Jeudi 17 janvier 2013
Emploi : un accord dans la droite (!) ligne des précédents
Un titre en forme de plaisanterie, mais quel autre résumé est-il possible ? Après la « modernisation sociale », la "cohésion
sociale", après la « modernisation du marché du travail », voici la « sécurisation de l’emploi ». Les mots changent au fil des ans et de la couleur du gouvernement, la dégradation
continue…
On aurait tort à en rester à décortiquer le texte même de l’accord, en pesant le pour et le contre point par point, comme
on le voit trop souvent (voir néanmoins l’autre article à ce propos, qui rentre dans le détail « L’emploi à flux tendus : un accord pour la guerre économique
»). Il faut d’abord le resituer dans le contexte, ce que ne fait malheureusement pas la CGT.
Depuis des années, la crise économique mondialisée s’aggrave, et la concurrence devient de plus en plus féroce entre les
monopoles, avec son cortège de restructurations, délocalisations, concentrations, au gré des marchés et des taux de profits.
Dans cette guerre capitaliste, il y a plusieurs variables. Il y a le contrôle des matières premières et de l’énergie. Il y a le
contrôle des techniques et du savoir (éducation, brevets, technologie). Il y a le contrôle des marchés. Il y a le contrôle des banques et du financement.
Et il y a le contrôle du coût du travail, l’exploitation ouvrière qui fait au final le taux de profit réel du
capitaliste.
Si l’on en reste à cette force de travail et à l’exploitation, là encore, les moyens sont multiples. Hausse des cadences,
blocage, voire baisse des salaires au fil des restructurations, sous-traitance, flexibilité et précarité.
La hausse des cadences se poursuit, mais elle a pour limite la résistance humaine (c’est pour ça qu’on met des jeunes
intérimaires sur les postes les plus durs à la chaîne, facilement remplaçables quand ils sont cassés). La baisse des salaires a aussi la limite de la survie du système en tant que tel. Reste le
volet privilégié par le patronat depuis des années, la mobilité, la flexibilité interne, la précarité généralisée, qui n’est au final que la flexibilité externe…
Dans tous les cas, il s’agit d’adapter la gestion de la force de travail au plus près des exigences de la concurrence et du
marché, à flux toujours plus tendu en quelque sorte, pour gagner ainsi en productivité et en compétitivité face aux requins concurrents.
Et ça dure comme cela depuis des années, sans réactions notables…
Rapide chronologie pour mémoire, on remarquera la poésie un peu rengaine des intitulés, et le triste sort du mois de janvier,
appelé à enregistrer les coups durs contre les travailleurs…
Janvier 2000 : loi Aubry (oui, Martine Aubry, la même
qu’aujourd’hui !) sur les 35heures. L’annualisation du temps de travail et la flexibilité des horaires sont introduits dans la loi.
Janvier 2002 : loi de « modernisation sociale » du
gouvernement Jospin. Création des PSE (Plans de Sauvegarde de l’Emploi, voir les détails ICI) pour accompagner et faciliter la restructuration des
entreprises, en lâchant quelques miettes pour éviter les explosions.
Novembre 2004 : rapport Cahuc-Karmatz « De la précarité à la
mobilité, vers une Sécurité Sociale Professionnelle », qui servira de base aux réflexions ultérieures du patronat et des gouvernements successifs (« Le rapport Cahuc-Kramatz : l’emploi selon Sarkozy »).
Janvier 2005 : loi Borloo dite de « cohésion sociale » qui
outre l’élargissement du recours à l’intérim, impose une négociation tri-annuelle autour de la GPEC (Gestion Prévisionnelle des Emplois et des compétences) pour mieux intégrer les délégués aux
difficutlés de la gestion capitaliste des entreprises
Janvier 2008 : accord sur la « modernisation du marché du
travail » (« Accord sur le marché du travail : où est la réaction ? »), timidement, mais à peine, critiqué par
la CGT (« La marque de fabrique de la CGT ? »), qui entre autres, crée la rupture conventionnelle et généralise
la GPEC.
Janvier 2009 : extension des possibilités de recours au
chômage partiel (« Chômage partiel : c’est ça la Sécurité Sociale Professionnelle »).
Juillet 2011 : création des contrats de « sécurisation
professionnels », extension des contrats de transition professionnelle, créés de manière expérimentale pour reclasser les travailleurs licenciés (« Projet d’accord sur les Contrats de Sécurisation
Professionnels »).
Février 2012 : Création de l’APLD (Activité partielle de
longue durée, voir les détails ICI), qui élargit encore les possibilités de recours au chômage partiel.
A chaque fois, on nous jure croix de bois, croix de fer, qu’il s’agit de limiter les dégâts. A chaque fois, c’est un recul qui
ne fait qu’en appeler d’autres. Le bilan de ces dernières années est catastrophique, sans appel :
- Explosion du chômage (voir les chiffres de l'INSEE)
- Explosion de la précarité, les CDD qui passent de 900 000 en 1982 à plus de 2 000 000 en 2012.
