Mardi 14 janvier 2014
Goodyear : sursaut de révolte ?
[Attention : article décapant qui ne va pas plaire à tout le monde !]
Tous les articles de ce blog sur la lutte pour l'emploi des Goodyear, ICI
Et pour que chacun puisse vérifier nos dires, le blog de la CGT Goodyear, ICI
Nous ne sommes pas revenu sur la lutte des Goodyear pour l’emploi depuis le mois de juin dernier (« Goodyear après le CCE et le tribunal de Nanterre »), alors que nous suivions cette actualité de relativement près. C’est la remobilisation, au moins d’un secteur combatif, au retour des fêtes qui nous a remis au clavier.
Aujourd’hui, la séquence administrative et officielle du PSE est achevée, et les multiples procédures juridiques lancées par la CGT pour tenter de l’invalider sont arrivées à leur terme, sans succès. Il en reste quelques-unes en route, mais « la messe est dite », pour l’essentiel.
La direction de Goodyear a soigneusement évité de reproduire les erreurs qui l’avaient conduite à l’échec dans le passé. Respect des procédures, des délais etc… montagnes de documents transmis, tout a été fait pour éviter les contestations juridiques éventuelles et cela a été validé par les diverses juridictions.
Courant novembre, la CGT de l’usine sent le vent tourner et voit poindre l’échec de la voie juridique qu’elle prône depuis 2010 (« Impasse juridique ou sursaut de la lutte des classes à Goodyear ? »), échec sanctionné effectivement par les jugements de mi-décembre.
Elle change alors son fusil d’épaule et bloque le dépôt de pneus le 18 novembre. Radicalité ? Mise en scène ? Le fait est que la direction n’en a pas grand-chose à faire et au lieu de faire évacuer en urgence le blocage, elle se contente d’arrêter purement et simplement la production dans l’usine : les ouvriers sont désormais payés à ne rien faire, d’où pétages de plombs et déprimes… Voilà des mois que la direction veut fermer l’usine, ce que la CGT répète à juste titre, et Goodyear se moque du blocage du dépôt. A tel point que l’usine est fermée à titre exceptionnel entre le 20 décembre et le 4 janvier, hors toute prise de congés, et tous salaires payés…
A la reprise, c’est la colère qui commence à exploser, au moins dans le noyau combatif qui commence à comprendre que l’affaire est mal embarquée, que la procédure du PSE est finie, que la voie juridique a échoué. Et comme dans beaucoup d’entreprises (cela a aussi été le cas à PSA en janvier 2013), le sentiment c’est que maintenant « on n’a plus rien à perdre », et qu’il faut y aller pour « vendre sa peau le plus cher possible ».
C’est un sursaut de la lutte des classes, qui ne vient pas de l’équipe de la CGT, mais d’un noyau combatif qui ne veut pas crever sans bouger. Mais ce noyau est réduit à quelques dizaines de personnes, pas forcément les mêmes qu’en mars (« Goodyear, les sens de la violence ouvrière »), la direction maintient bien la pression, les autres travailleurs n’étant toujours que spectateurs… On est très loin de la mobilisation à PSA ou à Continental, luttes que Mickaël Wamen, dirigeant de la CGT Goodyear, n’a pourtant cessé de critiquer et de mépriser les mois précédents…
D’où la séquestration temporaire des deux cadres entre le lundi 6 et le mardi 7 à la reprise, et ensuite l’annonce symbolique de l’occupation de l’usine par la CGT… Nous sommes de notre côté très prudents sur l’effet d’annonce de cette « occupation », dont la direction semble largement se moquer.
Aujourd’hui, la situation est quelque peu bloquée. L’usine est « occupée », comme le dépôt, et la CGT tient un discours martial pour montrer ses biceps et tenter de peser sur la suite des événements.
