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25 septembre 2011 7 25 /09 /septembre /2011 16:41

Dimanche 25 septembre 2011

AZF : déclaration du porte-parole de l'association des sinistrés

 

06toulouseMercredi dernier avait lieu la commémoration de l'attentat terroriste industriel d'AZF, commis par TOTAL.

Hormis le rassemblement consensuel et silencieux organisé par la mairie sur le site, un autre rassemblement avait lieu à l'appel en particulier de la CGT et de l'Association des sinistrés du 21 septembre au rond-point du 21 septembre.

C'était impressionnant, une grosse foule, une présence massive de la CGT avec des délégations de la chimie venues de toute la France, la FNIC avait mis le paquet. Présence de Bernard Thibault (bravo, pour une fois qu'il est là où il faut quand il faut !), et les sinistrés du 21 septembre. Nous publions ci-dessous le discours du représentant de cette association.

Un discours de combat, émouvant, qui a beaucoup touché les participants. Nous le reproduisons tel quel (repris du site de Lutte Ouvrière).

 

AZF - Déclaration du porte parole de l’Association des sinistrés du 21 septembre

 

C’est aujourd’hui le dixième anniversaire l’explosion de l’usine AZF. Le 21 septembre 2001, la ville de Toulouse a été ravagée. 32 personnes décédées, dont 21 sur le site.16 000 blessés dont plusieurs centaines l’ont été très gravement, certains ayant perdu l’usage de leurs jambes, d’autres de leurs yeux, ou de leurs oreilles, auxquels se rajoutent de graves traumatismes psychologiques, ceux dont on se soigne le plus mal. 69 000 dossiers matériels, dont 55 000 concernent des logements, 7 200 des véhicules, 2500 des entreprises dont 70 ont fermé, 400 des bâtiments publics ou parapublics (des écoles, des collèges et des lycées, des hôpitaux, des cliniques et des maisons de retraite).

09toulouseL’explosion n’a pas fait d’exception. Elle a été parfaitement égalitaire. Elle n’a oublié personne. Tous, riches ou pauvres, jeunes ou vieux, tous ont été frappé, dès lors qu’il était dans le périmètre fatidique. Par contre les réparations physiques et morales, matérielles et psychologiques se sont faites au cas par cas, selon l’énergie, la disponibilité et la compétence de chacun. Et cela n’a donc fait qu’aggraver les inégalités. Seule une action résolue de l’Etat aurait pu compenser ces inégalités, et imposer un règlement égalitaire en dictant des règles applicables pour tous. Mais l’Etat et les pouvoirs publics ont choisi de regarder ailleurs en laissant fonctionner les procédures traditionnelles, celles qui ont montré leur efficacité, disons pour un dégât des eaux. Ils ont laissé faire la nature. La nature, ce sont ces lois du marché dont on voit aujourd’hui les dramatiques conséquences pour la population.

Tous les ans nous nous sommes retrouvés ici le 21 septembre. Ce rond-point est devenu un RDV annuel pour les sinistrés et les salariés solidaires. C’est là que l’on dénonçait la galère des dossiers à remplir, la situation des « sans fenêtres », la lenteur des travaux et des dédommagements.

Et aujourd’hui nous sommes encore présent ici. On nous dit qu’est venu le moment du pardon, que ce n’est plus le moment de polémiquer. Mais déjà au lendemain de l’explosion on nous disait qu’il fallait respecter la douleur des victimes, et que ce n’était pas le moment de polémiquer. Pour les autorités, ce n’est jamais le moment de manifester, de réclamer notre dû, de réclamer la justice. Eh bien aujourd’hui comme il y a dix ans, notre façon de respecter la douleur des victimes, c’est de se battre pour que le responsable de la catastrophe, le groupe TOTAL, soit condamné.

La mairie organise une cérémonie de réconciliation, et s’étonne que nous refusions cette mascarade.
Mais avec qui veut-elle que l’on se réconcilie ?

