Vendredi 25 janvier 2013
Elections TPE : la CGT déboutée face au syndicat breton SLB
Les élections TPE ont eu lieu en novembre, et la confédération se gargarise de son succès, "première organisation" au résultat... Avec 10% de votants, pas de quoi grimper aux murs... Comme le fait remarquer un article amusant du bloggeur Cyril Lazaro, la CFDT fait 56% à Saint-Pierre et Miquelon avec... 9 voix !
Ces élections pouvaient être une bonne occasion de travail de terrain dans le commerce, l'artisanat, et cela a été fait parfois. Mais pour les grandes confédérations (et au premier chef la CGT), l'enjeu n'était pas là. Il était de comptabiliser les voix, au maximum, dans le cadre de la nouvelle loi sur la représentativité. Car contrairement à ce qui a été dit, le résultat électoral ne sert à rien pour les travailleurs concernés, ne leur donne aucun droit supplémentaire. Simplement, il permet de mesurer une influence. Point barre.
Mais pour la confédération et sa conception du syndicalisme de négociation appuyé sur des résultats électoraux, l'enjeu était
d'importance, surtout face à la CFDT, syndicat chéri du nouveau gouvernement. Donc, tous les coups étaient permis pour éliminer les petites listes, locales et nationales, susceptibles de faire
perdre quelques voix.
La CGT a donc contesté tous azimuts, et en particulier les syndicats régionalistes, dont le SLB en Bretagne (Sindikad Labourerien Breizh). Outre la manoeuvre un peu minable de se débarrasser de supposés "concurrents" par le biais juridique, ce qu'il faut regarder, ce sont les arguments avancés en justice. Et là, franchement, ça donne des frissons : des arguments proprement "réactionnaires", au sens strict du terme, pour défendre la "république" avec tous les arguments classiques de la droite bourgeoise... lamentable.
La CGT a été déboutée au tribunal, le SLB a pu se présenter, heureusement. L'épisode a suscité l'article suivant envoyé par un militant du SLB que nous publions bien volontiers.
Les organisations syndicales, pour se présenter aux élections professionnelles, doivent remplir un certain nombre de critères de
représentativité, qui ont été chamboulés depuis 2008. Leur participation peut être contestée en justice à l’initiative de n’importe qui, en prenant appui sur le non-respect de ces critères. C’est
en général une arme du patron contre le syndicat, même si les grandes centrales l’utilisent bien souvent pour évincer d’autres syndicats.
Par exemple, une action en justice avait été intentée par FO en 2009 pour tenter de faire annuler la désignation d’un représentant
de section syndicale d’un syndicat affilié à la CNT, sous prétexte que l’abolition de l’Etat, le principe de l’action directe prônés dans ses statuts étaient contraires à ces fameuses « valeurs
républicaines ». La cour de cassation avait vidé de son contenu ce critère, en le bornant, en gros, au respect du triptyque « Liberté, égalité, fraternité » [1].
Fin 2012, à l’occasion des premières élections professionnelles pour les Très Petites Entreprises (moins de 11 salariés), c’est la
CGT qui s’est servi de cette possibilité de contestation d’un syndicat concurrent. En effet, se présentait sur les listes de la région Bretagne le syndicat breton SLB.
Qu’est-ce que le SLB ?
Le Syndicat des Travailleurs de Bretagne (Sindikad Labourerien Breizh en breton) est un syndicat interprofessionnel qui place son
action syndicale sur le territoire breton. C’est une petite organisation, constituée principalement d’adhérents isolés, employés, ouvriers, chômeurs. Ses sections les plus actives se situent dans
l’enseignement, en particulier dans l’enseignement et les centres de formation professionnels en langue bretonne, ainsi qu’à l’université (Rennes, Brest). Il se revendique d’un syndicalisme de
lutte, voire de classe, en opposition avec le syndicalisme de conciliation des grandes centrales. Sa spécificité est qu’il se prononce pour l’autodétermination du peuple breton.
Dès la réunion de préparation du mardi 09 Octobre à la DIRECCTE [2], seules la CGT, la CFDT et la CFTC n’avaient pas approuvé le
matériel de propagande du SLB et s’étaient réservé le droit de contester ultérieurement la participation de ce syndicat aux élections. C’est donc la CGT qui s’est chargé de contester cette
participation en s’appuyant sur le critère de « respect des valeurs républicaines ».
A l’issue de l’audience, le tribunal d’instance de Rennes a jugé que « Le SLB a bel et bien pour objet la protection des
travailleurs dans leurs droits. La majorité des objectifs et principes revendiqués dans les statuts concerne directement les conditions de travail [...]. L'affirmation de certains principes à
connotation purement politique comme l'autodétermination ou la lutte contre le racisme ne fait aucunement obstacle à la qualité de syndicat professionnel du SLB. » La CGT a été déboutée et devra
payer 800€ au SLB.
Quelles étaient les raisons invoquées par la CGT pour contester le non-respect des valeurs républicaines ?
La CGT a invoqué plusieurs points des statuts du SLB, notamment sa position sur la démocratie et le droit à l’autodétermination du
peuple breton. Par la voix de son avocat, il l’accuse « de prôner une libanisation ou une balkanisation contraires aux valeurs de notre République indivisible » [3]. Sont reprochés,
pêle-mêle, les points des statuts qui se prononcent contre le fascisme, le racisme, pour l’écologie. En définitive, une organisation syndicale en attaque une autre en se faisant le défenseur des
valeurs de la classe bourgeoise, de l’Etat capitaliste. Le SLB a répondu longuement à ces attaques de la part de la CGT, dans un communiqué où il les réfute point par point en prenant appui sur ses statuts.
Le SLB qui participait à cette élection essentiellement pour sonder elle-même son audience et faire connaître ses principes
d’action syndicale, a réalisé un score de 3,16%.
La CGT, elle, jouait une véritable chasse aux voix car chacune d’elle rentre dans le calcul de la représentativité des syndicats
au niveau national, et donc de leur poids dans les négociations des accords de branche… Cette raison ainsi que la peur constante de voir les travailleurs, face à l’approfondissement de la crise
et aux attaques du capital, trouver à s’organiser dans des syndicats de lutte des classes, combatifs et opposés au syndicalisme de conciliation, explique cette action en justice.
En définitive, les dirigeant de la CGT en Bretagne utilise l’une de armes légales que la bourgeoisie s’est elle-même façonné, afin
de contester toute forme d’initiative syndicale de cette sorte qui puisse mettre à nue, par leur pratique combative et, surtout par le caractère politique de leur revendications, leur propre
pratique réformiste qui leur assure une place au banquet de la bourgeoisie.
Et les militants de base dans tout ça ?
Des syndiqués CGT ont râlé, ici et là. Un certain nombre ont été choqué et l’action en justice a suscité au moins de
l’incompréhension dans les rangs de ceux qui connaissent les syndiqués SLB et qui se sont déjà rencontré dans les luttes, pour l’emploi, pour la langue bretonne, pour la défense du service
public, etc. En tout cas, pas de quoi renforcer leur conviction d’appartenir à un syndicat qui défend les intérêts des prolétaires et qui combat pour l’unité de classe contre les tentatives de
divisions des capitalistes. Cela n’empêchera pas les syndiqués des deux organisations de se retrouver demain dans des combats communs, dans l’unité à la base, comme par le passé.
Un syndiqué SLB
[1] Cass. soc., 13 oct. 2010, n° 10-60.130.
[2] Direction Régionale des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l’Emploi
[3] Ouest-France, 30/11/2012