De son côté la direction « fait le mort ». L’hypothèse la plus probable, c’est qu’elle poursuit tranquillement le rouleau compresseur de la fermeture (bientôt les lettres de licenciements), avec peut-être derrière la tête de revendre l’usine vide à Titan, comme celui-ci l’a proposé au final en mode provocateur… (voir l'article Le Monde ICI) pour réembaucher ensuite au compte-goutte et sur tri sélectif les ouvriers les plus dociles…
La direction Goodyear a obtenu le relâchement de ses cadres sans résistance (il est vrai qu’il aurait fallu un autre rapport de
force pour pouvoir les garder en otages !!!), ce qui lui permet d'exiger l'évacuation de l'usine sans aucune condition. Des huissiers sont présents dans l'usine pour constater et prendre en photo
toutes sortes de dégradation.
La direction a invité tous les salariés à rester chez eux en assurant le paiement intégral du salaire jusqu'au 31 janvier. Après
cette date elle considère que les licenciements seront effectifs. Pour l'heure c'est open bar dans les ateliers, les gens rentrent et sortent comme dans un moulin, aucune perspective....les mêmes
scènes qu’avant, on joue aux cartes pour tuer le temps... la direction adopte comme d'habitude le pourrissement et l'usure psychologique...
Il faut noter que la séquestration et l’occupation, actions plus radicales que dans le passé, ont fait oublier le tournant majeur que la CGT a opéré dans la défense de l’emploi en ce début d’année : il ne s’agit plus de maintenir l’emploi, mais de revendiquer de meilleures primes de licenciements...
Il y a quelques mois, il s’agissait de « défendre l’emploi et rien d’autre », et Mickaël Wamen n’avait pas de mot assez durs
pour critiquer les autres conflits comme PSA et Continental.
A la veille des vacances, il s’agissait encore de défendre la reprise du Farm «
sur la base du projet Titan » (mais lequel, 700 postes ? 537 postes ? 333 postes ? 0 ?? Rien n’a été clairement défini, on ne sait pas trop), et d’un Plan de Départs Volontaires « satisfaisant
»…
Et au retour des fêtes, on abandonne explicitement la défense de l’emploi pour exiger seulement de meilleures conditions de départ…
Un pas après l’autre, en arrière. Cela pourrait se comprendre, éventuellement, mais avec deux bémols :
- Il aurait fallu éviter, dans le passé, de cracher avec mépris sur les collègues qui faisaient comme ils pouvaient dans un contexte moins favorable qu’à Goodyear (car l’usine avait quand même une forte tradition de combattivité, qu’on a vue après exemple dans les années 2009-2010 !)
- Il aurait fallu une vraie démocratie, une véritable consultation des travailleurs, avec débat contradictoire et vote (enfin, un vrai vote, pas une parodie…) à chaque échéance pour que les évolutions soient éventuellement validées en assemblée générale. Il n’y a bien sûr rien eu de tel.
Pourtant, l’expérience des PSA montre qu’il pourrait ne pas être trop tard. Qu’il est encore temps de mobiliser le plus largement possible, de populariser, d’organiser des collectes de soutien, de bloquer les péages, les bâtiments administratifs, et surtout, pourquoi pas, l’usine Dunlop de l’autre côté de la route !!! Voilà qui serait efficace, et marquerait un sens de la lutte contre un patron commun !
Il y a de quoi faire, il y a des perspectives. Mais il faut se débarrasser de toutes les illusions, tant sur les contre-plans, les choix du gouvernement qui n’est pas du tout une girouette mais le représentant de la bourgeoisie dans les ministères, que sur l’équipe qui dirige la CGT qui refuse d’organiser réellement la contre-attaque de classe.
Aujourd’hui, mais aujourd’hui seulement, la CGT appelle les familles à se mobiliser. Aujourd’hui, la CGT Goodyear invite Vendredi 17 janvier à un rassemblement barbecue sur le parking de l’usine, à 13h, et annonce un « énorme soutien » de partout. Elle profite de l’occasion pour inviter Thierry Lepaon, qui, il est vrai s’est fendu d’une déclaration de soutien aux Goodyear. Nous souhaitons le plus vaste succès à ce rassemblement, car l’enjeu, c’est aujourd’hui de sortir de l’usine (l’occupation ne sert à rien), de populariser, de construire un vrai rapport de forces qui fait aujourd’hui défaut.