Nous n’avons jamais été fâchés avec les salariés du pôle chimique. La meilleure preuve c’est que des salariés d’AZF étaient à nos côté lors des rassemblements et depuis le début. Et cette année, ce rassemblement de protestation est organisé avec la CGT, sous l’impulsion de la fédération de la chimie. Aujourd’hui se réalise ce qui aurait du être la règle de la lutte AZF, les salariés et les riverains au coude à coude contre le responsable de notre malheur commun.

Par contre s’il s’agit de se réconcilier avec le groupe Total, pas d’accord ! Avec le groupe Total, il n’y a pas d’arrangement. Nous n’oublierons pas en particulier les moments insupportables de racisme que nous avons vécu au procès, quand les avocats de Total s’employaient à faire vivre la rumeur de l’attentat en harcelant la malheureuse veuve de l’intérimaire mort le 21 septembre 2001 dans l’atelier 221.

Mais il n’y a pas non plus d’arrangements avec ceux qui ont divisé les victimes en dressant les salariés contre les sinistrés. Ils n’ont fait que s’acharner à disculper Total, alors que ce qui s’imposait c’était au contraire l’unité des sinistrés et des salariés pour obliger Total mais aussi les pouvoirs publics, à assumer leurs responsabilités. Depuis le début certains prétendent chercher la vérité. Mais la vérité ils la connaissent. Elle leur crève les yeux. Elle est dans les tracts syndicaux du passé, dans les anciennes prises de position, elle est dans les grèves pour imposer le respect des conditions de travail et de sécurité. Tout cela ils ont préféré l’oublier. Ils ont fait semblant de croire que puisqu’on s’en prenait aux manquements de Total, on attaquait les salariés. Ils n’auront réussi qu’à se solidariser avec leur patron contre les victimes, en reniant tout leur passé.

En relisant les prises de parole lors de chaque anniversaire, on peut retrouver l’histoire de notre lutte depuis les « sans fenêtres » jusqu’à aujourd’hui.

C’est ici qu’en 2008 nous avons dit notre colère devant les conclusions de l’instruction judiciaire qui à aucun moment n’a voulu rechercher les responsabilités du groupe Total, et notre intention de faire une citation directe pour que la SA Total et Thierry Desmarrets son PDG à l’époque des faits soient mis en examen. Et lors du procès Total, et Thierry Desmarrets ont dû comparaître. Ce n’était qu’une victoire morale, symbolique, mais ceux qui se craient intouchables ont dû s’expliquer.

C’est ici qu’en 2009 nous avons donné notre avis sur le procès en première instance par ces mots :

"Dans ce procès, l’objectif de Total, ce n’était pas de rechercher une quelconque vérité, mais de semer le doute, à coups de rumeurs et d’insinuations sur l’enquête scientifique menée par le collège d’experts judiciaires. L’enquête scientifique a pourtant réussi à expliquer le mécanisme qui a conduit à l’accident industriel. Une dramatique erreur de manipulation conséquence de dérives successives constitutives du système Total.

Le groupe Total est arrivé lui-même à cette conclusion, et a tout fait pour le cacher à la justice. Ainsi la commission d’enquête interne mise en place le jour même de l’explosion a interrogé tous les protagonistes, a rapidement compris le mécanisme fatal, et a laissé l’enquête judiciaire patauger. Au point qu’il a fallu une commission rogatoire et une perquisition au siège de Grande Paroisse pour retrouver ces conclusions. Ainsi le groupe Total a commandé au CNRS de Poiriers une étude sur l’explosivité du mélange entre ammonitrates et dérivés chlorés, avec une clause de confidentialité. Et l’étude a révélé qu’en présence d’eau ce mélange est bien explosif, et bien plus qu’on ne l’imaginait. Total a alors exigé que les conclusions soient tenues secrètes, et là encore ce n’est que par une perquisition que l’information a pu être rendue publique. Et cette erreur aux conséquences tellement graves n’est pas le fruit du hasard ou la faute à pas de chance.

