera que c’est déjà la tendance pour les adhésions volontaires individuelles auprès des grandes mutuelles.
Quand on relie ce point aux difficultés économiques actuelles dans les grands groupes de complémentaires santé (par exemple chez
Malakoff Médéric, ou AG2R), aux futures mesures d’économies de la Sécu, on voit poindre là le socle minimal sur lequel vont peu à peu s’aligner les complémentaires santé.
Quoiqu’il en soit, pour les travailleurs concernés, c’est un progrès, le seul progrès véritable de l’accord qui sert à
faire passer tout le reste.
On retrouve la possibilité de conserver ses droits au chômage en cas de reprise de travail, évidemment liée à la précarité, tout
en soulignant la nécessité de ne pas aggraver le déficit de l’UNEDIC et de gérer à niveaux globaux constants. Autrement dit, qui va payer ? Les autres chômeurs ?
La majoration des cotisations chômage pour les CDD fait juste sourire. C’est soi-disant une mesure « phare » pour enrayer la
précarité. Sauf que (Ar. 4-a) :
- Les saisonniers ne sont pas concernés
- Le remplacement de salarié absent n’est pas concerné
- Le surcroit temporaire d’activité n’est pas concerné
- Le taux est réduit pour les CDD « d’usage constant » (lire un très intéressant article à ce propos).
En contrepartie, on exonère encore de charges les embauches de jeunes en CDI (Ar. 4-b, c’est la grande distribution qui va être
contente !), on envisage la création d’un « CDI intérimaire » (Ar. 4-c, vous avez bien lu…) qui institutionnalise la précarité, on crée la possibilité de la « mobilité volontaire » dite «
sécurisée » (Ar. 7) à l’instar des conventions de mutation dans les grands groupes. Nous, on sait que c’est un moyen de se débarrasser de salariés en surnombre, et pas du tout de manière
sécurisée (quand on refuse finalement une mutation, en fin de période transitoire, bonjour la pression et la répression…), l’assouplissement du travail à temps partiel (Ar. 11) seulement encadré
par une « demande volontaire » (lol !) écrite du salarié…
Un article intrigue (Ar. 5), la création d’un compte personnel de formation, transférable au fil des employeurs, à l’image du
DIF. C’est présenté par tous comme un pas important pour la Sécurité Sociale Professionnelle, dans la droite ligne des demandes de la CGT, d’ailleurs.
Nous nous interrogeons. Nous savons tous que lorsque nous sommes au boulot, si le patron a besoin de nous former dans son
intérêt, il n’y a jamais eu aucun problème, là, on dégage le temps et l’argent. Si ce n’est pas sa demande, c’est juste une galère et ça le restera (voir les difficultés autour du
CIF).
Donc, soit ce compte formation servira en fait à financer les formations prévues par l’employeur par l’Etat, soit (plus
probable) il n’est créé que dans l’hypothèse de la perte d’emploi, pour prendre en charge une reconversion éventuelle. Et là, attention, danger, on connaît bien !!! La formation technicien de
surface pour un chaudronnier au chômage, celle centre d’appel pour une comptable et ainsi de suite… Rien n’est bien détaillé dans cet article, mais ça ne sent pas bon…
II Renforcer l’information des salariés sur les perspectives et les
stratégies de l’entreprise pour renforcer la Gestion Prévisionnelle de l’Emploi et des Compétences (GPEC)
Curieusement, personne ne parle de cette partie de l’accord (Ar. 12 et suivants).
Petit rappel : la GPEC est une procédure mise en place depuis 2005 en gros pour intégrer complètement les syndicats et les
délégués à la logique économique des patrons, pour leur faire valider les restructurations et mesures à venir. C’est une procédure à laquelle tous les syndicalistes de classe, tous les
syndicalistes honnêtes doivent refuser de se prêter, c’est de la collaboration de classe caractérisée.
Nous en avions parlé en 2008 (« Accord sur le
marché du travail : où est la réaction ? »), et le texte de 2013 renforce encore cette intégration des IRP à la logique des employeurs :
- Harmonisation et rationalisation du document unique annuel, développé sur trois ans
- Obligation pour l’employeur de développer ses orientations stratégiques et de recueillir l’avis des IRP à ce propos, ainsi que d’éventuelles solutions alternatives
- Instauration de délais obligatoires de consultation
- Présence des salariés au CA ou Conseil de Surveillance des grosses boîtes, avec droits égaux, mais obligation de confidentialité (Ah, ah, ah !!!)
- Mais, bien sûr, « en aucun cas cela ne conduira à empêcher la bonne marche de l’entreprise tel que prévu par le Code du Commerce »… sans rire, on n’en doutait pas !
Etc.
C’est assez bien résumé ainsi (Ar. 12-3) : « L’effort d’anticipation et d’information sur l’évolution de l’entreprise
suppose un partage d’informations et engage la responsabilité de chaque partie à l’égard de leur diffusion, afin que le dialogue puisse être constructif et se tenir dans un climat de
confiance ».
