Jeudi 7 octobre 2010
Retraites : comment avancer en ces moments incertains ?
Nous sommes en ce moment dans une période bizarre.
Comme le dit un camarade de
Philips Dreux, la mobilisation ne faiblit pas, mais ne débouche pas pour l’instant… Et dans les manifestations, il y a du monde, mais pas de très gros cortèges ouvriers à de rares exceptions
près. Sans même parler des manifestations du Samedi – pas plus de monde !
Certes, il y a les appels à la « grève générale » mais ils s’apparentent plus à la volonté d’en découdre une bonne fois avec le
gouvernement de la part de militants ou de secteurs plus mobilisés, mais ils ne regroupent que faiblement, soyons honnêtes. L’appel du 7 septembre dont le contenu
est réduit au strict minimum (battre Sarkozy) ne récolte que 10 000 signatures, l’appel des syndicalistes pour la grève générale dont nous avons déjà parlé n’atteint pas les 1000 signatures.
Cela ne remet pas en cause la détermination et la combattivité de ces secteurs et camarades, simplement, cela reflète la période
actuelle : incertitude et attentisme. Avec en plus aujourd’hui l’appel aux jeunes qui ressemble quand même quelque part à un appel au secours…
Dans la CGT, la situation est encore plus complexe.
- Il y a ceux qui veulent « y aller ». On retrouve (voir la liste évolutive sur le site du 7 septembre) les secteurs des transports qui ont annoncé des grèves reconductibles, de la chimie, de l’énergie, les Bouches du Rhône, de l’Alsace, de Haute Normandie ou d’ailleurs.
- Il y a ceux qui ne veulent pas y aller, c’est le cas de la direction confédérale et de tout le courant dominant qui considère que l’essence du syndicalisme est désormais dans la coopération conflictuelle avec le patronat et le gouvernement, le réformisme des Grenelle et des négociations permanentes, la CFDTisation de notre syndicat. Ceux là freinent des quatre fers et sabotent toute tentative de radicalisation et d’élargissement, renvoient chaque militant dans son secteur au nom de la mobilisation « insuffisante » et empêchent le « Tous ensemble ». Rien de très neuf au fond, on voit cela depuis des décennies… Le problème, pour ce courant dominant, c’est qu’actuellement à propos des retraites, le gouvernement ne joue plus le jeu, et ne leur donne plus de grain à moudre. Nous sommes donc dans une phase de rapport de force pour regagner en crédibilité et « revenir à la table des négociations », en laissant un peu la bride sur le cou aux courants plus combatifs, mais probablement plus sous forme de menace contre le gouvernement. D’où les déclarations à répétition de Thibault sur l’éventualité de la grève reconductible (voir la vidéo ci-contre, la veille du 2 octobre). Et bien sur comme d’habitude, la crainte panique de perdre le contrôle sur une éventuelle généralisation du mouvement.
- Il y a enfin ceux (très nombreux) qui ont peur d’y aller, peur d’échouer. C’est la forme la plus subtile et perverse du réformisme de l’appareil syndical : au nom de la possibilité de l’échec, on ne fait rien et on reste dans les impasses proposées par la direction confédérale, les journées saute-moutons… Ils ne s’opposent pas en paroles à une éventuelle radicalisation, mais ils ne feront rien pour la mettre en œuvre et donc passeront la soupe aux réformistes, quoiqu’ils s’en défendent.
Les tensions ont monté d’un cran en interne.
Mardi, il y a eu un CCN (enfin, une CEC élargie aux UD et fédérations) où de l’avis général, ça a été « chaud » entre ces divers
courants. Finalement, c’est au forceps qu’a été sortie une « adresse aux salariés » (voir à droite) appelant à la poursuite après le 12 avec des arrêts de travail, souligné en gros. Or cette
adresse a été immédiatement accompagnée d’une déclaration de Bernard Thibault qui résume le texte en
oubliant tout simplement cette possibilité… Parfaitement symptomatique de l’ambiance en ce moment !