Car Total, c’est un système :

- c’est la même politique de « risque calculé » qui s’applique dans toutes ses filiales.
- c’est la recherche incessante d’économies aux dépens de la sécurité. Total regorge de bénéfices, mais sa filiale chimique déclarait des pertes, et il fallait économiser, en particulier sur la sécurité, comme par exemple quand le groupe a décidé en 2000 de réduire le nombre de pompiers.
- le groupe Total, c’est une relative attention à la sécurité pour les activités de production conduites par la société Grande Paroisse, mais c’est le recours systématique à la sous-traitance pour tout ce qui n’est pas la production, pour le stockage, le conditionnement, la gestion des produits déclassées et des déchets. Les sous-traitants n’étaient pas associés aux plans de sécurité, et se débrouillaient comme ils pouvaient. Et dans des conditions toujours plus difficiles, puisque tous les trois ans les contrats de sous-traitance étaient renégociés à la baisse.
- et le groupe Total, ce n’est aucun changement sur la gestion du risque dans ses autres usines depuis le 21 sept 2001."

Et c’est l’année dernière, en 2010 que nous avons commenté le verdict par ces mots :

« La justice a décidé en novembre 2009 la relaxe générale "au bénéfice du doute" dans le procès contre Total et les dirigeants de l’usine ! Mais où est le doute ? Alors qu’il a été prouvé que la Commission d’Enquête Interne constituée par Total a dissimulé des faits, des pièces et des témoignages capitaux aux enquêteurs, et cela dès les premiers jours de l’instruction. Alors que le tribunal a mis à l’index « une manœuvre grossière » des chimistes de Grande Paroisse, tout en critiquant le fonctionnement de l’usine AZF, pointant les « défaillances organisationnelles » et les « dérives », notamment dans la gestion des déchets et le recours à de nombreuses entreprises sous-traitantes non formées.

La justice n’a pas trouvé de coupable parce qu’il lui manquait les pièces que le coupable a lui-même soustrait !

Tout cela nous rappelle cruellement où est le vrai pouvoir. Devant la scène il y a des marionnettes, une justice avec un code pénal, un gouvernement qui fait des discours et des lois, et derrière la scène il y a ceux qui tirent les ficelles, il y a le vrai pouvoir, il y a le pouvoir économique. Et Total est une des premières puissances industrielles européennes, et la première capitalisation boursière française."

Voilà ce que nous disions et que nous répétons encore aujourd’hui. Pour finir je voudrais dire un mot sur le procès en appel qui va débuter le 3 novembre prochain.

Il y aura toujours la même disproportion de moyens entre le groupe Total et les victimes qu’elles soient salariés ou riverains. Mais il y a un élément nouveau, ce sont les conclusions du procès de 2009 qui ont mis en évidence la responsabilité du groupe TOTAL. Les avocats de Total auront bien du mal à invoquer l’ignorance de l’enchaînement des faits ou à attiser les rumeurs pour disculper leur employeur. Ils peuvent bien continuer à affirmer qu’ « On ne saura jamais … ».

Mais être incapable d’expliquer ce qui s’est passé dans son usine est déjà un délit, c’est au moins « la mise en danger d’autrui  ». Car un industriel doit maîtriser la totalité des procédures qu’il demande à ses ouvriers d’appliquer.

Nous ne sommes pas sans arguments juridiques, et nous nous battrons sur ce terrain aussi. Mais nous n’ignorons pas que le terrain judiciaire ne nous est pas le plus favorable, puisque si en première instance la justice a su montrer sa capacité à comprendre ce qui s’est passé, elle a aussi démontré son impuissance à faire condamner le responsable. Par contre ce que nous maîtrisons, c’est notre mobilisation.

Alors oui affirmons ensemble : « ne laissons pas les profits faire la loi. Total doit être condamné en appel ! »

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