Lundi 11 mars 2013
50ème Congrès : quelques débats d'orientation dans la CGT
Dans un article précédent (« Le discours de Thierry Lepaon au CCN du 5 février »), nous soulignons
le peu d’intérêt soulevé dans nos rangs par le 50ème Congrès qui commence dans une semaine.
Rares ont été les structures qui ont pris le temps de débattre, même des responsables départementaux ou fédéraux n’ont eu aucun
débat ou aucune information. On est au degré « zéro » de la démocratie (enfin, on dit ça à chaque congrès, et chaque fois c’est pire…).
Toujours dans cet article, nous disions que nous n’allions pas produire une critique complète du document d’orientation, car il
était trop général, trop abstrait et nous renvoyions à la critique du document du Congrès précédent. C’était un peu rapide, et pas très correct – convenons-en.
En effet, une relecture un peu moins hâtive du document de 41 pages proposé au débat montre justement qu’il y a un peu plus d’efforts
qu’au 49ème Congrès, qu’il est un peu plus en phase avec la réalité, moins caricatural et plus nuancé, et mérite donc qu’on en discute tel ou tel aspect.
Nous avons donc relevé une demi-douzaine de thèmes, interrogations, que nous allons aborder ci-dessous.
Il ne s’agit pas d’une critique générale du document, l’orientation générale de la CGT est critiquée article après article sur
ce blog depuis maintenant plus de sept ans. Il s’agit de quelques thèmes que nous voulons pointer pour nos lecteurs, pas tellement dans la perspective du Congrès (déjà plié), mais pour les
aider à combattre l’orientation réformiste de notre confédération. C’est forcément très bref, totalement insuffisant dans les explications, mais cela éclaire malgré tout ces quelques
volets.
1 – Quelle est la nature de la crise ?
La première chose, c’est que le document reconnaît l’existence d’une crise générale et systémique. Là, franchement, c’est un
progrès ! On lit même que c’est « une véritable guerre qui est déclarée aux travailleurs et travailleuses du monde entier » (I-10). Voilà qui ne peut que nous réjouir.
Ce qui ne colle pas, c’est l’origine de cette crise : « La crise, qui peut être qualifiée de systémique, trouve ses
origines dans une exigence démesurée de rentabilité du Capital » (I-8). Tout tient dans cette formule, tout tient dans cet adjectif : « démesurée ».
Si on s’arrête une seconde sur la formule, on ne peut que constater son flou. Ca veut dire quoi « démesurée » ? A quel moment on
passe du « raisonnable » au « démesurée » ? Et au fait, peut-il y avoir une exigence « raisonnable » de rentabilité du Capital ?
Au lieu d’utiliser des termes rigoureux, économiques, politiques, objectifs, on explique par une formule subjective, non
quantifiable, non justifiable, non mesurable – dé-mesurée.
Nous ne cessons de le répéter (« Une loi pour interdire les licenciements boursiers ? », « Emploi : un accord dans la droite( !) ligne des précédents » et
bien d’autres articles…), la crise du capitalisme, ce n’est pas la rapacité des patrons voyous, mais un fonctionnement objectif, basé sur la guerre économique mondialisée, l’exploitation (tient ?
on ne sait pas ce que c’est dans le document…), la baisse du taux de profit et toutes les restructurations qui en découlent. Même pour ce qui est de l’aspect plus « financier » de cette crise («
A propos de la crise financière »), les explications simplistes ne font que tromper les travailleurs : nous le
disons, il n’y a PAS DE SOLUTION en conservant ce système d’exploitation… Ce ne sont pas des bavures, des excès, des exigences démesurées que nous devons combattre, mais les fondements d’une
société qui nous tue au travail et renforce chaque jour la précarité, la flexibilité, l’intensité du travail, la misère et la pauvreté, tout cela pour que le capitaliste puisse survivre face au
requin qui le concurrence.
2 – La question du changement politique
On ne peut qu’être stupéfaits par le silence du document relativement au gouvernement Hollande, alors que c’est quand même un
événement politique majeur de l’année écoulée… A moins que non ? A peine quelques lignes (I-26 à 29) pour noter les impatiences, les déceptions, les critiques, avec des formules plus que très
neutres ( !), qui évitent soigneusement de se positionner clairement : dans quel camp le nouveau gouvernement se trouve-t-il ?
Depuis des mois, à chaque mobilisation, à PSA, à Goodyear, avec les sidérurgistes de Strasbourg, le 5 mars, chaque fois, les
travailleurs les plus combatifs, ceux qui sont à la base militante de la CGT, répètent la même chose : Hollande suit le chemin de Sarkozy, voire en pire car il endort la riposte nécessaire
!