Quoi faire dans cette période incertaine ?
On ne peut rester inactif, au prétexte de l’impasse actuelle, et se contenter de critiquer les réformistes.
Nous le disons depuis toujours : les syndicalistes de classe doivent gagner
leur indépendance, apprendre à se regrouper, être une force alternative, tant sur le contenu revendicatif, le projet syndical, que les formes de lutte.
Nous ne prétendons pas (bien entendu) avoir de recette magique, mais nous mettons ici ce que nous proposons partout, dans les
assemblées syndicales :
Donner du contenu à la lutte, et ne pas en rester au « Tous sauf Sarkozy » qui laisse le champ libre d’une part aux réformistes syndicaux, d’autre part
au PS (et à ses variantes plus ou moins radicales) qui a déjà annoncé la couleur : s’il revient au gouvernement, il reviendra aux dates symboles des 60 et 65 ans mais ce sera avec un contenu
identique à la loi actuelle. Logique, après le Livre blanc sur les retraites de Rocard en 1992, et la participation de Jospin au sommet de Barcelone en 2002 ! Et Strauss-Kahn au FMI ne dit
pas autre chose...[ici, aussi, sur Challenges] Donc, d'abord, on
se bat pour le retrait du projet.
C’est surtout avancer nos revendications, sous toutes les formes comme nous l’avons développé dans d’autres articles :
On ne veut pas mourir au travail ! Retraite à 55 ans, sans aucune condition de trimestre ! 50 ans pour les travaux
pénibles !
Retraite mini à 1600 €, retraite maxi à 3500 € !
Interdiction du travail de nuit (sauf bien sûr quelques exceptions comme la santé...), du travail posté, du travail à la chaîne !
Baisse des cadences, 30 heures par semaine, sans baisse des salaires !
C’est donc débattre au fond du réformisme syndical, des contradictions qui traversent la CGT et de la compréhension de
l’attentisme actuel.
Il faut faire vivre concrètement l’idée du « Tous ensemble » contre la loi Sarkozy/Fillon/Woerth, pour son retrait par la grève et par le blocage du
pays.
Dans l’immédiat, il faut populariser et appliquer la proposition de juin dernier des camarades de
Goodyear, le blocage des centres de production.
Dès le 13, dès 5h du matin, il faut proposer à tous les militants, à tous les secteurs qui se mettront en grève du privé comme
du public, de se retrouver pour bloquer une ou plusieurs zones industrielles.
Il est possible sur un département de regrouper plusieurs centaines de grévistes ou militants et de bloquer toute une matinée
une ZI, ce qui sera d’abord efficace en touchant le capital là où ça fait mal, ensuite cela donnera la pêche aux grévistes, enfin va permettre de créer le lieu des assemblées de grévistes
sur ces piquets, lieux qui ne se mettront pas en place autrement. C’est ainsi le moyen de radicaliser la lutte à l’échelle du moment actuel, de se retrouver entre grévistes, de débattre
collectivement et d’avancer peu à peu.
Même si ces blocages ne sont pour l’instant que temporaires (intervention de la police), ils peuvent être renouvelés de jour en
jour, c’est un point de départ pour un élargissement.
Mais c’est dès aujourd’hui que ces blocages doivent être préparés par les assemblées syndicales, pour reconnaître les lieux,
travailler avec les syndicats sur place, préparer la mobilisation, amener du monde et éviter d’aller à l’échec.
Il ne sert à rien de multiplier les incantations à la « grève générale », il faut avancer dans le contexte où nous
sommes. L’essentiel, dans la phase actuelle de grève et de blocage, d’expliquer pourquoi « de cette société là, on n’en veut pas » - et justement de quelle
société on veut - pourquoi la classe ouvrière a besoin de reconstruire ses instruments de lutte de classe, aux plans syndicaux et bien sûr politique.