La belle affaire, la « confiance » entre l’exploiteur et l’exploité !!! C’est la tonalité général de cet accord, et son objectif
essentiel : enchaîner toujours plus les syndicalistes à la gestion capitaliste, à l’acceptation de la guerre économique mondialisée, à valider les choix de l’entreprise – d’ailleurs c’est
exactement dans ce sens que vont les fameux accords « compétitivité-emploi » (voir plus loin).
III Donner aux entreprises les moyens de s’adapter aux problèmes
conjoncturels et de préserver l’emploi
C’est beau comme titre, non ?
L’article 18 développe ce qu’il est désormais convenu d’appeler les accords « compétitivité emploi », expérimentés à l’usine de
SevelNord (groupe PSA) en septembre dernier (voir l’article de l’Usine Nouvelle ICI) et aujourd’hui présenté par Renault pour
supprimer 7500 emplois, avec les yeux doux de Montebourg.
La philosophie est la suivante : « conclure des accords d’entreprise permettant de trouver un nouvel équilibre, pour une
durée limitée dans le temps, dans l’arbitrage global temps de travail / salaire / emploi, au bénéfice de l’emploi ». On retrouve un dispositif similaire à celui de l’APLD : les salariés
acceptent des « sacrifices » (blocage des salaires, RTT etc.) pendant une durée donnée qui ne peut dépasser deux ans, et l’employeur s’engage à maintenir l’emploi des personnes concernées (car il
s’agit d’un dispositif individuel !!!) pendant une durée supplémentaire équivalente. Autrement dit, en échange de sacrifices en termes de salaires et de durée du travail, l’employeur maintient
l’emploi – avec donc un taux de profit et une productivité considérablement améliorés.
Bien sûr, le salarié concerné a tout à fait le droit de refuser, et dans ce cas, l’employeur a le droit de le licencier pour
raison économique…
Par ailleurs le texte prévoit une nouvelle négociation pour simplifier l’APLD (Ar. 19), une simplification des procédures des
PSE (Ar. 20)
IV Développer l’emploi en adaptant la forme du contrat de travail à
l’activité économique de l’entreprise
Un seul article (Ar. 22) dans cette partie, ce qui peut surprendre, mais c’est évidemment le début d’une nouvelle offensive à
venir dans le futur. Il s’agit de l’expérimentation des contrats de travail dits « intermittents » dans les entreprises de moins de 50 salariés.
Il est probable que cela va déjà être un moyen de contourner le statut des intermittents du spectacle (comédiens, mais aussi
ouvriers et techniciens), épine dans le pied des patrons depuis des décennies, avec le développement parallèle de ces contrats dans certaines entreprises de production, à des conditions bien
moins favorables, mais sous la pression de la crise.
Par ailleurs, une expérimentation ouvre toujours la porte à toutes les autres. On en voit se mettre en place sauvagement dans la
sous-traitance (voir le texte de l’UL de Roissy). On voit la directive Bolkenstein (contrats de travail sous droit
étranger, portugais, polonais etc.) s’appliquer de fait dans nombre de chantiers. Bref, officialiser et accepter simplement le principe d’une « expérimentation », c’est ouvrir la porte aux
déréglementations futures.
Cet article est extrêmement grave dans ce qu’il nous annonce pour le prochain « accord » (pour « moderniser l’emploi ??? ») qui
nous tombera dessus d’ici quelques années, et à lui seul un motif de refuser la signature…
V Rationaliser les procédures de contentieux
judiciaires
Tout a été dit à ce propos, sur la réduction des délais de procédures, sur la standardisation de la conciliation, sur la
compétence comme critère des licenciements. Nous renvoyons nos lecteurs à l’accord lui-même et aux divers articles parus un peu partout.
En conclusion de cette analyse rapide (et il y en d’autres pour compléter, on attend avec impatience le 4 pages annoncé par la
Confédération), ce qui ressort est clair : une nouvelle adaptation/dégradation du marché du travail aux conditions du capitalisme en crise, une gestion plus souple, plus flexible et précaire,
face aux aléas de la concurrence.
Il n’y a bien entendu rien à garder de cet accord, comme des précédents. Mais ce qui compte avant tout, c’est de montrer en quoi
il correspond bien à la période actuelle, en quoi les objectifs du patronat sont la précarité et la flexibilité dans un contexte mondial féroce.
Nous les ouvriers, les prolétaires, les travailleurs en général, ne cherchons pas à négocier les reculs successifs. Nous en
cherchons pas à comprendre les difficultés de nos patrons – nous les comprenons trop bien. Nous ne cherchons pas à accepter des sacrifices en rêvant ainsi sauver nos peaux et celle des
générations futures.
Oui, nous voulons TOUT. Et s'il faut pour cela en finir avec ce monde de barbares, pas de souci, on y travaille !