Nous verrons ce qu’il en sera lors des débats du Congrès, mais c’est un enjeu essentiel pour tous les syndicalistes de classe,
qui paralyse actuellement la riposte aux attaques que nous encaissons semaine après semaine. Ami qui se trompe, ou ennemi qui se cache ?
3 – L’Europe et l’international
Le document d’orientation souligne à juste titre l’internationalisation du capital et des luttes ouvrières et populaires,
et pousse dans le sens de renforcer les solidarités. Sans surprise, il s’inscrit dans l’optique très institutionnelle de la CES, la CSI et désormais de la défense explicite de l’OIT (Organisation
Internationale du Travail) I-106. C’est la version internationale du réformisme syndical qui se développe, en même temps sous la pression de la crise et des attaques mondialisée. Lorsque les
cheminots ou les sidérurgistes de plusieurs pays se retrouvent ensemble à Bruxelles ou à Strasbourg, lorsque la crise provoque des mouvements massifs dans plusieurs pays (on vient encore de le
voir au Portugal, après la Grèce, l’Espagne ou l’Italie), même les syndicats les moins radicaux sont contraints de hausser le ton, ne serait-ce que pour canaliser la colère et la
révolte.
Un mot au passage pour tous nos camarades de la CGT qui s’arcboutent contre l’Union Européenne, considérée comme responsable de
tous les maux. On voit encore fleurir ici ou là des commentaires, résolutions, pour revendiquer la sortie de l’UE, de la CES etc.
Ces camarades prennent le problème à l’envers. Ce n’est pas l’Europe qui est la cause de nos misères. C’est la crise capitaliste
et ses effets, la guerre économique et la concurrence mondialisée, qui poussent tant les gouvernements nationaux que les institutions internationales dans le même sens de la guerre contre les
travailleurs. Mobiliser « contre l’Europe », quelle qu’en soit la forme, c’est se tromper de cible, amener les travailleurs dans l’impasse, et quelque part les entraîner par ricochet sur la voie
du nationalisme.
Or, à l’heure de la mondialisation capitaliste, l’heure n’est pas au repli national et chauvin, l’heure et à l’internationalisme
et à la solidarité internationale des prolétaires, à la lutte pour faire disparaître les frontières, par la lutte des classes et la lutte démocratique pour l’égalité des droits.
Camarades, il ne faut pas se tromper de cible et de critique à la Confédération ! Le problème, c’est celui du réformisme et des
illusions de solutions à la crise de cette société sans bouleversement révolutionnaire !
4 – Transformer le travail ?
Nous avions noté au Congrès précédent, ainsi que dans le rapport d’activité (« Un rapport d’activité en mode autosatisfaction ») que
l’emploi était absent des préoccupations confédérales.
Ouf, le document d’orientation se recale un peu avec la réalité. Pas d’une manière qui nous satisfait, mais au moins c’est
présent, sinon on était en pleine quatrième dimension…
Le problème, c’est que puisque la Confédération ne reconnait pas la réalité du capitalisme et de sa crise, elle est
automatiquement conduite à traiter du travail « en tant que tel », et pas pour ce qu’il est : l’exploitation d’une classe par une autre, l’exploitation de l’ouvrier par le patron.
Le travail n’est pas compris comme le lieu de l’extorsion de la plus-value qui fera ensuite le profit du capitaliste, mais comme
une activité mal gérée et mal organisée, toujours bien entendu du seul fait de la rapacité des patrons qui en veulent toujours plus. L’objectif est alors donc d’améliorer les choses dans le cadre
existant, de « transformer le travail ».
Alors, oui, il y a un progrès, la CGT se déclare pour « le plein emploi solidaire » (II-45), c’est quand même le minimum, oui,
il faut combattre l’exclusion, la pauvreté, la précarité, mais on ne saura pas comment l’imposer aux bourgeois, on ne saura pas quelles sont les véritables transformations nécessaires : faire
disparaître le travail de nuit et à la chaîne ? Baisser les cadences ? Renouer le travail manuel et le travail intellectuel, pour tous (y compris maîtrise et cadres…) ? Bloquer les hauts revenus
à un maximum ?
Là, non, on n’a pas trop de détails… Parce qu’évidemment si on avance cela, comme le dessinait une bande dessinée célèbre de
Wolinski : « les patrons ne voudront jamais ! ». C’est un peu le problème…
La transformation du travail, nous sommes POUR. Nous sommes pour travailler tous, moins et autrement. Mais pour cela, le point
de départ, c’est d’en finir avec l’exploitation du prolétaire par le bourgeois, récupérer la maîtrise sur notre vie et sur toutes les décisions de la société… Le reste, c’est du vent, du
bavardage qui s’effiloche au fil des épisodes de la guerre économique mondialisée… chaque plan d’ajustement structurel balayant les supposées garanties données par le précédent.
5 – Renforcer l’Economie Sociale et Solidaire.