Dans l’immédiat, il n’est pas interdit de revenir sur quelques épisodes marquants de ces derniers mois, pour commencer à tirer les leçons…
Discours tonitruants, mirages et effets d’annonce
La CGT Goodyear tient un discours guerrier. Effets de manche, pression psychologique, superlatifs, annonces tonitruantes et
définitives, voilà des années que la CGT Goodyear annonce que l’usine ne fermera jamais, que la direction va être battue à plate couture, et ci, et ça… En juin 2012, elle publie même un
communiqué triomphant pour annoncer une victoire totale. Même si elle a depuis fermé son premier site internet (qui a peur des archives ???) on peut encore le consulter sur notre blog.
Aujourd’hui, Rilov admet du bout des lèvres « que nous aurions dû être plus méfiants » en juin 2012… Qui écrivait à l’époque : «
Goodyear : prudence et attention aux effets d’annonce » ?
C’est NOUS, sur ce blog, totalement à contre-courant de tout le milieu syndical et militant… Car NOUS ne sommes pas impressionnés par le bavardage tonitruant, notre analyse de la situation et
notre connaissance de la réalité nous ont toujours poussé à regarder les choses en face, sans fard, et sans peur.
Aujourd’hui, alors que la lutte « va hélas bientôt se terminer » !!! – c’est le texte de la CGT Goodyear, ahurissant, alors
qu’elle commence à peine ! – la CGT multiplie les discours ronflants, les « J’accuse », les appels à Thierry Lepaon et tutti quanti. Mais tout cela est de la fumée, et ne fera pas oublier l’échec
de la voie proposée par la CGT depuis 2010, l’abandon de la lutte des classes, la voie juridique, le repli sur l’usine sans élargissement, les illusions sur les plans alternatifs et le
gouvernement etc.
Contrairement à toutes celles et ceux qui reprennent sans recul ces beaux discours, NOUS NE SOMMES PAS DUPES !
L’échec de la voie juridique
Durant toute l’année 2012 (en fait depuis fin 2010), la CGT a fait croire aux ouvriers qu’elle réussirait à bloquer la fermeture
de l’usine par l’accumulation des procédures judiciaires, illusion que nous avons largement critiquée sur ce blog (« Impasse juridique ou sursaut de la lutte des classes à Goodyear ? »).
Evidemment, si la loi pouvait interdire les licenciements, il y a belle lurette que la loi aurait été changée !!! Car le système judiciaire n’est que la protection légale du capitalisme
(voir à l’inverse l’impunité du mafieux Dassault) et en particulier la propriété privée, qui, il faut quand même le rappeler, est gravée dans le marbre (« inviolable et sacrée ») de la
Déclaration des Droits de l’Homme. De fait, depuis l’été, toutes les procédures ont échoué, et la CGT comme le CCE ont été au fur et à mesure déboutés de leurs demandes.
Loin de nous l’idée de nous féliciter de cet échec… On a pu gagner quelques mois, c’est sûr (et cela compte !), mais ce que nous critiquons, c’est d’avoir laissé croire qu’on tenait là la solution pour les ouvriers. Et que donc, la lutte des classes se menait désormais au tribunal et qu’il n’était plus nécessaire de se mobiliser (« Mickaël Wamen : la lutte passe par le juridique »)... On en récolte les résultats aujourd’hui : au fil des mois, la voie juridique a démobilisé les ouvriers de Goodyear, à tel point que la mobilisation aux dernières échéances du CCE et du Tribunal a été absente ou symbolique.
Si les procédures juridiques doivent être utilisées par les syndicats, ce n’est que pour « gagner du temps », et en étant parfaitement clairs sur leurs enjeux limités… et la nécessité d’organiser le combat le plus largement possible.
La disparition en fumée du projet de SCOP
On nous avait promis monts et merveilles, un projet magnifique, parfaitement crédible et viable… (« Le projet de SCOP de la CGT Goodyear ») Où est passé ce projet ? Il apparaît que ce n’était qu’une
mise en scène de plus, avec toujours le même résultat : faire croire aux ouvriers qu’il était possible de sauver leur emploi sans lutte, simplement par un changement de statut juridique.