- Explosion des ruptures conventionnelles – un million de départs enregistrés depuis août 2008 (voir un article des Echos).
- Explosion de la sous-traitance et mise en place de nouveaux modes de gestion du personnel, qu’on pourrait appeler le « CDI précaire », au fil des employeurs successifs, comme sur la plateforme de Roissy.
Dans tous les cas, c’est le travailleur, le prolétaire qui paie les pots cassés, dans ses conditions de vie, au travail ou en
dehors, une vie de plus en plus précaire et incertaine, toujours plus difficile et menacée par la misère.
Là, avec le changement de gouvernement, beaucoup autour de nous attendaient un « changement », puisque c’est ça qu’on leur avait
vendu aux élections.
Quelle naïveté… et quelle amnésie sur les années passées de la gauche au gouvernement. Bien sûr les jeunes ne l’ont pas connu. Mais 1981 – 1995, ce n’est pas si loin tout de même, il reste des témoins encore en vie !
Le gouvernement Hollande/Sapin/Montebourg a fait exactement ce que le patronat attendait de lui. D’abord, une grosse poignée de
dizaines de milliards pour les entreprises, y compris à la filiale financière de PSA, un comble à l’heure de la fermeture de l’usine d’Aulnay. Ensuite grosse offensive sur le terrain de l’emploi,
sous couvert de « priorité nationale ». Ce sont les « contrats de
génération » et les « contrats d’avenir » qui ne sont que la réapparition des emplois-jeunes de Jospin.
Une fois ces paillettes dissipées, le plat de résistance arrive avec le rapport sur la compétitivité demandé à Gallois, applaudi
des deux mains par Parisot et tous les patrons, et aujourd’hui ce nouvel accord sur la « sécurisation de l’emploi ».
Un autre article de ce blog (« L’emploi à flux tendus : un accord pour la guerre économique
») reprend la logique de l’accord signé par CFDT, CGC et CFTC et qui va évidemment être transposé sans modifications dans le Code du Travail par le gouvernement, quels que soient les grincements
de dents y compris au sein du PS.
Il faut bien comprendre que cet accord n’est pas l’addition de mesures ponctuelles, n’est pas une sorte de confrontation entre
points positifs et contreparties négatives, plus ou moins équilibré, plus ou moins déséquilibré, selon les opinions. C’est accord remet tous les textes précédents en place les uns par rapport aux
autres de manière explicite. Il met en place un nouveau cadre pour le marché du travail, plus flexible, plus précaire, plus adapté à la phase de la crise capitaliste actuelle.
Nouveau cadre pour quelques années, en attendant le suivant quand la crise se sera à nouveau aggravée…
Il ne suffit pas de dire que c’est une « profonde modification du Code du Travail » comme le dit la Confédération, c’est une
évidence. Encore faut-il dire pourquoi…
Et là, bien sûr, notre syndicat est embarrassé…
Pour une double raison : la crise capitaliste n’est jamais vue par la CGT comme une crise de fond, structurelle, insoluble dans
le cadre de l’exploitation – mais comme une crise de mauvaise gestion par des patrons cupides, véreux et incompétents. Remplacez les patrons par des bons gestionnaires humains, et vous
verrez que sans rien changer de l’exploitation, on fera mieux qu’eux. Pour la confédération, il n’y a pas de problème d’emploi, il n’y a qu’un problème de gestion (« Congrès CGT : un rapport d’activité en mode autosatisfaction
»). Pas un mot de la guerre économique mondialisée, bien sûr.
Deuxième raison, depuis le 47ème Congrès (ça commence à faire une paye…), la Confédération avance comme mot d’ordre central la
Sécurité Sociale Professionnelle comme solution pour les travailleurs face aux restructurations. Nous renvoyons nos lecteurs à tous les articles à ce propos sur ce blog (« La Sécurité Sociale Professionnelle »).
Et justement, voilà cette solution reprise par tout le monde, de tous les syndicats au MEDEF, sous l’autorité du nouveau
gouvernement « de gauche ». C’est au fond bien compréhensible, c’est simplement l’adaptation du salariat aux nouvelles conditions du marché, donner un socle de garanties transférables en cas de
changement de statut, ce n’est pas gérer la flexibilité cela ? C’est ce que notait déjà le journal Les Echos en
2006... En abandonnant toute perspective anti-capitaliste, en se pliant aux exigences du « développement humain durable » dans le cadre actuel et de la guerre économique, la convergence
est inévitable.
La Confédération peut bien protester contre ce nouvel accord qui accroît la précarité et la flexibilité. C’est bien entendu tout
à fait juste. Mais sans en expliquer la cause et les dessous, elle est absolument incapable de proposer une alternative crédible et de mobiliser autrement qu’en protestant. Elle ne peut que nous
entraîner vers le combat pour des « contreparties » (des miettes…) moins misérables, sans être capable d’en finir avec la force de travail réduite au jour le jour à n’être qu’une « variable
d’ajustement structurel » dans une guerre qui n’est pas la nôtre.