Le document est plus développé que sur la crise ou le gouvernement (II-184 à 189) ! Et de reprendre quelques chiffres qui ne
veulent rien dire : 2,5 millions de salariés, 15% du PIB, plus de 35 millions de coopérateurs, mutualistes et d’associés (II-184).
La première chose, c’est qu’on ne définit pas ce secteur. Les Banques Crédit Agricole, Crédit Mutuel ou Crédit Coopératif en
font-elles partie ? Les mutuelles MAIF, MATMUT, MACIF, MNEF – voire Malakoff/Médéric qui en a le statut – et autres en font-elles partie ? Oui, bien sûr, et c’est une supercherie. Chacun sait que
ces entreprises sont en plein dans le fonctionnement normal (ou pas !!!) du capitalisme en crise. Alors, il faudra un jour mettre les points sur les i et dire ce qu’il en est : une forme
différente du capitalisme que le capitalisme par actions, mais des entreprises capitalistes comme les autres, gérées comme les autres, précarité et restructurations comme les autres.
Ensuite, il fût un temps où l’on parlait d’un supposé « secteur non marchand » dans la CGT, belle plaisanterie. Le texte
d’orientation est quand même plus prudent (et plus malin), puisqu’il se contente de dire que « l’économie sociale doit faire la démonstration que l’on peut apporter des correctifs sociaux à
la loi du marché considérée comme intangible »… (II-188). Mais si c’est plus malin et plus lucide, c’est aussi plus clair : ce secteur est bien un des volets de la société capitaliste, comme
les Restaus du Cœur quelque part…
Nous aurons l’occasion de revenir sur ce blog sur la question des SCOP, à l’honneur avec le combat des Fralib, et désormais la
proposition de l’équipe CGT de Goodyear. Disons clairement que s’il ne s’agit pas d’un capitalisme d’actionnaires (et encore, les associés, c’est quoi ?), s’il ne s’agit pas d’un capitalisme
boursier, pas plus que les capitalistes familiaux (aucune des sociétés du groupe Auchan n’est par exemple cotée en Bourse…) elles n’apportent aucun espoir d’avenir pour les travailleurs.
6- La transition énergétique, le nucléaire et le développement humain
durable…
Alors qu’au 49ème Congrès c’était une sorte de formule magique bien confuse, le développement humain durable est remis à la
place de la transition énergétique. Il faut le dire, ça fait déjà moins extra-terrestre.
Cela dit, tout ce qui est écrit sur le sujet fait sourire (II-210 à 212). Le mot « nucléaire » n’apparaît qu’une seule fois, et
encore dans la formule « sureté nucléaire », alors que le réchauffement climatique, l’effet de serre et les bilans carbone sont abondamment commentés. C’est-à-dire que la rédaction de ces
paragraphes est parfaitement orientée pour mener à la défense, voire au développement, du nucléaire : on sait que le seul «
avantage » du nucléaire est qu’il ne rejette pas de carbone.
Mais alors que le Congrès va se tenir à l’occasion du deuxième anniversaire de Fukushima, ça fait vilain et désordre… Les
risques nucléaires ? La gestion des déchets sur des millénaires ? Le pillage de l’uranium du Niger et les otages d’AREVA ? L’arrêt de Fessenheim ? Circulez, y’a rien à voir… Pour la
Confédération, la transition énergétique, c’est poursuivre le nucléaire, légèrement arrosé d’un zeste d’énergies renouvelables !
On savait que la Confédération, à la suite de la FNME, était farouchement pro-nucléaire (« La CGT et le nucléaire »), mais on a dans ce document une opération d’intoxication très
bien faite, et qui va très probablement passer comme une lettre à la poste.
D’une manière générale, le document poursuit dans la tradition « productiviste », à savoir que le progrès c’est
nécessairement « toujours plus », ce qui d’ailleurs interroge pas mal ce qu’il y a derrière le « transformer le travail ». Le débat sur la décroissance est balayé d’un revers de main (« La
notion de développement humain durable portée par la CGT s’oppose tant aux idées tendant vers la décroissance qu’à celles refusant d’interroger le contenu et les finalités de la croissance telles
que définies par l’économie capitaliste » (II-215) alors même que les catastrophes sanitaires et productivistes se multiplient et posent ouvertement la question de la notion même de
croissance. Au moins, on pourrait discuter de la chose… même pas en rêves !
Nous reviendrons dans un prochain article sur les enjeux internes à la CGT, en particulier ce qui est appelé la «
territorialisation » de la CGT, les structures et la modification des statuts, qui posent pas mal de questions.
Voilà dans l’immédiat quelques débats (sans doute parmi d'autres...) qui méritent d’être menés à l’occasion de ce Congrès, pour
autant qu’il y ait débat !
Discrétion assurée !!!