Le projet s’est simplement évaporé, sans aucune explication, comme d’habitude, ne reste que le désarroi et la désillusion… Nous avions aussi dénoncé cette imposture.
La relation au gouvernement
Le fait est que la CGT Goodyear a été incapable d’avoir une attitude cohérente à l’égard du gouvernement : un jour c’est par lui
que viendra le salut, Hollande et Montebourg sur le parking, l’enquête parlementaire décisive, la loi pour interdire les licenciements etc., un jour il est coupable de tout et complice de
Goodyear et Titan, un jour simplement girouette ballotée d’un côté à l’autre. Il faudrait savoir et être au clair : sinon on ne sait plus trop où sont les amis et où sont les ennemis…
Pourtant les choses sont assez claires : le gouvernement n’a RIEN fait pour les Goodyear, comme il n’a RIEN fait pour les PSA, ou pour les Florange. Au-delà du baratin de Montebourg, le gouvernement est le digne représentant des patrons français dans la guerre économique mondialisée. Aujourd’hui, Montebourg refait une sortie pour appeler à la médiation, à rouvrir le débat – mais sur quelle projet ? Pour valider la proposition de Titan, c’est-à-dire reprise de l’usine avec 0 salariés, et ré-embauche ensuite de 333 ouvriers seulement !!! (lien article).
La commission d’enquête parlementaire
Pendant tout un temps, l’actualité de la boîte a été rythmée par les auditions de l’enquête parlementaire… réclamée par la CGT et
dont elle nous promettait des miracles. Personnalités politiques, dirigeants syndicaux ont pu chacun faire leur déclaration… le rapport a été remis le 18 décembre avec
des « recommandations » qui n’engagent à rien, mais ça, on le savait au départ !!!
La coordination des luttes
La CGT Goodyear tient des discours ronflants contre le gouvernement, contre les directions syndicales, pour la coordination des
luttes, lire par exemple le « J’accuse » de cette rentrée. Beaucoup de bruit pour rien.
Qu’est devenu le collectif Licenci’elles, dont on nous promettait monts et merveilles (« Une loi pour interdire les licenciements boursiers ? ») ? Enterré parce que bloqué
sur une perspective de loi, et sans vrai projet collectif structuré sans volonté d’unité avec les autres secteurs en lutte, à PSA, Rhodia ou ailleurs.
Qu’a donné la « journée du 5 décembre » supposée être le fer de lance d’un regroupement de luttes
?
Pourquoi la CGT Goodyear n’a-t-elle pas jugé utile de participer, et même d’informer, aux initiatives de la Fédération de la
Chimie, comme la journée Caoutchouc du 17 juin, et le rassemblement des entreprises en lutte le 28 novembre à Bercy ?
Ces initiatives avaient le mérite d’exister et d’être quand même un peu plus radicales que l’activité confédérale… Et cela aurait pu être des tribunes magnifiques pour populariser le combat des
Goodyear !
Là encore, on est dans le royaume des mirages, dans celui des mises en scène et des coups de gueule pour attirer l’attention des médias et de ceux qui veulent bien s’aveugler, mais en fait, la CGT Goodyear n’imagine la coordination, la popularisation, l’élargissement qu’autour d’elle-même, sur son projet et se moque royalement des autres – les Dunlop au premier chef, même patron de l’autre côté de la route.
Comment comprendre qu’il n’y ait eu que très peu de travail de popularisation ne serait-ce que sur la région amiénoise, à tel point que le journal militant local « Fakir » n’est plus intervenu sur cette lutte depuis belle lurette [dernière minute : Fakir vient d’informer du rassemblement de vendredi, c’est la première information sur Goodyear depuis fort longtemps…] ???
Il y a ici des éléments de bilan, car nous allons rentrer dans cette période.
A chacun de choisir : aveuglement ou réflexion, car c’est bien une partie du bilan du mouvement ouvrier de ces années qui est posé
devant nous.